charte [ʃɑʁt] n. f.
〈Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Mayenne, Sarthe〉 rural, fam. "véhicule automobile pour le transport des personnes". Stand. auto, voiture, fam. bagnole.
1. « Ah ! Y a-ti à se méfier […] sur les routes, avec toutes ces chartes qui sont menées par des fous ! » (H. Bouyer, L’Éclair, 23 avril 1960, dans BrasseurNantes 1993.)
2. La mise en route de la camionnette nécessite tout un cérémonial. […] Quand le moteur
tourne, enfin, notre mitron a plus chaud que devant son four. Il arrache la manivelle,
la jette sur le plancher de l’auto. « Sale chârte ! » (L. Lebourdais, Les Choses qui se donnent…, 1995, 152.)
3. De plus nous étions, sur ce chemin rural quasi désert[,] à l’abri des chârtes, c’est-à-dire des autos. On avait la route pour soi tout seul. (L. Lebourdais, Les Choses qui se donnent…, 1995, 225.)
4. Pour redresser l’engin et éviter d’aller au fossé, il se mit à tirer sur le volant
en criant « Oh, oh ! ». Maître Besnard eut juste le temps de hurler pour que la voiture ne bascule pas :
« Bon sang, attention, c’est plus la Ravissante [une jument] qui nous tire, c’est une
charte [en note : voiture]. » (J.-Cl. Boulard, Le Charretier de la Ravissante, 1996, 91.)
V. encore s.v. même, ex. 7.
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
5. Le soir, à voix basse, quand on nous croyait endormis, ils se plaignaient encore de
ces maudites entrées de champ qui interrompent le fossé le long des routes, un fossé
où parfois versait la « charte » (l’automobile), quand on rentrait un peu trop tard de la foire ou de la noce. (P. Chauveau,
Les deux Chines [sic], 1997, 44.)
■ graphie. Parfois chârte (ex. 2-3) indiquant le [ɑ] postérieur.
◆◆ commentaire. Formation régressive, à partir de fr. charretée [ʃaʁˈte] et charretier [ʃaʁˈtje], d’abord attestée en 1532 comme dénomination d’une charrette dans le français régional
de l’Angevin Charles de Bourdigné (« […] En une charte, ou en ung tombereau, Il fist mettre ung cuvier tout plain d’eau
[…] » PFaifeuV IX, 29-30 = Huguet)a ; aussi en Ille-et-Vilaine en 1653 (A. Croix, Moi Jean Martin, recteur de Plouvellec…, 1993, 152), par l’Angevin Du Pineau dans ses Mots normans (ca 1750) pour commenter charterie (« du vieux mot chârte pour charette » DuPineauC 81) ; cf. ChambonÉtudes 1999, 262 (att. en fr. d’Anjou 1564-1632). En ce
sens le mot est répandu dans les parlers ruraux de l’ouest et du centre du domaine
d’oïl aux 19e et 20e siècles (FEW 2, 428b, carrus et n. 11). À cette époque, la nature du référent et l’équivalence évidente avec le
fr. charrette connotent le mot comme appartenant à la langue des paysans et donc au dialecte. C’est
à ce titre qu’il peut être employé à l’écrit accompagné de marques typographiques
ou dans des propos rapportésb. Dans le même registre il a pu être appliqué à des véhicules hippomobiles pour le
transport des personnesc. C’est de là qu’il est passé dans le français régional familier comme un équivalent
de fr. fam. bagnole (attesté au sens de "voiture automobile" dep. 1906, selon CellardRey 1991), ou charrette (au même sens dep. 1937, selon TLF), tous deux semblablement dénominations de véhicules
hippomobiles originellement (v. respectivement FEW 1, 327b, benna ; 2, 427b, carrus). Le terme n’est pas pris en compte par les dictionnaires généraux contemporains.
a Cf. ChambonÉtudes 1999, 262.
b Par exemple : « Une charte à grandes roues tirée par un cheval gris […] s’arrête devant la grille » (H. Bazin, L’Huile sur le feu, 1954, 302-303) ; « Du coin de l’œil, il surveillait l’entrée de la cour, quand soudain, il vit sa vieille
charte ployant sous le chargement. Il est allé dans la grange et d’un ton sec leur a ordonné :
“Vous allez immédiatement me vider la moitié sur une autre charte” » (J. Guillais, La Berthe, 1990 [1988], 97-98) ; « J’attelle une jument sur ma grande “chârte” […] » (Y. Brochet, « Allez, tôpette ! », 1998, 126).
c Ainsi : « […] le bruit tout proche d’une voiture roulant avec le cheval au pas leur arrive.
Les deux apprenties se tordent le cou pour mieux regarder par la fenêtre ; elles annoncent :
“C’est maît’ Dupuis qui s’en va en route. Tiens ! Y a ses nièces, dans la charte.” […] elle a juste le temps d’apercevoir, à l’arrière du cabriolet, deux taches claires
qui sont deux ombrelles ouvertes fuyant vers le haut de la place » (Bl.-M. Depincé, Au Carillon de l’Ouest, 1975, 143).
◇◇ bibliographie. BrasseurNantes 1993 ; BlanWalHBret 1999 "charrette, vieille voiture" « peu fréquent, rural, Loire-Atlantique et Ille-et-Vilaine ».
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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