berme, berne n. f.
I. 〈Normandie, Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Eure-et-Loir, Centre-Ouest,
Indre-et-Loire, Champagne, Ardennes, Lorraine, Dordogne〉 usuel "bande de terre herbeuse située entre la partie carrossable d’une route ou d’un chemin
et le fossé qui les longe". Stand. accotement, bas-côté. – Bermes jaunies (C. Tessier, Eugénie du Château-vert, 1988, 160).
1. Tragique accident près de La Loupe [Eure-et-Loir] / […] Manquant le virage, une voiture
a franchi la berme. (La Gazette française, n° 747, 24 avril 1959.)
2. Souvent elle avait admis la compagnie d’un garçon pour se faire reconduire de nuit,
à l’issue d’une réunion au club des jeunes ou à la fin d’un exercice religieux trop
tardif. C’était accepté, passé dans les mœurs depuis des générations. Les mauvaises
langues seules prétendaient que les bermes des routes ou les chemins encaissés voyaient de drôles de choses. (P. Lebois, Terre dévastée, 1965, 76.)
3. Le long de la berme sous le vent était collée une dentelure d’aiguilles de pin que le vent assemblait
en flaques épaisses : cette route envahie par les flaques brunes de l’été, et le crissement
même des pneus sur les aiguilles sèches, il les retrouvait en lui avant même de les
percevoir, mais la joie qu’il y puisait lui paraissait à demi-coupable. (J. Gracq,
La Presqu’île, 1991 [1970], 105.)
4. La ligne du petit train départemental qui, depuis Gosné [Ille-et-Vilaine], avait dessiné
une grande courbe pour prendre la forêt de flanc, traversait la route à cet endroit
pour côtoyer ensuite la berme droite, devant la ferme. (P. Lebois, La Flache aux écureuils, 1971, 120-121.)
5. Sur la berme, dans les fossés, et jusque dans les champs avoisinants, des véhicules étaient abandonnés
[…]. (Cl. Menuet, Le Pensionnaire, 1993 [1972], 216.)
6. Il se colle à mes trousses, gagne sur moi et vient à ma hauteur, épaule contre épaule.
Nos deux cerceaux roulent maintenant côte à côte. Par bonheur le sien, beaucoup plus
léger, heurte soudain le mien, est rejeté du coup sur la berme de la route où il se couche. Mon cœur tressaille d’allégresse. (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 295.)
7. […] le plus souvent on marchait pieds nus sur les bermes et dans les prés, en portant nos sabots à la main pour ne point les user parce qu’ils
coûtaient cher : sept huit sous, plus d’une journée de lessive ! (J. Boutin, Louis Rougé, le braconnier d’Anjou, 1979, 25.)
8. Les routes étroites étaient bordées sur les bermes de poiriers et pommiers à hautes tiges, dont les fruits tombés jonchaient la chaussée.
(H. Boré, Les Chemins du destin, 1981, 130.)
9. Ils roulèrent un moment sans rien dire et Fortuné arrêta bientôt la voiture sur la
berme. (L. Petiot, La Bretagne rit, 1982, 109.)
10. Il trottina cent mètres sur la gauche de la route puis repassa à droite. Une voiture
survenant, il prit sa course sur la berme. (G. Guicheteau, Les Gens de galerne, 1983, 201.)
11. Tenez, le tombereau qui descend là-bas en forçant sur la berne pour freiner le poids de son fumier, c’est un gars de par [= des environs de] Reuille.
(L. de La Bouillerie, Le Passeur, 1991, 15.)
12. Ce cantonnier-là était un joyeux luron. Mais il en avait plus que marre des réflexions
pas toujours intelligentes qu’on lui faisait quand, assis à l’ombre, il rebattait
sa faux le long des chemins dont il fauchait les bermes. (Y. Péan, Malices du terroir, 1991, 71.)
13. Dans cette région, en mai, des tapis écarlates se déroulaient un peu partout sur les
champs, débordant jusque sur les talus et les bermes des routes. (L. Lebourdais, Les Choses qui se donnent…, 1995, 123.)
14. Il traversait alors lentement le carrefour, rangeait sa voiture sur la berme vingt mètres plus loin, sa femme montait dans l’auto et ils poursuivaient leur route.
(J.-Cl. Boulard, Le Charretier de la Ravissante, 1996, 74.)
15. La gelée blanche qui, le matin, enfarinait les bermes de la route, avait disparu. (H. Noullet, La Falourde, 1996, 163.)
16. À 21 h 35, la DS présidentielle roule à 110 km/h, quand, après avoir traversé Nogent-sur-Seine,
une violente explosion retentit au moment précis où elle passe devant un tas de sable
déposé sur la berme par les Ponts-et-Chaussées. (J. Delarue, Objectif n° 1 : tuer De Gaulle !, 1997, 43.)
— 〈Sarthe〉 prendre la berme loc. verb. "quitter la chaussée et rouler sur l’accotement".
17. Maître Besnard, pour faire plaisir à son voisin, lui avait confié le volant. Le conducteur,
ému, maladroit et un peu éméché, laissa la voiture prendre la berme. Pour redresser l’engin et éviter d’aller au fossé, il se mit à tirer sur le volant
en criant « Oh, oh ! ». (J.-Cl. Boulard, Le Charretier de la Ravissante, 1996, 91.)
II. 〈Champagne, Ardennes〉 berne "fossé ou talus bordant une route, un chemin". Renverser sa voiture dans la berne (TamineArdennes 1992).
■ dérivés. 〈Ardennes〉 berner v. intr. "mettre sa voiture au fossé" (TamineArdennes 1992).
◆◆ commentaire. Extensions de sens à partir de berme "chemin laissé entre une levée et le bord d’un canal ou d’un fossé" (NPR 1993-2000 ; cf. Cotgr 1611 barme, v. FEW). La première (I) est retenue sans marque par le TLF ("chemin, passage entre une levée et un canal, un fossé, le long d’une route", mais avec un exemple du Normand La Varende) et reprise par Rob 1985 ("chemin laissé entre une levée et le bord d’un canal ou d’un fossé, ou au bord d’une
route, entre la route et le talus") et Lar 2000 ; elle n’a pas été non plus repérée sur des panneaux de signalisation
routière. Aucun dictionnaire n’a relevé cette extension de sens chez Balzac : « […] avant qu’aucun de ses surveillants l’eût même couché en joue, il leur avait appliqué
un coup de fouet qui les renversa sur la berme » (1829, Les Chouans, dans La Comédie humaine, éd. Béguin-Ducourneau, 1967, tome 11, 674), explicitée quelques pages plus loin :
« Deux soldats, amis de ceux que Marche-à-terre avait si brutalement dépêchés d’un coup
de fouet sur l’accotement de la route […] » (ibid., 688)a. Ces extensions de sens sont bien attestées depuis le 19e siècle dans les parlers dialectaux d’oïl pour la forme berne "accotement d’une route" dans le Nord-Ouest et le Centre d’une part et l’Aisne, la Meuse et les Ardennes d’autre
part (norm. havr. Thaon, Villette, hag. Mayenne, ang., loch. morv. cités dans FEW 1, 334a, berme ; y ajouter Chaourse, Sedan, Vouth.)b, "fossé/talus le long d’une route" dans le Nord-Est (Clairv. mouz. Langres, argonn. Florent, Charleville, Bouillon,
Moselle, Vouth. Pierrec. cités dans FEW 1, 334a ; y ajouter SedanE. Sécheval, Cum.).
Le caractère régional du mot se dénonce par sa présence dans les recueils de cacologies
(« Tomber dans la berne, faute très commune. [Il faut dire] Tomber dans la berge » MichelLorr 1807) et dans la métalangue de certains glossaires ("sorte de pavé destiné à maintenir les bordures des bernes sur les routes […]" ThibaultBlois 1892 s.v. kornprobst), et sa prégnance par les francisations approximatives signalées (« il faut lui substituer le mot fossé, et non pas celui de berge, comme quelques personnes le croient » MulsonLangres 1822 s.v. berne) ou encore par l’emploi idiolectal de accotement au sens de berme, terme de fortification, relevé chez Gracq (TLF 1, 425b). La mise en rapport, fréquente
dans les glossaires dialectaux, entre un dialectal berne et le français berme (« Berne est peut-être le même mot que le fr. berme » ChambureMorvan 1878 ; de même BaudoinClairvaux 1886 ; FleuryHague 1886 ; ThibaultBlaisois
1892 ; GuerlinThaon 1901 ; VerrOnillAnjou 1908 ; JuretPierrecourt 1913) préfigure
probablement le souci de normalisation qui a entraîné l’expansion supra-régionale
de la forme berme, dominante à l’écrit, et, par conséquence, des réflexions métalinguistiques du type :
« on dit la berne, mais il faut dire la berme » (Sarthe, début des années soixante-dix, souvenir personnel). Cependant les dictionnaires
de régionalismes qui s’appuient essentiellement sur des enquêtes orales n’enregistrent
que la forme berne (RLiR 42, 159 ; LepelleyBasseNorm 1989 ; TamineArdennes 1992 ; LepelleyNormandie
1993 ; TamineChampagne 1993 ; BlanWalHBret 1999), tandis que RézeauOuest 1990 la signale
en variante de berme. En Belgique et en Suisse, c’est cette dernière forme qui s’emploie dans la locution
berme centrale "terre-plein séparant les deux sens de circulation d’une autoroute, d’une avenue", mais la forme berne est signalée également en Belgique (MassionBelg 1987 ; cf. DSR). Les différences
sémantiques (cf. encore Belgique berme "trottoir" MassionBelg 1987) se laissent ramener, à partir du sens global de "bordure non carrossable d’une chaussée", à des applications spécialisées à l’un ou l’autre des éléments qui composent cette
bordure. La dispersion des aires géographiques d’emploic et l’absence d’attestation antérieurement au 19e s. (Balzac) laissent penser que ce sens a dû se développer dans la langue technique
des ponts et chaussées à partir de celui d’"espace laissé au bord d’un fossé, d’un canal, pour arrêter les terres qui viendraient
à s’ébouler" (dep. 1751, FEW 15/1, 96a, berm). En tout cas, il est peu indiqué de faire remonter berne à un étymon gaulois *bergna (Hubschmid, v. ibid.) et berme au néerlandais berm (ibid.), si frm. (pavillon/drapeau en) berne et (pavillon en) berme (1728) sont ramenés à ce même néerlandais berm.
a Balzac emploie encore berme au sens de "bas-côté de la route" dans Un début dans la vie, 1845, 96 (éd. Robert/Matoré).
b En Côte-d’Or, l’ALB 327 donne 8 attestations de berne f. "bordure herbeuse de la route", au lieu de accotement m. ailleurs sur la carte ou bien banquette dans la Nièvre.
c La présence du terme dans P. Magnan (ainsi Le Tombeau d’Hélios, 1985 [1980], 182 « Six roues de l’attelage venaient de mordre sur la berme » et Le Parme convient à Laviolette, 2000, 102 « […] convenablement garée sur la berme, cette voiture […] »), s’explique probablement par les fréquents séjours de l’auteur en Bretagne.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Basse-Normandie, 90 %, berne ; Haute Bretagne 70 %, berne et 45 %, berme ; Centre-Ouest, 40 % (Vienne, 0 %), berme ; Basse Bretagne 30 % (berme et berne confondus).
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