millard ou milliard [mijaːʁ] n. m.
〈Basse Auvergne〉 usuel "pâtisserie à base de pâte à crêpes très claire, dans laquelle sont incorporées des
cerises fraîches, noires de préférence, et non dénoyautées". Stand. clafoutis. – Cerise à millard (A. Pourrat, Traditions d’Auvergne, 1976, 136). Un gros morceau de millard (PotteAuvThiers 1993). Partager le milhar de l’amitié (La Montagne, 10 juin 1995, page Puy-de-Dôme).
1. À l’hôtel de la Poste [à Pontaumur, Puy-de-Dôme], M. Quinty prépare la spécialité
de la région : la truite farcie aux légumes et aussi des écrevisses, des pieds de
cochons aux haricots, le millard. Fromage : fourme* de Rochefort. (A. Pourrat, Traditions d’Auvergne, 1976, 157.)
2. Le milliard est à l’Auvergne ce que le clafoutis est au Limousin. (Les Maîtres cuisiniers de
France, Les Recettes du terroir, 1984, 66.)
3. Ce fut le temps des cerises, et celui des milliards [en note : clafoutis]. (Cl. Fourneyron, Quel temps faisait-il en Auvergne ?, 1991, 121.)
4. […] « tu vas nous cueillir ces minuscules cerises si douces, qui n’ont que la peau sur le
noyau, qui sont si bonnes pour faire des milhars, et qu’on peut p’us les ramasser et qu’on est obligés de les laisser aux merles et
qu’i faut du temps pour en faire un panier et que c’est embêtant de vieillir… » (A. Aucouturier, Le Milhar aux guignes, 1995, 145.)
— Dans les syntagmes peu usuels milliard aux cerises (Les Maîtres cuisiniers de France, Les Recettes du terroir, 1984, 66 ; v. encore ci-dessous Graphie), milhar aux guignes (A. Aucouturier, titre d’un roman, 1995) ; milliard de pommes.
5. J’étends peut-être indûment le sens traditionnel en nommant milliard (milla [terme du patois]) de pommes une pâtisserie sans grand apprêt que je confectionne en amateur. (M. Laurent, Les Termes de pâtisserie dans le dialecte de la région de Maringues, 1971, 22.)
6. Et aussi les « millars » aux cerises noires que Papa, qui n’était pas du coin, appelait clafoutis. (J. Bolvary, Ballade pour la Génie, 1996, 53.)
□ En emploi métalinguistique.
7. Certes on peut l’écrire autrement : millard, pourquoi pas milliard ? Rien de plus facile que de devenir milliardaire par le biais de l’orthographe.
Cette ambiguïté explique sans doute pourquoi, sur les menus de toutes les auberges
de France, le milhar auvergnat a été remplacé par son équivalent le clafoutis limousin. […] / Je l’écris
(lh), parce que c’est la graphie occitane (mais qui se prononce mouillée, comme dans Cunlhat,
Culhat, Paulhac) et qu’il s’agit d’un dessert de la Basse Auvergne, même si on le
prépare jusqu’à Moulins sous le nom de milhà. (J. Anglade, Préface à A. Aucouturier,
Le Milhar aux guignes, 1995, 5.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
8. […] si on mangeait peu de pâtisserie – sauf pour le Mardi-Gras où l’on s’empiffrait de bugnes* et de coqueilles [= beignets aux pommes] fabriquées à la maison et au temps des cerises
où maman confectionnait des « milliards » – nom local du clafoutis –, on se rattrapait à la saison des fruits que la région [Sauxillanges] produisait
en abondance […]. (M. Bailly, Le Piosou, 1980, 83 [Témoignage valant pour la Basse Auvergne].)
9. Le milliard, sorte de clafoutis auvergnat, préparé avec des cerises noires, de préférence, et
non dénoyautées. (Pays et gens de France, n° 20, le Puy-de-Dôme, 4 février 1982, 4e de couverture.)
10. À l’heure de midi, le travail s’arrêta. La petite vieille sortit d’une panière*, en retirant une serviette blanche à bordure rouge qui les couvrait, les éléments
du repas : une épaule d’agneau roulée farcie, des tranches de jambon, un fromage maigre
à la croûte striée par des brins de paille, un millard (c’est ainsi qu’on nomme le clafoutis aux cerises à Clermont), une tarte aux poires.
(P. Cousteix, « Une enfance », Bïzà Neirà 56, 1987, 27.)
■ graphie. Si la prononciation [mija:ʁ] est aujourd’hui unanime en Basse Auvergne, nous semble-t-il, la graphie n’est pas
entièrement fixée. À côté des deux formes les plus courantes, milliard (nettement dominante de 1861 à 1928 dans la documentation) et millard, formes qui alternent, par exemple, dans la même page, sous la plume d’un agrégé
de lettres (M. Laurent, Les Termes de pâtisserie dans le dialecte de la région de Maringues, 1971, 22), on trouve aussi les variantes miliar (miliar aux cerises, J. Anglade, Le Voleur de coloquintes, 1972, 141), millar (millar aux cerises, J. Anglade, Le Tour du doigt, 1977, 310 ; ici ex. 6), milhar (J. Anglade, Les Bons Dieux, 1984, 203, et Un lit d’aubépine, 1995, 89), milhard (JaffeuxMoissat 1987 ; F. Graveline, L’Invention du Massif Central, 1997, 91). J. Anglade a employé trois graphies (miliar, millar, milhar). Les graphies sans ‑d final s’expliquent sans doute par le refus de donner au mot l’apparence d’un suffixal
en ‑ard ; celles en ‑lh- sont une afféterie à connotation occitane (v. ici ex. 7). La graphie milhar a peut-être sa source dans BecquevortArconsat 1981 auquel Anglade, qui est très probablement
la source d’Aucouturier, pourrait l’avoir empruntée.
■ synonymes. 〈Surtout Allier〉 millat ou milla n. m. "id.". « Le millat, donc, ou encore milla […] est une sorte de crêpe dont la pâte est faite de farine, œuf et lait de beurre.
Une pincée de sel et des petites griottes noires sucrées. » (R.-J. Courtine, La Cuisine des terroirs, 1989, 113). Recette de « Milla » dans GagnonBourbonn 1979, 105.
■ encyclopédie. Recette de « Millard » dans L’Encyclopédie de la cuisine régionale. La Cuisine auvergnate, 1979, 142.
◆◆ commentaire. Attesté depuis 1861 seulement (MègeClermF), dans une acception légèrement plus étendue
(cf. aussi Malval 1878), le mot est aujourd’hui connu de tous en Basse Auvergne (employé
par 100 % des témoins du Puy-de-Dôme, employé ou connu par tous ceux du Brivadois,
mais seulement connu de deux témoins sur neuf dans le Cantal ; enq. DRF). Dérivé en
‑ard (sur auv. [mij] "millet" ALF 860 pt 804 seulement) selon FEW ; la forme [mija :] "millard" du parler de Saint-Laure (nord du Puy-de-Dôme ; M. Laurent, op. cit., 22) impose cependant le rattachement au type du Bourbonnais (et du Berry) ⌈ milla(t) ⌉ (ALCe 759 ; GagnonBourbonn 1979 s.v. miyat ; enq. Centre), dérivé en ‑aceu dont le FEW (6/2, 84b) sépare notre mot. Ce dernier type a été adopté tel quel par
le français des régions dont il est originaire (dep. ca 1852, miyas, ConnyBourbR ; BridotSioule 1977 ; DubuissBonBerryB 1993). Il a fait l’objet au contraire,
en passant dans le français de Basse Auvergne (et sans doute en milieu urbain), d’un
double remodelage : sur le plan morphologique, réfection d’un pseudo-suffixe ‑ard à partir de l’issue dialectale [-a] de -aceu (cf., dans le même sens, Montluçon miyard, à côté de miyâd, dans GagnonBourbonn 1972, seule forme en ‑ard connue dans l’Allier) ; sur le plan phonétique, fausse régression hypercorrecte de
[j] en [lj] (en réaction au passage stigmatisé comme ‘vulgaire’ de [ʎ] et [lj] à [j], cf. Straka TraLiLi 19, 175-7, 192-3), tentative non aboutie mais dont le résultat
paraît avoir été noté par la graphie milliard, qu’on trouve chez des doctes dès MègeClermF 1861, P. Bourget (1902, TLF s.v. farinade) et DauzatVinz 1915a, et qui est devenue ensuite traditionnelle. Un rapprochement secondaire avec stand. milliard "mille millions" sous ses deux prononciations (pop. [mijaːʁ] et normatif [miljaːʁ]), allant dans le sens d’une homonymisation phonique et graphique, est probable, cf. les
témoignages métalinguistiques suivants : « On a cru parfois que le millia [terme patois] était ainsi appelé parce qu’une grande quantité de cerises entrait dans sa composition » (M. Laurent, op. cit., 23), « ça vaut son prix, ça mérite son nom, le milhar auvergnat » (A. Aucouturier, op. cit., 150) et ci-dessus ex. 7 (cf. encore l’entrée unique de BonnaudGDFA 1999). Non relevé
dans la lexicographie générale (Ø GLLF, Ø TLF, Ø Rob 1985) et n’ayant subi aucune
véritable dérégionalisation (sinon, très timidement, dans la littérature culinaire),
mill(i)ard subit aujourd’hui régionalement la concurrence de clafoutis. Ce dernier, senti encore souvent comme limousin (cf. ex. 2, 7), est d’introduction
récente dans le français de Basse Auvergne (il « n’était pas employé dans la région thiernoise avant 1950 », Coudert Parlem ! 46, 9) : il fonctionne de plus en plus comme le terme neutre non marqué diatopiquement
(cf. ex. 2, 3, 6, et les définitions de Jaffeux, Potte et Coudert, ainsi que la note
explicative dans Cl. Fourneyron, Quel temps faisait-il en Auvergne ?, 1991, 121). Plusieurs parlers occitans ont emprunté, d’après la finale, le mot au
français de la région : bauv. [zone de Clermont] miliard (Malval 1878, à côté de milias), Moissat miyère, et formes citées FEW 6/2, 83b (Limagne, Ambert, St-Anthême, Lastic).
a Chez lesquels (particulièrement chez Dauzat) il ne peut s’agir d’une transcription
de [mijaːʁ], mais bien de [miljaːʁ].
◇◇ bibliographie. FEW 6/2, 83b, milium (mal classé, selon nous ; à déplacer en 84b) ; HöflerRézArtCulin (attestations 1902-1934) ;
ALLy 5, 407 ; MègeClermF 1861 (milliard "tarte aux cerises ou aux raisins" ; graphie millard p. 256) ; F. Malval, Étude des dialectes romans ou patois de la Basse Auvergne, 1878 (milliard "gâteau de cerises ou autres mêmes fruits", dans la nomenclature française) ; DauzatVinz 1915, § 4438 (milliard) ; BonnaudAuv 1977 (milliard) ; BonnaudAuv 1979 (milliard dans la nomenclature française pour stand. milliard et pour "[sorte de] gâteau") ; BecquevortArconsat 1981 (milhar) ; TuaillonRézRégion 1983 (milliard) ; GononPoncins 1984 s.v. glafoutis « les autrefois, on appelait ça un migouri ou un millard » (pas d’article millard) ; JaffeuxMoissat 1987 (milhard "clafoutis aux cerises") ; PotteAuvThiers 1993 (millard "clafoutis aux cerises") ; PruilhèreAuv 1993 (s.v. millard : « se dit aussi “milliard”, ou encore “clafoutis” ») ; É. Coudert Parlem ! 46, 1995, 9 (millard) ; ChambonÉtudes 1999, 24, 61, 148 (milliard, Pourrat, Gaspard des montagnes).
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Puy-de-Dôme, Haute-Loire (nord-ouest), 100 % ; Cantal, 20 %.
|