route n. f.
I. 〈Surtout Nord, Pas-de-Calais (spor.), Ardennes, Meuse (nord), Marne〉 rural "petit sillon de terre dans lequel on sème des graines ; ligne d’un jardin ou d’un
champ plantée de végétaux". Synon. région. raie*.
1. – C’est pas du travail à donner à des hommes comme moi ; j’ suis crevé ; j’ suis éreinté !
– T’en as retourné combien d’ routes, Baba ? – Deux routes ! répondit le pauvre exploité. (Th. Malicet, Debout, frères de misère, 1962, 63.) 2. On ne peut pas nier qu’il y en a une paire [= une certaine quantité], de cailloux.
Pas beaucoup, trois, quatre par route, mais on dirait chaque année plus […] ça fait une éternité que ce jardin est retourné
plusieurs fois par an, […] et il en revient perpétuellement. (A. Stil, Beau comme un homme, 1977 [1968], 54.)
— route de + subst. désignant ce qui y est semé ou planté. Routes d’ognons, de carottes (EmrikAmiens 1958).
3. À chacun sa bouteille et sa route de pommes de terre ! Par poignées, j’extirpais ces monstres aux allures de coccinelles
[des doryphores]. Une fois la bouteille pleine, je […] courais vider mes doryphores
dans le faitout. (Y. Hureaux, Bille de chêne, 1996, 60.)
II. 〈Champagne, Ardennes〉 être en route à + inf. fam. "(pour marquer l’aspect duratif du procès dénoté par l’infinitif)". Stand. être en train de, pop. être après. – Ils étaient en route à traire quand on est arrivé (TamineArdennes 1992).
◆◆ commentaire.
I. Caractéristique du français du nord de la France et de Belgique, ce sens s’inscrit
dans la continuité d’afr. route "rangée (d’arbres)", attesté dans la même aire dep. le 14e s. (1378 « une rote de sauces [= saules] » Arch. de Meurthe-et-Moselle, Gdf).
II. Absente des dictionnaires généraux et des grammaires de référence du français, cette
construction est attestée dep. 1929 en Picardie (« En Picardie, en route à est actuellement synonyme du français moderne en train de » GougPériphrases, 60), dep. 1933 en Champagne (« et il était en route à faire mariner un lapin » Ch. Braibant, Le Roi dort, dans TamineChampagne) et dep. 1905 en picard (« j’étoi en route à jouer à le topiche aveu mes camarades » dans GougPériphrases, 60). Elle s’est développée à partir de fr. général être en voie de (dep. 13e s., FEW 14, 372a, via ; GougPériphrases, 60) avec substitution lexématique de route, plus courant, à voie, et grammaticalisation complète (ce qui n’a jamais été le cas de être en voie de, GougPériphrases, 61). Cette innovation du Nord et du Nord-Est n’a pas encore été
effacée par stand. être en train de, construction elle-même d’origine récente (dep. 1731, TLF) et encore tenue en 1845
pour un « parisianisme vulgaire et un provincialisme [des paysans] de la région de Chartres » propre à « choque[r] les provinciaux » (GougPériphrases, 64). La pénurie d’exemples écrits dans la seconde moitié du 20e siècle paraît cependant significative de la restriction de cet usage au code oral.
◇◇ bibliographie. (I) PohlBelg 1950 « dial. ou pop. » ; EmrikAmiens 1958 ; CartonPouletNord 1991 ; TamineArdennes 1992 ; FEW 10, 572a-b, rumpere. – (II) PohlBelg 1950 en route de + inf. « dialect. ou rég. » ; TamineArdennes 1992 ; TamineChampagne 1993 ; absent de FEW 10, 570a, rumpere.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Meuse (nord), 100 % ; Ardennes, 85 % ; Marne, 75 % ; Haute-Marne, 25 % ; Aube, 15 %.
(II) Ardennes, Meuse (nord), 100 % ; Marne, 90 % ; Aube, Haute-Marne, 50 %.
P. Rézeau (I) – J.-P. Chambon (II)
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