ticlet n. m., ticlette n. f.
〈Franche-Comté〉 fam. "petit bras de levier du loquet d’une porte ; par méton. loquet, poignée de porte". Synon. région. clenche*.
1. ticlet n. m. J’y ai astiqué l’ ticlet d’ la porte avec du miror (R. Vuillemin, La Chasse aux doryphores, 1989, 109). J’avais tiré le ticlet de la porte (Jurassien, 40 ans, 30 juin 1998).
1. Ce qui différenciait le Sultan [un chien] de tous ses semblables, c’est qu’il faisait
les commissions et surtout… la boucherie ! Sa maîtresse l’avait dressé et on le voyait
arriver chez Rat, le sac des commissions à la gueule. Il posait une patte sur le tiquelet et poussait la petite grille de la porte. (P. Arnoux, Afin que rien ne se perde…, 1984, 74.)
2. Le ticlet de porte de la chambre contiguë au poële cliqueta ; un pas lourd, traînant, fit grincer
les larges lames du plancher. (M. Vuillemin, La Mort de Fany, 1994, 66.)
— Par métaph.
3. On n’a pas de dettes, c’est d’accord, mais on ne peut pas beaucoup investir avec notre
argent plutôt que d’être tout le temps pendu au ticlet des banques. […]. (J. Garneret, Vie et mort du paysan, 1993, 118.)
— tenir les ticlets/tous les ticlets du pays loc. verb. fig. "être à l’affût de tous les potins".
4. Le plus utile conseilleur et le plus sage n’est pas forcément celui qui tient tous les ticlets des gens pour savoir d’eux ce qu’il ira colporter partout. (J. Garneret, L’Amour des gens, 1972 [1950], 106.)
■ remarques. polisseur de ticlets loc. nom. m. "un qui est toujours pendu à la porte d’autrui" (DelortStClaude ca 1977).
2. ticlette n. f. Verrouiller sa ticlette (R. Bichet, Contes de Mondon et d’autres villages comtois, 1975, 58).
5. Enfin comment ne pas s’émerveiller dans la présentation de ce livre, sur les illustrations
originales dues à l’amitié et au talent de l’abbé Jean Garneret. […] Son œil exercé
a eu tôt fait de déceler les linteaux sculptés, les chapelles, mais aussi les petits
objets « ordinaires », une lampe, une « ticlette » qui, sous sa plume, sont devenus des œuvres d’art. (M. Gaiffe-Jeune, Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n.s., n° 19, 1992, 205.)
6. – […] Comment tu as fait pour entrer ? La Charlotte avait tout barricadé […].
– Je connais bien ma maison, Arsène, répond Justin en riant. Sur la porte de la remise, il suffit de faire glisser une planche pour tirer la ticlette à l’intérieur. (M.-Th. Boiteux, Le Secret de Louise, 1996, 85.) — faire/tenir les ticlettes loc. verb. fig. "être à l’affût de tous les potins ; faire du porte à porte" (R. Bichet, Contes de Mondon et autres villages comtois, 1975, 183).
■ graphie. Les graphie tiquelet/tiquelette sont peu courantes.
◆◆ commentaire. Formés parallèlement à l’aide d’un double diminutif sur la base onomatopéique tikk– exprimant un mouvement brusque, un déclic (cf. le verbe ticler*), les deux mots analysés ci-dessus, propres au français de Franche-Comté, n’ont jamais
été pris en compte par la lexicographie générale. Bien qu’autrefois critiqués, ils
sont entrés dans la norme régionale comtoise depuis l’époque moderne : ticlet est attesté dep. 1613 dans le registre poétique chez le Bisontin J.-B. Chassignet
(« Suz donc, princes, ouvrez vos portes, Suz donc portes, defermez-vous, Quittez gons,
tiqlets et verroux, Serrures et barrieres fortes », Paraphrases sur les cent cinquante psaumes de David [ici, Ps. 24], Gdf) ; ticlette, dep. BesançonDoubs 1786 et dès 1628, à Montbéliard, sous la forme taiclette (Robert Cuisenier, « La vie d’une communauté vers l’an 1500. Les pauvres et l’hôpital de Montbéliard », Bulletin et Mémoires de la Société d’émulation de Montbéliard 82, fasc. 109, 1986 [1987], 152, au glossaire, sans contexte, défini "poignée de porte") ; ils sont régulièrement relevés dans les glossaires régionaux dep. BrunFrComté
1753a. Dans le sud de la Franche-Comté, par exemple à Morez, ticlet est visiblement importé en français (les parlers dialectaux font usage de types lexicaux
différents, v. ALFC, ALJA et DondaineParlers, 295). De plus, par contraste avec les
formes dialectales correspondantes (v. ALFC, ALJA, FEW), les régionalismes ticlet et ticlette ne présentent pas les évolutions phonétiques divergentes qui ont affecté les mots
correspondants des variétés dialectales (palatalisation récente du groupe [-kl-] intervocalique, non encore notée en 1750, v. DondaineParlers 91-94, 96-97 ; fréquente
altération de [i] dans l’initiale) et s’opposent par leur suffixe standard ‑et(t)e aux formes en [-ɔ], [-ɔt] et variantes des patois ; en français, ticlette a également échappé à l’altération en [tr-] qui caractérise le type correspondant dans les parlers du centre de la Haute-Saône
(ALFC)b. Ainsi ces deux régionalismes s’opposent-ils par l’unité rigoureuse et l’aspect standard
de leurs signifiants à l’émiettement de leurs correspondants dialectaux locaux (allant
de [tritjɔt] à [tɛçat], par exemple, pour le type féminin). Comme dans les autres cas de ce genre, les formes
unitaires du français régional n’ont pas été recrées indépendamment à partir des formes
multiples des patois par l’instinct phonétique des locuteurs (contra : Dondaine TraLiLi 15, 1976, 61). Le français de la capitale provinciale a, au contraire,
préservé intacte la forme la plus ancienne de ces deux mots, mots qu’il a diffusés
dans toute la Franche-Comté (et la Franche-Comté seulement) et qu’il a d’ailleurs
probablement créés. Dans l’état de la documentation, on a cependant l’impression que
cette diffusion a donné lieu à une répartition spatiale sensible qu’une enquête complémentaire
pourrait préciser : si la zone de Besançon a connu et connaît, en effet, les deux
mots, le Jura a sélectionnné ticlet, tandis que l’est de la Haute-Saône et le Territoire-de-Belfort n’emploient que ticlette. Sur un cas particulièrement net, on peut ainsi mesurer la force et la faiblesse de
Besançon en tant que centre directeur.
a La locution verbale est attestée, quant à elle, de façon sporadique dans la seconde
moitié du 20e siècle (dep. GarneretLantenne 1959).
b À l’extrême sud-est du département des Vosges, [triklɛt] (ALFC pt 54 = Godoncourt) emprunté, sous une forme altérée, au français de la Haute-Saône
voisine (et non aux variétés dialectales), témoigne de l’extension maximale du régionalisme.
◇◇ bibliographie. BrunFrComté 1753 ticlet ; SchneiderRézDoubs 1786 ticlet, ticlette ; MonnierJura 1824 ticlet ; MonnierDoubs 1859 ticlet ; CorbisBelfort 1879 ticlette ; BeauquierDoubs 1881 ticlet ; VautherinChâtenois 1896 ticlet, ticlette ; BoillotGrCombe 1910, 291b ; CollinetPontarlier 1925 ticlet ; BoillotGrCombe 1929 m. et f. ; GarneretLantenne 1959 ticlet et loc. verb. ; DelortStClaude [ca 1977] ticlet ; GrandMignovillard 1977 ticlet et loc. verb. ; BichetRougemont 1979 ticlette ; ContejeanMontbéliardThom 1982 ; DuraffHJura 1986 ticlet « régionalisme inconscient » ; DromardDoubs 1991 et 1997 ticlet, ticlette ; TrouttetHDoubs 1991 s.v. ticlet dans la métalangue et 46, et loc. verb. ; ColinParlComt 1992 tiquelet, tiquelette (citant L. Pergaud 1914) et loc. verb. ; DuchetSFrComt 1993 ticlet, var. ticlette (Montbéliard) ; RobezMorez 1995 ticlet « courant partout » ; ALFC 903 (et légende de l’illustration, où le mot régional figure dans la métalangue) ;
DondaineParlers 91 ; ALB 1406 ; ALJA 1055 ; FEW 13/1, 326b, tikk-.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (1) Doubs, Haute-Saône (sud), Territoire-de-Belfort, 100 % ; Jura, Haute-Saône (nord),
65 %.
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