chez prép.
I. 〈Nord, Mayenne, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Deux-Sèvres, Charente-Maritime, Charente,
Saône-et-Loire (Montceau), Franche-Comté, Loire (Poncins), Puy-de-Dôme, Limousin,
Dordogne (nord)〉 fam. chez + prénom ou nom de famille "la famille de n" (quand le groupe nominal ainsi formé est en fonction de sujet, le verbe s’accorde
au pl.). Chez Huttgès m’ont téléphoné en fin de matinée (Enseignante retraitée, 60 ans, originaire de Lons-le-Saunier, Belfort, 8 février
2000).
1. Malvina m’a dit aussi que chez Jambe de Fer[,] au Terriol, s’étaient fâchés cette nuit. (G. de Lanauve, Anaïs Monribot, 1995 [1951], 35.)
2. Mais, plus haut, en allant contre [= vers] Etalans il y avait chez Guisot, le père Guisot, la mère Guisot, Jules, la Jeanne, deux bons vieux. (Témoin
né en 1891, évoquant en 1958 son enfance dans le Doubs, dans J. Garneret, Vie et Mort du paysan, 1993, 186.)
3. Aux pauvres sédentaires on donnait plus volontiers un panier de pommes de terre ;
certaines familles comme chez Henry […] en avaient en permanence une corbeille pleine au chari [= hangar pour les
véhicules agricoles]. (M. Sauvages, « Les Travaux et les jours dans les Vosges saônoises », dans Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n.s., n° 9, 1980, 6.)
4. – Vous faites tout toute seule ?
– Ben oui. Je fais avec chez Landry, les fils Landry. (J. Garneret, Le Présent d’un village, Villers-Buzon, 1985, 173.) 5. Deux mots seulement pour vous dire de me faire une commission, c’est de remercier
pour moi chez Gérard de leurs bons vœux et surtout de la photographie de leur petit Antoine […].
(Lettre d’une agricultrice, 90 ans, de Montagney, Haute-Saône, le 8 janvier 1985 ;
archives personnelles de J. Mandret-Degeilh.)
6. Voici chez Annie qui débarquent. […] Ils coucheront ici pour repartir demain matin à 8 h […].
(Lettre de P. M., trésorier payeur général à la retraite, 74 ans, originaire de Champlitte,
Haute-Saône, 27 janvier 1987 ; archives personnelles de J. Mandret-Degeilh.)
7. Des rues que ne baptisait aucun personnage célèbre, mais des rues connues de tous,
désignées par un nom qu’on apprenait par ouï-dire ; désignation qui variait même selon
les familles. La rue de « la Marie Migneret » pouvait s’appeler aussi la rue de « chez Chrétien »… Il y avait la rue de « chez Coudry », celle de « la Suzanne Héliot… » […]. (J.-L. Clade, La Vie des paysans francs-comtois dans les années 50, 1988, 133.)
8. Chez Milo exploitent une ferme dont ils sont propriétaires […]. (P. Jeune, « La Félicie cause au Milo », dans Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n.s., n° 19, 1992, 233.)
9. Nous avons un autre pré, le long de la route de Sainte-Foy, en face de chez Plantade ; alors on l’appelle le « pré de chez Plantade ». (Chr.-P. Conte, L’Escarot. Si jeunesse savait, 1993, 21.)
10. Mais l’endroit n’avait jamais été clos, et, à force de temps, depuis qu’y passaient
chez Barre et les autres, c’était devenu une servitude. (M. Delpastre, Les Chemins creux, 1996 [1993], 204.)
11. Cet après-midi, contrairement aux habitudes, c’est relâche au Mas Gardaud. Léonard
en profite pour rendre visite à chez Lachaud et surtout à Élise. (P. Louty, Léonard, le dernier coupeur de ronces, 1995, 126.)
12. Il [un prévenu] décide alors de rentrer chez ses parents, parce que des parents, forcément,
ils vous attendent, ils vous aiment. « Par qui avez-vous été aimé », demande la présidente. « Par ma mère », répond-il après une longue réflexion. « Et par chez B… », sa famille d’accueil. (L’Est républicain, éd. Belfort, 16 septembre 1997, 115.)
13. Chez Duverneuil ont rappelé le médecin qui doit passer ce soir. J’irai prendre des nouvelles.
(Panazô, Le Cafirou, 1997, 229.)
14. « Vois des bêtes aux Tilleuls, monte dans chemin, vois plein de bêtes dans orge à Camille
et dans les alentours. C’est un vrai champ de foire. Vois des bêtes à nous dans le
tas, et les autres à chez Battu. » (« Journal d’un paysan de Creuse [A. Michard, Saint-Médard-La-Rochette] », présenté par T. Jolas et S. Pinton, Terrain. Carnets du patrimoine ethnologique 28, 1997, 160.)
15. On n’a pas vu chez Gérard dimanche dernier (Femme, 66 ans, ouest du Maine-et-Loire, 29 décembre 1999.)
— chez nous (en fonction de sujet) "les miens, ma famille".
16. – Avec ce que vous portez, prenez garde. Si vous m’en croyiez, vous feriez mieux de
coucher ici.
Et d’autres encore se proposèrent pour lui offrir un lit. – Merci ! Je ne peux pas. Chez nous s’inquièteraient. (M. Delpastre, Les Chemins creux, 1996 [1993], 169.) II. 〈Moselle (est), Alsace〉 comment ça va chez toi / chez vous, etc. ? loc. phrast. usuel "(pour demander à quelqu’un des nouvelles de sa santé)". Comment ça va chez toi ? (Universitaire, originaire de Sessenheim [Bas-Rhin], 57 ans, 20 janvier 1998). Et votre femme [sur le point d’accoucher], comment ça va chez elle ? C’est pour bientôt ? (Femme, environ 65 ans, Strasbourg, marché du boulevard de la Marne, 2 janvier 1999).
Comment ça va, chez toi ? T’as du boulot ? (Coiffeur strasbourgeois, environ 40 ans, 4 mai 1999).
◆◆ commentaire. Tours non pris en compte par les dictionnaires généraux contemporains.
I. La dispersion actuelle de ce tour – Nord (et Belgique), Mayenne, des Charentes à la
Franche-Comté (et Suisse romande), Québec (dep. 1804, FichierTLFQ ; GPFC 1930 ; Bélisle ;
« encore courant », A. Thibault) et Acadie (NaudMadeleine 1999) – indique qu’il s’agit d’un archaïsme,
resté à l’écart de la description lexicographique généralea ; il est attesté dep. le 14e s. (1301 « et de chés les Bofarz juque a chés les Rossez » Bourbonnais [Allier], dans G. Lavergne, Le Parler bourbonnais aux xive et xve siècles, Paris/Moulins, 1909, 100 ; 1392 « coste la terre Jehan Mellin d’une part et la terre des heretiers Pere Ravaut d’autre
part et le chemin per lequel l’on vait de ches Ravaut au ry [éd. Ry] d’Agonge d’autre
part » Blomard, dans M.-Th. Morlet, Terriers de l’ancien Bourbonnais, 1385-1476, Fontaine-lès-Dijon, 1998, § 109 ; 1535 à Montbéliard, v. ThomBauhin ; 1585 en Suisse
romande, v. Pierreh). On le rapprochera du type toponymique Chez + nom propre, qui se développe principalement à partir des 15e et 16e s. et couvre une aire médiane qui s’étend d’ouest (de la Loire à la Gironde) en est
(de la Franche-Comté aux Alpes) avec une densité notable dans les Charentes et le
Puy-de-Dôme (v. P. Thomas-Lacroix, RIO 6 (1954), 261-270, avec carte, 262)b.
II. Le diatopisme est ici constitué par le sens de ce tour, distinct du français de référence
où il signifie "comment va votre maisonnée, votre famille" (Rob 1985). Proche à la fois d’als. all. Wie geht es dir ? et de Und bei Ihnen ?, il est attesté dep. 1924 dans le français d’Alsace (« – Comment allez-vous ? – Et chez vous ? » Quelques expressions alsaciennes défectueuses à éviter, Mulhouse, 8 = Als 6 dans WolfFischerAlsace 1983).
a Pour des données, mais sans analyse, v. M. Cohen, Nouveaux Regards sur la langue française, 1963, 73 : « C’est à Fressines [Deux-Sèvres] encore qu’on peut dire “chez Edmée i(ls) viendront dimanche” (la personne féminine nommée ici pour le reste de la famille est la sœur de celui
qui me parlait, plus proche pour lui que son beau-frère). Dans l’Ouest aussi, un lecteur
a recueilli dans la Mayenne “j’ai vu chez le gars Louis” (Louis et sa famille) ; “chez la Renée se sont fâchés”. Un lecteur me dit qu’il a entendu de même à Thiers (Puy-de-Dôme) “chez Michel viendront ce soir”. Un collègue […] m’apprend que cette tournure est usuelle chez les Belges parlant
français (et wallon) et aussi en Suisse romande. La désignation n’est pas faite seulement
par des prénoms ; on peut avoir le nom de famille, précisé au besoin par un prénom,
“chez Legrand vendent leur maison” ; “chez les Durand ont donné un dîner” (voici à la fois chez et les), “chez Louis Brasseur travaillent” ; “chez Élise arrivent ce soir”. Il y a aussi une référence pour Dunkerque et une pour les Charentes. »
b Il n’est pas possible de déterminer si les plus anciennes attestations données par
l’auteur (1344 et 1364 pour l’Aisne ; 1400 pour le Doubs, 1435 pour le Jura) concernent
réellement des noms propres de lieu, fixés et transmis, ou le simple tour chez + nom propre, analysé ci-dessus.
◇◇ bibliographie. (I) ThomBauhin 1981, 144-145 « syntagme commun en Bourgogne, Franche-Comté et Suisse romande » ; MulsonLangres 1822 ; BéronieTulle 1823, 341 « Chez Monsieur un tel sont venus vous voir, n’est pas français » ; SievracToulouse 1836 « On voit sur beaucoup d’enseignes d’artisans cette phrase ridicule. Chez N.. fait et vend toutes sortes de… » ; CunissetDijon 1889 ; « n’en dites rien à chez Vaure » (20 août 1914, VandrandPuyD, 38) ; BoillotGrCombe 1929 « souvent » ; Spitzer Modern Language Notes 67 (1942), 103-108 ; JouhandeauGuéret 1955 ; DondaineAuth 1976 « tournure très usitée » ; MalapRég 1981 « commun en Bourgogne, Franche-Comté et Suisse romande » ; GononPoncins 1984 s.v. caÿe « Il n’y a plus que chez Ch. qui tiennent des caÿes » (Ø à la nomenclature) ; DuraffHJura 1986 « régionalisme inconscient » ; RouffiangeAymé 1989 « en patois et en français rural » ; DondaineMadProust 1991 « emploi courant » ; DromardDoubs 1991 et 1997 ; ColinParlComt 1992 ; DuchetSFrComt 1993 ; RobezMorez
1995 ; ValMontceau 1997 ; LesigneBassignyVôge 1999 ; GrevisseGoosse 1993, § 429 c 3° « dans le français populaire de différentes régions », sans exemple d’auteur ; GPSR 3, 555b ; FEW 2, 450b, casa. – (II) WolfFischerAlsace 1983 (qui ne le relève que dep. 1932) ; SalmonAlsacianismes 1991,
336.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Corrèze, Haute-Vienne, 100 % ; Creuse, 80 % ; Dordogne 60 %. (II) Bas-Rhin, Haut-Rhin, 100 % ; Moselle (est), 90 %.
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