vêle ou velle n. f.
1. 〈Ain, Rhône (Beaujolais), Loire, Ariège, Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne, Lot,
Aveyron, Auvergne, Limousin, Aquitaine〉 rural "veau femelle". Une jolie velle.
1. À une extrémité de l’étable, une dizaine de veaux et de velles séparés des mères dans une courette intérieure attendaient d’être nourris. […]
– Que deviennent les velles ? – Elles renouvellent le troupeau à condition qu’elles n’aient pas de défauts, bien sûr […]. (J. Taillemagre, Pleine Terre, 1978, 57.) 2. Maintenant, je dois avoir 345 francs. On les prend, et on pourra acheter deux vêles d’un mois et demi […]. (Cl. Michelet, Des Grives aux loups, 1979, 370.)
3. Quand la sortie des pieds s’est précisée, les deux hommes ont tiré, silencieusement.
Après les pattes, la tête est arrivée. Le veau – nous ne savions pas encore que c’était
une velle – est sorti comme un plongeur. Il est tombé en douceur dans la paille amoncelée pour
lui. (M. Perrein, Les Cotonniers de Bassalane, 1984, 314.)
4. À Fleurance (32), le 21. – […] vêles 1er choix, 800-950 […]. (Sud-Ouest 22 janvier 1992, dans BoisgontierMidiPyr 1992, 144.)
5. Les deux velles – croisées limousin x salers – étaient nées à la mi-novembre, à trois jours d’intervalle
seulement, deux mois avant que le reste du troupeau ne mette bas. (D. Crozes, La Fille de La Ramière, 1998, 79.)
6. […] une vêle qui frisait les deux cents kilos. / L’animal, dont le museau était encore couvert
d’une mousse de lait et de bave, était tellement repu qu’il n’avait opposé aucune
résistance pour rejoindre son box. Mais il n’en était pas de même pour tous les veaux
que Jacques devait faire téter soir et matin. Deux mâles surtout prenaient de l’audace
[…]. (Cl. Michelet, La Terre des Vialhe, 1998, 213.)
□ En emploi métalinguistique.
7. J.G. – La vedela, c’est la velle. / D.D. – Oui, mais la velle ce n’est pas français. / J.G. – Si vous voulez mais enfin… c’est ça. / […] / J.G. –
ça s’écrit d’ailleurs « velle ». / D.D. – Hmmm. / […] / J.G. Je n’ai pas le Robert, je peux pas vous dire si c’est en bon français, mais enfin ça s’écrit. (D. Decomps,
Éleveurs de Corrèze. Textes occitans et glossaire, 1983, 77-78.)
2. Par ext. 〈Aude, Lozère, Limousin, Aquitaine〉 rural "jeune vache qui n’a pas encore vêlé". Stand. génisse. Synon. région. taure*.
8. Oh ! Tu te rappelles, la Millou qui porte sa tête baissée comme une velle méchante, en dansant la bourrée. (M. Chaulanges, Les Mauvais Numéros, 1971, 43.)
9. Adolphe nomme tous ceux qui passent, téléphonent, viennent aider ; et il nomme le
monde autour de lui : les vaches, taureau, « velles », par leur nom, le lapin qui pille son jardin, tous les oiseaux aperçus […]. (« Journal d’un paysan de Creuse [A. Michard, Saint-Médard-La-Rochette] », présenté par T. Jolas et S. Pinton, Terrain. Carnets du patrimoine ethnologique 28, 1997, 164.)
10. Le troupeau était un peu loin, mais il les voyait toutes, les laitières, d’abord,
les génisses, les vêles et les quelques veaux promis à la vente. […] Deux petites vêles blanches étaient couchées, immobiles, l’une contre l’autre. (Fr. Pons, Les Troupeaux du diable, 1999, 14-15.)
◆◆ commentaire. Féminin de fr. veau documenté dep. le 16e s. dans le sens 1 avec un caractère nettement régionala : mfr. vesle (Poitou 1530, Gdf), veelle (impr. 1571, Belleforest, né à Sarzan, HPyr., Gdf ; veelle de laict, Fleurance, vid. 1590 d’un texte de 1441, DAG 1249), velle (PuyD. 1579, ChambonMatAuv 1994, 52 ; prob. aussi HLoire 1531, ibid. ; Langeac 1589, Gonfanon 26, 5 ; Le Puy 1589, MémBurel 1959) ; cf. ensuite frm. velle (PuyD. 1749-1831, ChambonMatAuv 1994, 52 ; Ambert 1749, Gonfanon 17, 38 ; La Rochelle
1752, MussetAunSaint ; Raulhac 1756, RHA 39, 286 ; Aurillac 1759, RHA 44, 52 n. 164,
veelle ; Étagnac 1762, BoulangerConfolentais ; Cantal 1774, De Sistrières-Murat, L’Art de cultiver les pays de montagnes 43 ; Cunlhat 1778-1780b ; Thairé 1795, MussetAunSaint), vêle (Lyon ca 1750, DuPineauV ; Corrèze av. 1820, BéronieTulle 347 ; SaugerPrLim 1825). Le sentiment
d’appartenance du mot à la norme légitime est fort : cf., par ex., ArchGir 11 (1869)
au glossaire pour traduire agasc. bacqua betera (cité dans DAG 1249), LhermetYtrac 1931 dans la métalangue et BonnaudAuv 1980 dans
la nomenclature française ; v. encore la réponse de l’informateur à l’observation
puriste d’une linguiste dans l’ex. 7. Au sens 2, attesté dep. ca 1747 (Anjou, DuPineauR, vêle), puis en 1818 (Dordogne, JBCPérigord s.v. taure, velle), 1820-1823 (velle "génisse primipare", Corrèze, DecompsCorrèze 126 et n. 72) et dans LittréSuppl 1877 (velle, comme "nom limousin de la génisse"). Au 19e s. et au début du 20e s., le mot est aussi présent en Velay (velle VinolsVel 1891, entrée française pour vel. vedèla "jeune vache"), à Mâcon (Mâcon 1903, velle) et à Châtellerault (1923, FEW, vêle).
Ce régionalisme de large extension, qui paraît avoir connu une pénétration momentanée
dans la lexicographie générale comme terme technique d’élevage (frm. vêle 1842-Lar 1876, FEWc ; velle, 1870, Gdf), ne peut être autochtone sur le terrain occitan qui constitue aujourd’hui
la plus grande partie de son domained ; la forme concurrente calquée sur occ. vedelae (mfr. vedelle, doc. Gironde 1562, Gdf, aussi bedelle dans le même document, DAG 1249 ; Cotgr 1611, FEW) ne s’est pas implantée durablementf. Il est probable que le mot est originaire des zones méridionales de langue d’oïl
(Poitou et Centre)g où il est particulièrement bien représenté (v. FEW ; ALCe 403 ; ALO 481 ; Gagnon ;
MauduytR) ; il a atteint Lyon, qui ne l’a cependant ni conservé, ni diffusé.
a Auparavant, une attestation isolée, anglonormande (14e s., FEW ; Ø TL).
b L. Gachon, Une commune rurale d’Auvergne du xviiie au xxe siècle, éd. 1981, 87-88, n. 3.
c Déjà 1831 (cf. Blanchon, Bïzà Neirà 41, 26) dans Lar 1876, mais l’auteur, Grognier, est né à Aurillac, et il fait référence
à l’Auvergne.
d Sauf amphizone (parlers occitans au contact du francoprovençal et influencés par lui),
où vella est attesté dep. Peire Cardenal (v. Chambon RLiR 60, 82-83). Mais le mot français
semble en général absent dans cette région.
e Celui-ci dès 13e s. (FEW).
f L’existence en occitan de l’opposition lexicale "veau mâle" ∼ "veau femelle", inconnue du standard, a pu cependant jouer un rôle dans l’implantation et la stabilisation
de vêle/velle.
g Une seule attestation dialectale au nord de la Loire (norm.) dans FEW.
◇◇ bibliographie. Mâcon 1903 vêle ; MartinPilat 1989 ; BoisgontierAquit 1991 ; CampsLanguedOr 1991 ; MoreuxBéarn 1991,
90 ; VurpasMichelBeauj 1992 ; BoisgontierMidiPyr 1992 ; FréchetMartAin 1998 ; MichelRoanne
1998 « attesté au-dessus de 60 ans » ; FEW 14, 547a, vitellus ; M.-J. Brochard comm. pers.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (1 et 2) Ariège, Aveyron, Gers, Landes, Lot, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Tarn-et-Garonne,
100 % ; Corrèze, Dordogne, Gironde, 90 % ; Creuse, 80 % ; Haute-Garonne, 75 % ; Haute-Vienne,
70 % ;Tarn, 50 % ; Lot-et-Garonne, 40 %.
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