chapuser ou chapuiser v. tr.
1. fam. [Travaux de bricolage]
1.1. 〈Haute Bretagne, Maine, Anjou, Allier, Franche-Comté, Haute-Savoie, Savoie, Ain, Isère,
Aveyron (nord), Lozère, Ardèche, Auvergne, Limousin〉 "travailler, façonner (une pièce de bois) avec un outil tranchant, souvent un couteau". Notre voisin chapuse un morceau de tilleul pour en faire un bac à fleurs (MazaMariac 1992).
1. Après avoir choisi un beau sapin[,] le plus jeune Conseiller l’abattit et le plus
adroit fut chargé de le chapuser pour faire un beau manche [de bannière] digne de saint Valère. (R. Bichet, Contes de Mondon et d’autres villages comtois, 1975, 87.)
2. À l’étage inférieur, Gonin et l’Artiste chapuisaient leurs allumettes [de contrebande], mais sans entrain, l’oreille tendue à ce qui se
passait dans la chambre. (J. Anglade, Les Ventres jaunes, 1991 [1979], 158.)
3. Il y avait les outils à fabriquer ou à réparer – des manches de fourches, de pelles,
des râteaux à « chapuzer » [sic] pour leur donner un aspect lisse, et surtout pour qu’ils soient agréables à manier.
(G. Thévenot, Une vie de Creusois, 1996 [1981], 78.)
4. – Pimpigne, t’aurais dû le prendre plus gros ton noisetier ! Ça fait rien, tu vas
le tailler un peu. Tu vas me chapuser ça avec un couteau, pour qu’il glisse bien dans le canon. (R. Eymard, Nous sommes tous des Nez noirs, 1988, 90.)
5. Joseph est vraiment adroit à « chapuiser » le bois. Il « a la main », comme on dit. (A. Aucouturier, La Mère-Nuit, 1998, 28.)
— Emploi abs.
6. Leurs motifs [les modèles de carton des dentellières] ont été transposés par le couteau
des hommes qui « chapusaient » à leurs côtés lors des longues veillées d’hiver. (Métiers d’art, n° 15, 1981, 16.)
7. Et voilà tout le monde assis sur le bord de la chaussée, les pieds dans l’eau, à chapuiser avec son canif ou son couteau de survie pour inscrire dans l’écorce son prénom ou
celui de sa copine […]. (A. Aucouturier, Le Dénicheur d’enfance, 1996, 163-164.)
— Au part. passé/adj. Un petit bout de bois chapusé de mesure [= bien ajusté] (BridotSioule 1977 s.v. petaille).
— Spéc. 〈Haut Jura〉 "entailler du bois", 〈Limousin〉 "tailler grossièrement".
1.2. 〈Franche-Comté, Creuse.〉
— "fabriquer avec du bois (des objets mobiliers ou de décoration), en professionnel".
8. Le menuisier chapuse les buffets pour les jeunes ménages, les chaises, les tables. (J. Garneret, Vie et Mort du paysan, 1993, 56.)
● Au part. passé/adj.
9. Poêle de la maison Baud, détail du grand placard. Le corps supérieur, ancien et orné,
le bas, plus récent, chapusé au moment où le feu ne se faisait plus à l’âtre et où la platine ne chauffait plus
la chambre. (J. Garneret, Le Présent d’un village, 1985, 148 [Légende d’une figure].)
● Emploi abs.
10. Chacun aidait le premier à bâtir […]. Il y avait des artisans qui guidaient. Celui
qui ne savait ni maçonner ni chapuser regardait les autres faire et s’y mettait vite. (J. Garneret, L’Amour des gens, 1972 [1950], 18.)
— 〈Franche-Comté, Lyon, Creuse〉 parfois plaisant ou péj. "fabriquer avec du bois (des objets mobiliers ou de décoration), en amateur".
11. Tout le monde se découvre une tendance ridicule à bricoler, à redevenir artisan, contrairement
à tout bon sens puisque ce qu’il chapuse, il l’achèterait pour rien. (J. Garneret, La Maison rurale en Franche-Comté, 1968, 3.)
● Emploi abs. Un enfant qui « chapuise » (ALMC 1052*).
12. On remarque fréquemment […] des maisons sans granges, mais avec cellier : une cave
voûtée, deux chambres à l’étage, un escalier extérieur protégé d’un toit. Le contrat
du premier enfant qui se mariait prévoyait que les jeunes donneraient à leurs parents,
une fois l’âge de se retirer, ces deux chambres […]. Retraité, il [le vieux père]
mène les bêtes ou les garde l’automne, bricolant à l’écurie ou au lapinier, « chapusant », réparant, égrenant les « turquies » [= maïs]. (M. Marguerite, « Les Maisons paysannes de la Franche-Comté », La Tradition franc-comtoise, t. 1, 1979, 79.)
1.3. 〈Doubs, Ardèche〉 "taillader par maladresse ou manque de soin, ronger". Syn. fam. coupailler. – Leur chien a chapusé les pieds de la table pour se faire les dents (MazaMariac 1992).
13. [Un écolier dénonce les méfaits d’un camarade] – Il a chapusé la règle ! (A. Aucouturier, La Mère-Nuit, 1998, 32.)
— Par ext. 〈Doubs, Jura〉 "découper de manière maladroite". Stand. déchiqueter. – Arrête de chapuser ce morceau de viande en le coupant n’importe comment (RobezMorez 1995).
2. 〈Franche-Comté, Drôme, Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme〉 "couper ou fendre (du bois) ; couper (des branches pour faire des fagots)". Il a chapusé la planche et s’est fait des petits morceaux de bois pour allumer le
feu (RobezMorez 1995).
— Emploi abs.
14. Parmi eux [les habitants de Mondon, venus faire les fagots] il y avait un certain
Vuillemot qui n’avait pas son pareil pour chapuser et qui savait si bien aiguiser sa serpe qu’elle coupait comme un rasoir (R. Bichet,
Contes de Mondon et d’autres villages comtois, 1975, 78.)
■ variantes. 〈Gard (Alès), Aveyron〉 capuser (MazodierAlès 1996 ; NouvelAveyr 1978).
◆◆ commentaire. Attesté dep. 1562, chez un auteur poitevin (« c’est un joug, mon Gillot, que je dole et chapuse » J. Bereau, Les Églogues et aultres œuvres poétiques, éd. Gautier, 23). Les acceptions modernes principales de 1. ("tailler, travailler le bois en l’amenuisant") prolongent les sens anciens et courants en afr. et mfr. ("charpenter ; tailler (du bois) ; fendre ; frapper ; ronger" (Gdf, TL, s.v. chapuiser) tout en les affaiblissant ; prolongent également les acceptions de l’aoccit. capusa, chapusa "tailler, sculpter" employé aussi au fig. chez Arnaut Daniel : Fas motz e’ls capus e’ls doli (Rn s.v. chaple, capuzar). Le terme est marqué « vx » par les dictionnaires du 19e s. (dep. AcC 1842), puis « vx et/ou région. » (Gdf ; FEW ; TLF). L’aire d’emploi de chapuser, chapuiser contourne l’aire d’influence du Bassin parisien (de la Haute Bretagne au Rouergue
et de la Franche-Comté au Gévaudan, en englobant Maine, Poitou, Charentes, Limousin,
Auvergne, Isère, Ain, et les deux Savoies). Si l’on excepte quelques attestations
languedociennes, il est net que l’aire d’emploi du particularisme français déborde
largement celle des diatopismes dialectaux ; ainsi, dans ALJA 566, fr. chapuiser, mot titre de la carte, glosé "couper du bois avec un couteau", rend compte des types ⌈ chapota ⌉ pour l’Ain, l’Isère, les Savoies, et ⌈ chapuzi, chapuze ⌉ pour le seul Jura, dans ALAL 313, il rend compte des types ⌈ crousa ⌉ pour la Dordogne (nord), la Haute-Vienne (sud), la Corrèze (sud-ouest) et ⌈ chapuza ⌉ pour le reste de l’aire. Des observations du même ordre peuvent être faites pour
les cartes où le mot-titre, avec guillemets (ALBRAM 391), ou sans guillemets (ALFC
427, ALMC 1051), a été préféré à une glose descriptive. Chapuser, concurrencé par le type ⌈ chapler ⌉, est également absent de l’aire lyonnaise et forézienne à l’exception des emplois
au sens "bricoler", attestés en zone urbaine chez ColletLyon 1996 (mais déjà chez VachetLyon 1907 et
Les Oisivetés du sieur Puitspelu 1883, cité par SalmonLyon). Le mot se signale donc comme un archaïsme en marge des
grandes aires d’influence parisienne et lyonnaise (v. encore, pour l’extension maximale
à l’est : chapuser et chapuiser « vieilli » Pierreh). Le sens 2. "couper, tailler le bois (pour obtenir les morceaux de bois)", attesté dans Widerhold 1669, paraît un développement plus récent (dep. 1753, BrunFrComté ;
"couper du bois en menus éclats" Mém. Doubs, 1868 ; TLF « vx ou région. », avec un ex. de G. Sand ; Ø Rob 1985). Cet emploi est relevé essentiellement en Franche-Comté
et au sud du Massif-Central (ALMC 1051*) ; on remarquera par ailleurs l’attestation
lointaine fournie par Gdf, concernant le français de Guyane, chapuser un abattis de bois (1870). Le verbe est surtout utilisé aujourd’hui pour désigner de petits travaux
d’ajustage et de bricolage.
◇◇ bibliographie. FEW 2, 281 b, *cappare ; BrunFrComté 1753 "couper menu ; chapeler" ; VillaGasc 1802 capuzer "charpenter, menuiser, tailler du bois en menus morceaux ; dégauchir, équarir" ; JaubertBerry 1838 chaputser "couper menu" ; ConnyBourbR 1852 "amincir, couper par morceau[x]" ; MègeClermF 1861 "tailler, râcler, raboter du bois ; enlever des morceaux à une pièce pour la rendre
plus mince" « se prend ordinairement en mauvaise part » ; JaubertCentre 1864 "travailler au charronnage ou à la menuiserie" ; GasconDole 1870 ; BeauquierDoubs 1881 "couper du bois en petits morceaux" ; PuitspeluLyon 1894 "tailler menu, couper en débris ; charpenter" ; CarrezHJura 1906 "entailler du bois" ; VachetLyon 1907 "s’amus[er] à avoir un petit atelier pour scier, raboter, assembler du bois" ; VerrOnillAnjou 1908 "coupailler, tailler en menus morceaux ; tailler du bois, menuiser, charpenter" ; BoillotGrCombe 1929 "couper, tailler du bois en petits morceaux" ; JouhandeauGuéret 1955 "enlever l’écorce du bois et le tailler" ; GarneretLantenne 1959 "travailler le bois (maladroitement)" ; R. Bichet, Contes de Mondon et d’autres villages comtois, 1975 glossaire "faire le travail du chapus ou menuisier ; couper, fendre du bois en petits morceaux" ; BonnaudAuv 1976 "taillader (maladroitement) ; faire des copeaux en taillant" ; BichetRougemont 1979 "faire le travail du chapus ou menuisier" ; RouffiangeMagny 1983 "taillader un morceau de bois" ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ; BridotSioule 1977 "amincir du bois par petits copeaux" ; TrouttetHDoubs 1991 chapuser "tailler un bâton, l’embellir par des sculptures avec l’écorce" ; MazaMariac 1992 "façonner un morceau de bois avec un couteau ; abîmer un objet en le tailladant" ; DuchetSFrComt 1993 "couper du bois en petits morceaux" « mot toujours utilisé dans le Haut-Jura [aux sens 1 et 2] » ; FréchetMartVelay 1993 (sens 2) « forme de l’ouest » ; SalmonLyon 1995 "menuiser" donne un seul ex. daté de 1883 ; RobezMorez 1995 (sens 1 et 2) « mot toujours utilisé dans le Haut-Jura » ; CottetLyon 1996, 37, "bricoler, [faire] de petites réparations" ; FréchetDrôme 1997 (sens 2) « mot très peu vivant » ; JacquotChampagney 1998 chapuser, chapuger "tailler" [sic] (la seconde forme est marquée d’un trait du patois local).
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Creuse 70 % ; Corrèze 55 % ; Haute-Vienne 30 % ; Dordogne
(nord) 10 %.
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