fumature n. f.
〈Gard, Lozère〉 agric., géogr., ethnol. "action de fumer un terrain par le parcage des troupeaux d’ovins".
1. Quant à la fumature elle donnait lieu à des inégalités flagrantes. (A. Fel, « Notes de géographie humaine sur la Montagne de Margeride », dans MélArbos 1953, t. 1, 75.)
2. Après Pelouse, je suis allé à Brajon près de Lanuéjols. On avait quinze cents bêtes,
on était deux. On faisait la fumature comme à Pelouse, on tournait pas la nuit mais c’était à nous de tourner le parc chaque
matin, le propriétaire ne s’en occupait pas. (Témoignage de Yves Hébrard, berger de
transhumance [1977], dans A.-M. Brisebarre, Bergers des Cévennes, 1996, 162.)
3. Ce travail très érudit […] fourmille d’un nombre incalculable de renseignements :
sur le contrat d’afferme d’herbage, sur le contrat qui unit le berger à son maître,
sur l’agnelage, sur la fumature des terrains traversés (véritable providence du paysan et des sols), sur les préparatifs
et les traditions pastorales à la veille de la transhumance, sur la décoration, etc…
(Anonyme, c.r. d’A.-M. Brisebarre, Bergers des Cévennes, dans Lou Païs 237, février 1979, 23.)
— En part. dans le syntagme nuit de fumature.
4. Peu à peu, et surtout à la fin du xviiie siècle, on élabore une répartition plus justifiée des nuits de fumatures [sic], encore en vigueur actuellement. Elles sont proportionnelles à l’étendue de propriété
foncière de chaque exploitant, ce qui maintient encore de criantes inégalités : à
Estables, la plus grosse propriété s’arroge 27 nuits sur 114… (A. Fel, « Notes de géographie humaine sur la Montagne de Margeride », dans MélArbos 1953, t. 1, 75.)
5. Ces nuits de fumature, nuèches de fumada, qui consistent à installer le parc mobile directement sur le terrain à fumer, étaient
fréquentes dans le cas des troupeaux rassemblant toutes les bêtes d’un hameau, surtout
en Lozère. Chaque propriétaire avait alors droit à un certain nombre de nuits de fumature sur ses terres. (A.-M. Brisebarre, Bergers des Cévennes, 1996, 33.)
6. La pratique des nuits de fumature qui existait sur le mont Lozère depuis des siècles a définitivement disparu il y
a treize ans. (A.-M. Brisebarre, Bergers des Cévennes, 1996, 134.)
7. En contre-partie, ils [les transhumants du Midi] font coucher les bêtes sur les terres
labourables ; ce sont les « nuits de fumature » qui fertilisent le sol. (La Vie hier et aujourd’hui sur les versants du Goulet et du mont Lozère, s. d., 16.)
◆◆ commentaire. Certains parlers occitans modernes, notamment ceux du Massif Central, ont emprunté
à fr. fumer "amender (une terre) en y mettant du fumier" (dep. 1481, Gdf)a le verbe fumar "id." (dep. 1723, Aix, FEW ; ALMC 645)b ; ils en ont tiré le dérivé fumada "fumure" (CantalN. LozèreNO., ALMC 646), d’où "pâturage que les bestiaux engraissent de leur fumier" (1836, Murat, FEW) ; celui-ci est passé sous la forme fumade "partie du pâturage d’estive que l’on engraisse en y déplaçant le parc" dans la variété auvergnate du français (Haute Auvergne 1683-1899, RHA 44, 44, 45
n. 149, 45-46, n. 150 ; BullAuv 91, 335 ; encore Monts du Forez 1995, Science & nature, n° 59, octobre 1995, 72)c, puis dans la lexicographie générale, comme terme d’agriculture, au sens d’"amélioration de la terre dans l’espace où les bêtes ont été parquées", dep. Boiste 1829 (« t. d’agr. » Besch 1845 ; FEW ; GebhardtOkzLehngut 359)d. Le dérivé fumature (dep. 1779, Châteauneuf-de-Randon, VieQuotGév, doc. 32 [nuit de fumature] ; Rieutort-de-Randon 18e s., VieQuotGév, doc. 34 [fumature] ; Prévenchères 1809, Lou Païs 209, 54 [nuit de fumature]), spécialement en usage dans la Margeride lozérienne et dans la zone du Mont Lozère,
et lié, comme fumade, aux pratiques de transhumance, a été créé parallèlement, sur le modèle de fr. fumure (dep. 1327, TLF), par un remodelage savant du suffixe probablement suggéré par une
forme occitane de type fumadura (HLoire, ALMC 646* pt 19 ; Lozère, EscoloGév 1992 ; Ø VayssierAveyr 1879) ; une telle
formation ne peut être issue que du milieu notarial francophone, comme le confirme
la source des premières attestations. Frm. fumature est entré dans la lexicographie française dep. LittréSuppl 1877 (ex. de Heuzé 1868/1869
[usage des « causses du Gévaudan et du Rouergue »] > Lar 1878e ; Rob 1985 « techn. », sans marque diatopique ; Ø TLF) et il est passé dans les parlers occitans de la
Margeride (LozèreN. fümatüra, ‑o, ALMC 646* pt 25, 29f).
a La notice historique de TLF s’abstient de dater la forme du français moderne traitée
dans la rubrique synchronique.
b Où l’on voit la résistance résiduelle de femá (en général en coexistence avec fümá).
c Cf. déjà GrasForez 1863 : fumades/fumées "pâturages de Pierre-sur-Haute, que les bestiaux engraissent de leur fumier" (la première forme est empruntée à l’occitan ; la seconde est du français).
d Il ne s’agit nullement, bien entendu, d’on ne sait quel emprunt direct du français
aux patois occitans.
e FEW 3, 545b, mentionne, par erreur, deux fois frm. fumature ; son indication (« seit Lar 1877 ») paraît inexacte.
f Dans les deux points de la Margeride lozérienne, là où se localisent les attestations
anciennes de frm. fumature. Cf. Lozère fumaturo EscoloGév 1992 (non localisé). Ø VayssierAveyr.
◇◇ bibliographie. FEW 3, 545ab, fimus ; VieQuotGév = A.D. de la Lozère, Service éducatif, La Vie quotidienne des communautés villageoises avant la Révolution. Exemple du Gévaudan, CDDP, Mende, s. d.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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