Remerciements

À celles et à ceux qui ont apporté leur concours bénévole aux enquêtes : qui ont pris sur leur temps pour les préparer, les conduire et les dépouiller; qui ont accepté de s’y prêter,
À la Délégation Générale à la Langue Française, qui a accompagné cette recherche d’une subvention en 1999,
Aux autres équipes de recherche attachées à travers la francophonie à la description différentielle du français, qui ont apporté le témoignage de leur pratique de la langue,
Aux relecteurs, dont les observations et les réactions ont permis bien des améliorations,
Aux membres de l'équipe du Dictionnaire, Claude Ammann, Simone Majin, Jacqueline Mandret-Degeilh, Éliane Schneider, pour leur efficacité et leur fidélité, ainsi qu’à Jean-Paul Chauveau, Claudine Fréchet, France Lagueunière, Claude Martel, Jérôme Serme, André Thibault, Anne-Marie Vurpas, pour leur précieux concours,
À Jean-Pierre Chambon, qui a contribué à fonder le projet de rédaction et a fait bénéficier de très nombreux articles de ses conseils, pour sa générosité.
Pierre Rézeau

Introduction

1. L’objet du dictionnaire

1.1. Ce dictionnaire des régionalismes de France (en abrégé DRF) décrit, sous l’angle lexical, les principales variétés géographiques du français, observées dans la seconde moitié du 20e siècle en France (dans ses limites continentales) 1 et qui témoignent de la diversité des réalisations de la langue selon les régions. Ni maniaques du biniou ni accros de la tartiflette, nous avons simplement voulu sortir ces richesses lexicales de la description indigente qui est la plupart du temps la leur, aussi bien de la part de la lexicographie générale quand elle les prend en compte, que des approches régionales, qui tendent si souvent vers le degré zéro de la lexicographie. Les locuteurs de France ont le droit – c’est la moindre des choses –, lorsqu’on entend décrire leurs façons de parler, qu’on le fasse avec le plus grand souci d’exactitude et qu’on recoure pour cela aux meilleurs standards de la lexicographie 2.
En effet, les variétés géographiques du français de France, renvoyant à un concept trop souvent mal défini, considérées comme des marges de la langue et prises en charge vaille que vaille dans les meilleurs dictionnaires, sont sous-représentées ou mal représentées dans la réflexion linguistique contemporaine, dans la lexicographie française et dans la lexicologie galloromane (FEW). Le français pris en considération dans l’enseignement, les grammaires, les travaux de recherche en linguistique est le plus souvent une image de synthèse monochrome, dont la variation géographique est pratiquement exclue. Or, il est d’expérience banale de constater, et pas seulement dans des situations de discours informelles, qu’un certain nombre d’usages linguistiques varient selon le lieu, et il est aujourd’hui impensable de décrire une langue sans prendre en compte la variation. Intrinsèque au français comme à tout système linguistique, cet aspect mérite une approche scientifique, qui n’a rien à voir avec le goût du pittoresque ou quelque passéisme folklorique, qu’on voudra bien réserver aux amateurs. C’est l’amateurisme en effet qui tantôt majore l’importance de ces variantes géographiques (par exemple, dans des productions identitaires dénuées de tout esprit scientifique) ou tantôt les minore dans des publications savantes voire théoriques (en les ignorant délibérément ou en les traitant par prétérition. attitude tout aussi a-scientifique) 3. Alors que depuis deux décennies un mouvement foisonnant s’est dessiné en direction de l’étude des régionalismes, on a tenté ici de fournir une description innovante de cet aspect, si vanté et si mal connu, de notre patrimoine linguistique 4.
1. Il est le prolongement et la finalisation des Variétés géographiques du français de France aujourd'hui. Approche lexicographique, dir. P. Rézeau, avec la même collaboration, paru aux mêmes éditions en 1999. Sauf exceptions, les articles de cet ouvrage ont été repris ici, et ont bénéficié d’une version améliorée.
2. On lira sur ce sujet avec le plus grand profit l’utile mise au point de J.-P. Chambon « L’étude lexicographique des variétés géographiques du français en France : éléments pour un bilan méthodologique (1983-1993) et desiderata », dans Lalies. Actes des sessions de linguistique et de littérature, n° 17 (Aussois, 2-7 septembre 1996), 1997, 7-31.
3. Pour cette réflexion, v. déjà Variétés géographiques du français de France aujourd'hui, op. cit., 9.
4. À des titres et à des degrés divers, la recherche scientifique telle que la conçoit le DRF a été initiée par les travaux de Kurt Baldinger, de G. Straka (« Où en sont les études de français régionaux », dans Le français en contact... Colloque de Sassenage, 1977, Paris, C.I.L.F., 1977, 111-126; « Le français régional. Conclusions et résultats du Colloque de Dijon » ColloqueDijonl977, 227-242 ; « Problèmes des français régionaux », Bulletin de la classe des Lettres et Sciences morales et politiques, Bruxelles, 5e série, 69, 1983, 27-66) et de P. Rézeau, Dictionnaire des régionalismes de l’Ouest, entre Loire et Gironde, 1984.
Observée ici sur une durée d’un demi-siècle (1950-2000), la langue offre, dans des aires d’extension variable, des traits, dont les uns sont aujourd’hui vieillissants ou vieillis et que nous avons eu soin de marquer comme tels, mais dont beaucoup d’autres sont d’un usage quotidien (souvent sans conscience de régionalité), tandis que des innovations lexicales, modestes mais réjouissantes, témoignent de la créativité des locuteurs : ainsi, c’est par un mot de chez eux particulièrement emblématique, cagouille "escargot", que les Charentais nomment l’arobase, tandis que les connotations conviviales de canton "coin de la cheminée" sont aujourd’hui réutilisées, en dehors même de son aire d’origine, pour désigner des unités d’hébergement pour personnes âgées.
Le français, qui « varie, en somme, avec la longitude » 5, se donne à analyser sous diverses facettes (phonétique et phonologique, morphologique et syntaxique, lexicale) dont chacune se combine avec la situation concrète (sociale, géographique, etc.) du discours. On en prendra un rapide aperçu avant de s’attarder sur celle qui a retenu notre attention 6.
5. Comme le faisait plaisamment remarquer Pierre Daninos dans Les Carnets de voyage du Major Thompson, Paris, Hachette, 161 (v. encore 157-158).
6. Quelques exemples de cette introduction sont repris de P. Rézeau, « R comme les régions de France », dans « Tu parles !? » Le français dans tous ses états, vol. composé par Bernard Cerquiglini, Jean-Claude Corbeil, Jean-Marie Klinkenberg et Benoît Peteers, Paris, Flammarion, 2000, 259-270.

1.2. « Arrrcambal, Arrrcambal ! »

En 1943, sur la ligne de chemin de fer Cahors-Capdenac, « les chefs de gare crient bien fort le nom de leur station en roulant exagérément les r : Arrrcambal, Arrrcambal ! Verrrs, Verrrs ! Saint-Gérrry, Saint- Gérrry ! » (J. Roger, Le Fils du curé, 1998, 152). La ligne est aujourd’hui supprimée, et avec elle ces petites gares pittoresques, mais on roule toujours le r dans le Sud-Ouest et les exemples abondent de ce particularisme phonétique qui paraît si caractéristique aux oreilles des Français de bien d’autres régions (« [...] les divers accents de mes pays garonnais et pyrénéens où les r se succèdent et se choquent comme les galets des nestes, des gaves, des fleuves » P. Gamarra, Le Fleuve palimpseste, 1986, 114 ; « le r du mot “patouillard” [...] qui roulait dans sa bouche ariégeoise avec les accents du tonnerre » P. Magnan, L’Amant du poivre d’âne, 1988, 294). Dans le registre des voyelles, le /ɔ/ de bien des Lorrains est frappant, là où le français standard dit /o/ : « Pépé Dado, mémé Dado, disions-nous. En reproduisant, comme maman, le “o” perché dans les aigus de la prononciation vosgienne, quand l’accent stéphanois laissait tramer les voyelles dans les graves » (H. Bouchardeau, Rose Noël, 1990, 113) et les nasales sont elles aussi réalisées de façons diverses selon les régions (« sa peur qu’il baptisait tourment [...], prononcé avec l’accent de Bordeaux : tourmont » Chr. de Rivoyre, Le Petit Matin, 1968, 231).
S'ils sont parfois moqués, les particularismes phonético-phonologiques, reconnus par les locuteurs sous le terme d’accents (« Il me semblait choquant que mes cousines parisiennes critiquent mon accent ardennais, comme si ce n’était pas là l’unique façon de parler connue et le chant primordial de la pensée » A. Dhôtel, Lointaines Ardennes, 1979, 25), font partie du paysage culturel et semblent poursuivre leur chemin. Ils sont en effet si rassurants (« Il y avait aussi un monsieur qui parlait un français distingué avec un accent suffisamment rouergat pour inspirer confiance à tous les Aveyronnais présents » J. Jaussely, Deux saisons en paradis, 1979, 205), même si, bien sûr, ce sont surtout les autres qui ont un accent :
Les gens qu’il entendait en passant [à Nevers] avaient un accent singulier : ils roulaient les r à la façon des Italiens ou des Russes. Ça lui donnait l’impression de se trouver à l’étranger, comme lorsqu’il faisait son service à Colmar. Mais, à la réflexion, il corrigea cette pensée : « Au fond, se dit-il, tous les Français ont un accent, les Parisiens, les Alsaciens, les Marseillais, les Nivernais, les Lyonnais. Y a vraiment que les Auvergnats qui en ont point. Et encore... en cherchant bien ! Les Thiernois, les Sanflorains, on les distingue des autres » (J. Anglade, Un temps pour lancer des pierres, 1974, 93).
Paris même permet des observations analogues, en raison de la riche palette de ses variétés sociolinguistiques traditionnelles (surtout ouvrières et populaires) : « Il [un “étranger du dehors”] arrivait on ne savait d'où, mais certainement du Nord, car il avait cet accent ridicule qui supprime les “e” muets, comme dans les chansons de Paris » (M. Pagnol, Jean de Florette, 1995 [1963], 678) ; qui les supprime dans bien des cas, mais en ajoute parfois comme l’indique cet autre témoignage :
— J’aurais probablement pas dû venir, soupire-t-il, je suis sûr que je vous dérange pour rien. / Il a l’accent parigot et il prononce “pour erien” (San-Antonio, Princesse Patte-en-l’air, 1990, 21).
Mais dans le même temps un discours de plus en plus lissé et stéréotypé s’installe chez beaucoup de personnages publics (politiques, artistes ou assimilés), qui tend à laminer les « accents » régionaux : la radio et la télévision permettent encore de prendre quelques bouffées d’accent provençal à l’écoute par exemple du maire de Marseille, mais n'offrent plus aujourd’hui d’équivalents du Bourguignon Waldeck Rochet (1905-1983), secrétaire du Parti communiste français, ou de l’Aveyronnais François Marty (1904-1994), cardinal de Paris. De nos jours où certains croient du dernier chic de dire « ce pays » pour désigner la France, la langue de bois se niche parfois là aussi, plus ou moins consciemment :
« On n’aurait pas trouvé [il y a trente ans] un Toulousain pour distinguer la pâte de la patte, pour prononcer à la française son teint de roses et de lait [...]. Tandis que s’effondre, dans la pratique puis dans la mémoire, la langue d’oc, un français de nulle part, même pas de Paris, incolore, inodore, sans goût ni gouste, gommant toutes les aspérités, faisant de la platitude mélodique le fin du fin du bien-dire, s’infiltre, inégalement mais irrésistiblement, dans tous les milieux sociaux sur l’ensemble du territoire français. [...] Ainsi regardez le maire, Baudis, Toulousain et maire de Toulouse de père en fils. Écoutez-le plutôt. On dirait qu’il ne veut pas que ce soit le dit qu’il est né sur les bords de Garonne. Il parle si carrément pointu que même les roses et le lait ne sont plus des pièges pour lui, pas plus que les in et les an » (Yves Rouquette, né en 1936, « Histoires de parler », dans Toulouse, 1991, 139-141).
D’autres intonations d’ailleurs métissent le paysage, urbain notamment : « Au temps pas si lointain où des provinciaux tous les jours s’installaient chez nous [à Paris], il y avait un grand mélange d’accents dans les transports en commun. Nous en avons perdu l’habitude : les intonations du terroir sonnent désormais d’une façon bizarre à nos oreilles et les parlers étrangers nous sont plus familiers » (A. Schifres, Les Parisiens, 1990, 76).
De cet aspect intéressant l’intonation, la phonétique et la phonologie, qui n’est pas traité dans cet ouvrage, on percevra cependant quelques échos à travers certains exemples (ainsi s.v. brave, ex. 20 ; con, ex. 6 ; patte, ex. 10 ; putain, ex. 1-2).

1.3. « Garonne monte ! »

Au soir du 11 juin 2000, le journal télévisé de France 2 rendait compte de graves inondations dans les environs de Toulouse ; un reportage montrait un jeune pompier criant à une vieille dame derrière sa fenêtre : « Garonne monte ! Garonne monte ! » En dehors de la région toulousaine, bien des téléspectateurs, s’ils ont été attentifs à cette phrase, auront peut-être pensé que le sauveteur s’exprimait de manière un peu fruste ou que la gravité de la situation le faisait bafouiller... Rien n’est moins vrai ! Dans la région toulousaine en effet, où elle a été signalée il y a plus de deux siècles, l’absence d’article dans ce cas fait partie du français de tous les jours 7.
7. DesgrToulouse 1766, 138: « Lorsque les Gascons parlent de leur Riviere, ils ne lui donnent point d’article. Ils ne disent pas la Garonne, mais Garonne. Il est tombé dans Garonne, disent-ils. Je me suis promené sur les bords de Garonne » ; cf. SéguyToulouse 1950 “courant” et BoisgontierMidiPyr 1992. Selon une comm. de B. Moreux, cet usage est aujourd'hui vieillissant à Toulouse même.
On pourrait sans peine dresser une liste de faits morphologiques, peu nombreux, mais qui caractérisent nettement le français de telle ou telle région : qu’il s’agisse du genre des noms (par ex. « Il paraît qu’à Paris, où on fait des dictionnaires, les gens disent un platane » N. Ciravégna, Chichois de la rue des Mauvestis, 1979, 34; « Lièvre [...] est féminin en oc et en français parlé chez nous » J. Mallouet, De mes montagnes, 1997, 89; v. encore à la nomenclature bretzel et trie), du nombre (si quatre-heures est aujourd’hui d'un usage général, familier par rapport à goûter, son emploi au pluriel est géographiquement marqué), de l’emploi de l’article défini là où le français standard a recours au possessif (« Je prends la retraite à la fin de l’année, bien content » Cl. Courchay, Quelqu'un, dans la vallée..., 1998 [1997], 45) ou à l’article indéfini (« Reposez-vous, que vous avez la petite mine » J.-Cl. Izzo, Total Kéops, 1995, 113).
S’agissant des verbes, certains faits, de grande extension géographique, sont bien connus, comme le fameux passé surcomposé aussi vivant au sud d’une ligne de La Rochelle à Belfort qu’ignoré de la plupart des grammaires (« C’est sûr, l’usine... j’ai eu été moi, à l’usine, c’est pour ça qu’ j’en ai une sainte horreur... » L. Semonin, La Madeleine Proust, 1991, 157; v. encore s.v. poche1, ex. 15 et royaume, ex. 1 ) ou encore le tour je suis été, observable dans la partie méridionale de la France : « La Tante corrigeait leurs fautes, leurs tournures vicieuses, avec gentillesse mais fermeté. Elle dirigeait une rubrique permanente : “Ne dites pas... mais dites.” On ne dit pas : “Je suis été chercher à boire”, mais : “Je suis allé chercher à boire” [...] » (Cl. Duneton, Le Diable sans porte, 1981, 95) et, à un degré moindre mais encore sensible, l’emploi du passé simple, « qui est encore bien vivant chez nous dans notre français coloré d’occitan » (P. Gamarra, Le Fleuve palimpseste, 1986, 178). Beaucoup de faits de micro-syntaxe témoignent de la liberté de la langue par rapport au standard. Si cet aspect n’a pas été pris en compte ici systématiquement, on en trouvera un certain nombre d’illustrations, soit dans des articles autonomes (ainsi échapper ou tomber ; plus, que, tant, y), soit au fil des exemples (ainsi s.v. amandon, ex. 5; ça, ex. 8; déparler, ex. 12; dire, ex. 6; merlusse, ex. 4; prix fait, ex. 5; vogue, ex. 6).

1.4. « De certains mots que j’employais, qui m’avaient servi pendant des années [...], j’appris avec stupéfaction qu’ils n’existaient pas » (M. Rouanet, Nous les filles, 1990, 346).

On a privilégié ici l’analyse du lexique, avec le souci constant de rendre justice à des mots considérés comme « non français », bien à tort, par l’idéologie normative, ou tenus en lisière de la description lexicographique. Si « l’accent » est en effet ce qui peut frapper en premier lieu et si la grammaire réserve quelques surprises, le lexique est le domaine qui offre le champ d’observation le plus vaste à l’étude de la variation. Le lecteur découvrira notamment :
Comme celle de tous les autres faits de langue, leur vie s’inscrit dans l’histoire : quand certains perdurent depuis plusieurs siècles (clairer, finage), on en voit d’autres qui doucement sombrent dans l’oubli (dail m. ou daille f. "faux", drapeau "lange") ou pénètrent aujourd'hui le français standard de toute la France (coucouner, fougasse, laguiole).
En même temps enfin qu’une meilleure connaissance de cet aspect de notre patrimoine linguistique, le DRF permet à la recherche lexicologique et lexicographique française de prendre place aux côtés de travaux scientifiques analogues conduits à l’étranger : en Belgique 8, en Suisse romande 9 et au Québec 10, les pays du Sud n’étant pas en reste dans cette démarche, qui développent un savoir-faire grandissant, concrétisé par des travaux innovants 11.
8. Michel FRANCARD et l’équipe VALIBEL (Université catholique de Louvain-la-Neuve).
9. Dictionnaire suisse romand. Particularités du français contemporain. Une contribution au trésor des vocabulaires francophones, conçu et réalisé par André THIBAULT, sous la direction de Pierre KNECHT, avec la collaboration de Gisèle Boeri et Simone Quenet, Carouge-Genève, Éditions Zoé, 1997 ; version cédérom, revue et augmentée, aux mêmes éditions, en 1998.
10. Dictionnaire historique du français québécois, par l’équipe du TLFQ, sous la direction de Claude POIRIER, Laval (Québec), Les Presses de l’Université Laval, 1998.
11. On remarquera, parmi les travaux de synthèse, la recherche conduite sur les français d’Afrique, publiée par Danielle Latin, Inventaire des particularités lexicales du français d’Afrique noire, 2e éd., Paris, EDICEF/AUPELF, 1988 (une nouvelle édition est en préparation); parmi les travaux individuels, l’excellent ouvrage de Pravina Nalla- tamby, Mille Mots du français mauricien, Paris, CILF/PUF, 1995. Signalons aussi les Journées scientifiques du Réseau « Étude du français en francophonie », qui accompagne le travail en synergie des pays du Sud et du Nord, dans des rencontres régulières organisées depuis une décennie par l’AUPELF-UREF: à Nice, en 1991 (actes publ. par Danielle Latin, Ambroise Queffélec, Jean Tabi-Manga, Inventaire des moyens de la francophonie. Nomenclatures et méthodologie, AUPELF, 1993) ; à Louvain-la-Neuve, en 1994 (actes publ. par M. Francard et D. Latin, Le Régionalisme lexical, Louvain-la- Neuve, Duculot/AUPELF-UREF, 1995) ; à Yaoundé en 1996 (actes publ. par Claude Frey et Danielle Latin, Le Corpus lexicographique. Méthodes de constitution et de gestion, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1997); à Québec en 1998, sur le thème « Contacts de langues et identités culturelles. Perspectives lexicographiques » (actes publ. par D. Latin et Cl. Poirier, avec la collab. de Nathalie Bacon et Jean Bédard, Contact de langues et identités culturelles. Perspectives lexicographiques, Québec, Les Presses de l’Université Laval et l’Agence universitaire de la Francophonie, 2001).

2. Les sources

Ce travail puise à diverses sources, qui ont permis de dégager une nomenclature cohérente et d’assurer à chaque article le traitement scientifique minimal qu'autorise aujourd'hui les données rassemblées.
On a demandé à différents spécialistes de dresser une première liste de faits lexicaux réputés caractéristiques de leur région : 300 items environ étaient souhaités. Une fois normalisées, ces listes ont servi de questionnaires à des tests de reconnaissance : ce sont les enquêtes DRF 1994-96. Il convenait de s’assurer de l’emploi réel de ces faits, seul moyen de faire passer ces listes de l’ordre alphabétique à un ordre hiérarchique. Les résultats de ces enquêtes – 4500 faits ont été ainsi testés – ont fourni des indications permettant d’apprécier la diffusion des principales variantes lexicales du français de France à la fin du 20e siècle et donc de profiler une nomenclature. Si modeste que soit l’entreprise et si diverse la manière selon laquelle ces tests de reconnaissance ont été conduits, ils offrent aussi l’avantage d’aider à cartographier, d’une manière relativement homogène, bon nombre de faits qui ne l’ont encore jamais été. Sans doute, ces résultats ne vont-ils pas sans une certaine fragilité : il arrive que pour un département, le résultat soit nul 12, affichant 0 %, alors que d’autres sources (écrites, orales, lexicographiques) signalent la présence du fait concerné ; dans les cas de polysémie, on est parfois mal renseigné sur la validité des réponses pour tel sens précis. Les enquêtes complémentaires, dont on regrettera qu'elles n'aient pu être plus nombreuses, ont comblé avec bonheur certaines lacunes, mais elles ont aussi recueilli parfois des scores divergents des premières enquêtes, marquant bien qu’on n’a jamais fini d’être à l’écoute de la langue.
12. On évitera de confondre cette indication de 0 % avec le signe Ø, qui indique qu’il n’y a pas eu d’enquête sur le mot ou le sens considéré.
Pour illustrer ces faits, et en découvrir de nouveaux, une importante bibliographie a été rassemblée (v. ici, pp. 1053-1088). Si elle convoque bon nombre d'auteurs au rayonnement discret, elle rassemble également bien des noms connus d’écrivains, mais aussi d'historiens ou de géographes : auteurs d’hier (l’Angevin Hervé Bazin, l’Auvergnat Alexandre Vialatte, le Bordelais François Mauriac, le Breton Pierre Jakez Hélias, le Jurassien Marcel Aymé, les Marseillais Marcel Pagnol et Jean- Claude Izzo, les Lorrains Jean Cressot et Pierre Gaxotte, etc.) ou d’aujourd'hui (l’Angevin Pierre Goubert, le Belfortain Alain Gerber, le Breton Jean Failler, le Cévenol Jean-Pierre Chabrol, le Jurassien Bernard Clavel, etc.), tous marqués par le génie du lieu et dont les ouvrages sont largement répandus, y compris à l’étranger.
D’autres sources documentaires ont été mises à contribution : le cédérom du journal Le Monde, les bases de données de l’Institut national de la Langue Française, Nancy : Frantext, MF et Region 13. Ces sources ont été heureusement complétées par divers fichiers manuels dont l’aspect technologiquement obsolète est heureusement compensé par la richesse du contenu ; mais surtout, les rédacteurs ont eu à cœur d’enrichir par leurs dépouillements personnels leurs propres articles et ceux de toute la rédaction 14. Les sources orales, bien quelles soient minoritaires, occupent une partie non négligeable : les rédacteurs ont attentifs à noter ce qu’ils ont pu entendre au fil des conversations de tous les jours et à le restituer avec le maximum de précautions philologiques.
Les articles comprennent tous une bibliographie (v. ici pp. 1089-1118), parfois très abondante, qui reflète surtout le discours lexicographique intéressant les mots traités et qui a été effectivement mise à contribution; on signalera à cet égard la richesse de la bibliothèque du FEW (INaLF, Nancy), qui a beaucoup contribué à étendre et à améliorer la documentation. À ces données lexicographiques se sont ajoutées des éditions critiques de sources lexicographiques inédites, réalisées le plus souvent par des membres de l’équipe 15, l'exploitation lexicographique (encore trop restreinte) de textes non-littéraires, et, dans plusieurs cas, la localisation de textes littéraires anonymes.
13. Cette dernière, spécifique au chantier des régionalismes, contient 7500 contextes tirés de 220 ouvrages, dus à 156 auteurs.
14. Des dossiers d’exemples ont aussi été mis à notre disposition par le regretté Jacques Boisgontier (Sud-Ouest) et par M. Jean-Jacques Chevrier (Vienne).
15. Parus notamment dans la Revue de linguistique romane, dans les Travaux de linguistique et philologie, et dans la collection Matériaux pour l’étude des régionalismes du français (INaLF Nancy ; 14 vol. parus).

3. La nomenclature

3.1. Comme celle de tout dictionnaire, elle résulte de choix. Tous les faits ayant obtenu lors des enquêtes un taux de reconnaissance supérieur à 75 % ont été examinés : une fois éliminés ceux qui n’offraient pas de caractère régional, on a pu en conserver un bon millier. Sont venus s’ajouter à cet ensemble des faits que les diverses sources documentaires invitaient à retenir. On n’a d’ailleurs nullement cherché une vaine exhaustivité et le lecteur doit être averti que cet ouvrage n’est pas un trésor. Il eût été facile de compiler les nomenclatures d’une centaine de recueils différentiels récents, de les habiller d’exemples et de les exposer dans une vitrine où chacun aurait été invité à reconnaître les siens. On a préféré travailler sur une nomenclature réduite, portant sur les faits les plus largement attestés et les plus solidement fondés, et pousser le plus loin possible l’analyse. C’était là, nous a-t-il semblé, la seule option fructueuse sur le plan scientifique qui permette de poser des jalons sérieux.
3.2. À l’évidence, il reste encore de beaux jours à la lexicographie différentielle pour rendre compte de ce qui n’est pas traité dans cet ouvrage et qui pourtant mérite de l’être, à l’aune d’une ou de plusieurs régions de France 16. Escaper, par exemple, figure à la nomenclature, mais non pas son synonyme escamper, entendu dans cette question : « Monsieur, comment on s’escampe de Word ? » (Une élève à son professeur d’informatique ; recueilli dans l’Hérault par Myriam Charre en 1999) ; à côté de bille, côte, cran, raie (de chocolat), on aurait pu enregistrer doigt, dans le même sens, qui n’est pas inconnu en Champagne ; à côté de cornet1 et de poche1 pourquoi pas bourse (comme on dit parfois dans les Pyrénées-Atlantiques) ? à côté de pan (de saucisse), pourquoi pas pli, rond ou tour ? Bien des questions ponctuelles comme celles-ci peuvent être légitimement posées ; elles s’organisent même souvent en sous-ensembles (attendus ou moins attendus), ainsi :
16. La liste n° 1, dans les Index en fin de volume, en contient un certain nombre.
Par contre, c’est délibérément que nous n’avons même pas effleuré certains sous-ensembles. Ainsi les expressions familières (aujourd’hui vieillissantes, mais bien attestées dans la période considérée) désignant la folie, qu’aucune enquête n’avait inscrites à son questionnaire : aller à/être bon pour Bron ou pour le Vinatier (Lyon), pour le Bois de Cros ou Sainte-Marie (Puy-de-Dôme), pour Cadillac ou pour Picon (à Bordeaux), pour La Colombière (Hérault), pour la Grimaudière (Vendée), pour Morlaix (Finistère), pour Stephansfeld (Bas-Rhin), pour Viersat (Creuse), etc. ; autant de manières de dire qui invitent à considérer l'ancien aller à Charenton ou le plus récent à Sainte-Anne (Paris) comme des régionalismes... de Paris. On sait aussi qu’entre doudou, récemment accueilli dans le français de référence comme désignant l’objet transitionnel, et les nombreux idiolectes correspondants que l’on peut glaner, il existe de larges sous-ensembles organisés par aires géographiques : là encore, seules des enquêtes systématiques permettraient d’appréhender la réalité. Et s’est-on jamais demandé – aucun domaine n’est trivial pour le lexicographe –, comment les Françaises et les Français (quand ils sont enfants ou parlent à leurs enfants) nomment au quotidien les crottes de nez et les mucosités nasales ? L’éventail des mots que l’on peut recueillir est très ouvert et, lui aussi, étonnamment organisé par aires géographiques : quelques recueils différentiels, à vrai dire, s’en sont occupé, mais là encore des investigations seraient à mener pour préciser les aires où l’on dit, dans le premier cas (et le plus souvent au pluriel), boulette, chien, crapaud, gratton, grognotte, loulou, lulu, moineau et, dans le second, loche, mèche, mèque, morcelle, mouquine, niaque, nifle, poireau, etc. Exceptionnellement, on a retenu en ce sens magnin, à la faveur d’un article plus vaste où il s’intègre parfaitement.
Nous avons aussi écarté systématiquement les surnoms que se donnent entre eux les Français, de Bitor ("Thiernois") à Ventre à choux ("Vendéen") et Vosges- patt' ("Vosgien"), en passant par Cagouillard ("Charentais") et Dromadaire ("Dromois") et le plus connu d’entre eux, Chtimi ("habitant ou originaire du nord de la France"). À l’exception de quelques termes comme couillon, putain et pute, nous n’avons pas davantage traité les mots qui sont passés dans le français populaire ou l’argot (même si leur emploi n'est pas argotique dans leur région d’origine et y constitue parfois un régionalisme de fréquence) : ainsi accumonceler "accumuler", arpion "doigt de pied ; ergot", arquer "marcher", canon "verre (de vin)", castagne "bagarre" et castagner "bagarrer", cramer "brûler", emplâtre "gifle" et emplâtrer "gifler", ensuquer "assommer ; abrutir", loufe "pet", loafer "lâcher un pet", moifler "subir qqc. de pénible", palanquée "quantité importante", rouste "correction", scoumoune "mauvais sort", tchatche "parole facile" et tatcher "parler, bavarder".
3.3. Quelques faits enfin ne figurent pas à la nomenclature lorsqu’une analyse serrée a permis de constater, souvent malgré leur présence dans les recueils différentiels qu’ils appartiennent à l’ensemble des locuteurs de France ; c’est le cas, pour ne citer qu’un exemple parmi bien d’autres, de soigner (le bétail), certes méconnu par la lexicographie générale, mais que le nombre, la diversité, et la répartition géographique de ses occurrences dans les fonds documentaires invitaient à ne pas prendre en compte ici (Frantext permet de le repérer par exemple en 1668 chez Jean de La Fontaine 17 et trois siècles plus tard chez Charles de Gaulle 18, deux auteurs qui ne sont guère exposés aux régionalismes). Au bénéfice du dossier qu’on a pu dresser, on a cependant maintenu à la nomenclature des faits dont le caractère régional est sans doute discutable, ainsi compte, faire de l'essence (s.v. faire), lancer. Inversement, la recherche a permis de débusquer des régionalismes s.v. char, cheneau ou chéneau, corme, sauce, semer.
17. « Je trouve bien peu d’herbe en tous ces râteliers. / Cette litière est vieille ; allez vite aux greniers. / Je veux voir désormais vos Bêtes mieux soignées » (L’Œil du maître).
18. « Bien que les villages et les fermes eussent beaucoup souffert et en dépit de tout ce qui faisait défaut aux exploitants, on pouvait voir partout les champs cultivés, le bétail soigné, aussi bien que possible » (Mémoires de guerre. Le Salut, 1959).

4. La rédaction

Il n'est pas un rédacteur qui n’ait bénéficié du concours des autres membres de l’équipe. On a tenu cependant à présenter des articles signés, c’est-à-dire particulièrement ou exclusivement pris en charge par les signataires, l’aide reçue étant d’ordre documentaire. Dans le cas de deux (ou trois) signatures, on a opté pour une présentation de celles-ci par ordre alphabétique des auteurs. Le tableau récapitulatif ci-dessous permet, sous cet aspect, de rendre à chacun son dû.

5. La relecture

Plusieurs chercheurs ont apporté de nombreuses suggestions ou compléments à une première version de certains articles, et la rédaction finale leur est redevable de bien des améliorations : Arlette Bothorel-Witz (Strasbourg), Christian Camps (Montpellier), Fernand Carton (Nancy), Myriam Charre (Lunel, Flérault), Pierre Enckell (Paris), Mary et Philipp Hyman (Paris), Michaela Heinz (Eschenbach/Main, Allemagne), Alain Litaize (Nancy), Bernard Moreux (Bosdarros, Pyrénées-Atlantiques), Marie-Rose Simoni-Aurembou (Paris), Willy Stumpf (Nancy), Michel Tamine (Villers-Semeuse, Ardennes), Christiane Tetet (Besançon).
Un éclairage précieux et des données de premier ordre ont été fournies par des spécialistes travaillant sur le français hors de France : Michel Francard et l’équipe Valibel (Louvain-la-Neuve) pour la Belgique ; Claude Poirier et l’équipe du TLFQ, notamment Nathalie Bacon et Steve Canac-Marquis (Université Laval. Québec) pour le Québec ; André Thibault pour le Québec et la Suisse romande et aussi, dans ce dernier cas, l’équipe du Centre de dialectologie de Neuchâtel et Pierre Knecht.

6. La cartographie et les illustrations

Environ 500 cartes ont été réalisées par Simone Majin et une centaine par Myriam Charre, dont 330 ont pu être mises au net pour cette édition. Elles s’appuient sur les résultats des enquêtes auxquels on a ajouté les données recueillies au cours de la rédaction des articles. Leur force illustrative fait parfois regretter quelles ne soient pas plus nombreuses.
Quelques clichés ponctuent le texte (ainsi s.v. bredele, escargot, gâche, godaille), témoignant de la présence de ces termes dans l’environnement visuel quotidien. Il ne sont qu’un faible aperçu de données plus systématiques que pourrait fournir un cédérom.