mastéguer v. tr.
〈Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales, Aveyron, Lozère
(sud), Ardèche (Privas)〉 fam., parfois péj. "broyer avec les mâchoires avant d’avaler (d’une façon répétitive et peu discrète)". Stand. mastiquer, fam. mâchonner, fam. mâchouiller. – Arrête de mastéguer, crache ce chewing-gum ! (GermiLucciGap 1985).
1. – […] Vous attendez quoi de la mer ? Du poisson ? Ah ! bien sûr, le poisson, l’éternel
poisson ! Mais moi, oui moi, quand je peux mastéguer un bout de viande, même du gras de cansalade*, je me dis qu’après tout ceux qui n’en ont pas du poisson ils vivent mieux que nous.
Mais il paraît […] qu’ici on vient* plus vieux qu’ailleurs à cause du poisson et peut-être du sel. (G. J. Arnaud, Les Oranges de la mer, 1990, 109.)
2. – Ô papet*, tu chiques ?
– Non, petit, je mastègue. Je mange les odeurs parce que je n’ai plus d’odorat. (Fr. Fernandel, L’Escarboucle, ma Provence, 1992, 70.) — 〈Hérault (Sète)〉 pâte à mastéguer loc. nom. f. vx "chewing-gum". Quand j’étais petit, le chewing-gum s’appelait pâte à mastéguer (LangloisSète 1991).
◆◆ commentaire. Emprunt récent (non attesté avant 1978 ; Ø BrunMars 1931) au sud-occitan de Provence
et du Languedoc oriental mastégá (attesté, au sens de "mâcher", dep. le 13e siècle, v. FEW). Il est probable que le mot s’est d’abord orienté vers le sens dévalué
de "mâchonner, mâchouiller" dans les parlers occitans, du fait de l’emprunt pratiqué par certains d’entre eux
(déjà AvrilPr 1839 ; Honnorat 1848 ; mars. Mistral dans FEW) à frm. mâcher pour exprimer la notion centrale. Aujourd’hui caractéristique du français d’une aire
qui s’étend des Hautes-Alpes à l’Aude, mastéguer a été irradié dans des régions où il ne peut être autochtone : au nord de l’isoglosse
de conservation des vélaires devant a (notamment dans les Hautes-Alpes, malgré GermiLucciGap, l’essentiel de la Lozère
et Privas ; cf. ALMC 1336), dans l’Aveyron où règne (dep. 1879, v. VayssierAveyr)
le francisme ⌈ machar ⌉ (ALMC 1336), dans l’Aude où FEW n’enregistre que [matʃeˈga]. Au prix d’une seconde dévaluation, moins sémantique que sociale, mastéguer, par l’intermédiaire de l’argot marseillais (SandryCarrère 1958) et du fait du grand
nombre de personnes originaires de cette ville et de sa région dans le « milieu » parisien, a pénétré l’argot général où il est attesté au sens de "manger" dep. 1954 (v. ColinArgot 1990 qui répute le mot, mais à tort, « altération probable de mastiquer » ; 1955, v. LeDoranSAntonio ; 1956, A. Paraz, Schproum à Casa, 36 ; Simonin 1968), et de là le français populaire (CaradecArgot 1977-1998 ; PetitPerret
1982). Le mot reste absent de la lexicographie de référence.
◇◇ bibliographie. NouvelAveyr 1978 ; MédélicePrivas 1981 « très courant » ; TuaillonRézRégion 1983 ; GermiLucciGap 1985 ; BouvierMars 1986 ; BlanchetProv 1991 ;
CampsLanguedOr 1991 ; LangloisSète 1991 ; ArmanetBRhône 1993 ; CovèsSète 1995 ; MazodierAlès
1996 ; ArmKasMars 1998 ; RoubaudMars 1998, 53 ; BouisMars 1999 ; FEW 6/1, 455a, masticare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Hautes-Alpes, 100 % ; Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône,
Gard, Var, 80 % ; Aude, Hérault, 70 % ; Vaucluse, 65 % ; Lozère, 55 % ; Alpes-de-Haute-Provence,
50 %.
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