ça pron. dém. neutre
I. 〈Cantal (nord), Puy-de-Dôme (spor.), Corrèze, Creuse, Dordogne〉 pop. Dans le tour ça que "ce que". Ça que l’on dit, ça que l’on entend (LouradourCreusois 1968). Je fais ça que je veux (M. Peyramaure, L’Orange de Noël, 1996 [1982], 28).
1. Les Portas sont venus à midi me chercher pour dîner*. Ils avaient fait rôtir un poulet. J’ai remarqué qu’ils avaient pas du linge pareil
comme le mien. Pourtant, ils avaient mis ça qu’ils avaient de plus joli, pour le faire voir. (G. de Lanauve, Anaïs Monribot, 1995 [1951], 124.)
2. – Je ferai ça que vous voudrez, dis-je.
– Je ferai ce que vous voudrez, rectifia Cécile [l’institutrice]. (M. Peyramaure, L’Orange de Noël, 1996 [1982], 203.) 3. – Es-tu sourde ?
– Je ferai comme vous déciderez. Vous savez mieux que moi ça que je dois faire. (J. Anglade, Un lit d’aubépine, 1997 [1995], 61.) — Dans un dicton.
4. – On fait ça qu’on peut avec ça qu’on a, aimait à répéter un vieux voisin, qui n’attachait pas son chien avec un chapelet
de saucisses. (J. Mallouet, Les Jours chiffrés, 1999, 67.)
II. 〈Jura, Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire (Pilat), Isère, Drôme, Ardèche, Haute-Loire,
Puy-de-Dôme, Creuse, Dordogne〉 ça mien/tien/sien, etc. loc. nom. m. fam., pop. ou par plaisanterie "ce qui est à moi, à toi, etc." ; ça de + nom de personne, prénom ou pron. "ce qui est à X".
5. Alors je lui [notaire] ai parlé de l’état de mon pauvre père, et je lui ai demandé
[…] si une fois que mon père sera mort, je ne pourrais pas mettre ça mien en viager […]. (G. de Lanauve, Anaïs Monribot, 1995 [1951], 65.)
6. En rentrant, comme il était tard, et que j’avais pas commencé à faire cuire mon souper*, j’ai mangé chez eux. J’ai pas su leur refuser. Et puis, tant qu’on mange ça des autres, on gaspille pas ça sien. (G. de Lanauve, Anaïs Monribot, 1995 [1951], 131.)
7. Mes camarades, fils d’ouvriers pour la plupart, ou de petits employés, étaient aussi
fauchés que moi : d’où une monnaie de billes et de boutons. Si ce numéraire manquait,
le commerce procédait par échanges : « donne-moi ça-tien, tu auras ça-mien ». (L. Bourliaguet, La Dette d’Henri, 1958, 27.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
8. […] il s’attachait à parler en bon français mais trébuchait parfois. Il disait : « C’est pas ségur que nous aurons du beau temps demain… » ou « André, mange ça tien et pas ça de Paul… » ou encore : « Hier, quand je suis été dans la vigne… » (M. Peyramaure, L’Orange de Noël, 1996 [1982], 218.)
— Par restr. "bien foncier, propriété agricole qui m’/t’/lui appartient". Le pré là, c’est ça mien (SabourinAubusson 1983). Il est passé dans ça mien avec son tracteur (ArnouxUpie 1984). Ça nôtre vaut bien ça leur (DuraffHJura 1986). Ils ont planté trois poteaux dans ça mien (MartinPilat 1989).
— Loc. phrast. chacun ça sien ! "(pour dire qu’on doit s’occuper de ses propres affaires)". Chacun ça sien et tout le monde est content (MédélicePrivas 1981 ; MazaMariac 1992) ; "à chacun son dû" (SabourinAubusson 1983).
◆◆ commentaire.
I. Ce tour (qui se rencontre aussi chez des apprenants de français) semble bien localisé
chez des locuteurs de tous âges dans une aire à l’ouest du Massif Central ; il est
absent des ouvrages de référence (et de H. Frei, Grammaire des fautes, Paris, 1929) ; aj. à FEW 4, 443a, hoc.
II. Le tour correspondant à ça mien est relevé dès la première moitié du 13e siècle chez le Rouergat Daude de Pradas (DOM 97 aquo sieu ; cf. Chabaneau RLR 16, 67) et en 1544 chez le Lyonnais Scève (FEW) ; par ailleurs,
aquo de X pour désigner les terres, la propriété rurale de X est bien attesté en aocc. (DOM
98). On considèrera donc que les tours analysés ici sont des calques de l’occitan
et du francoprovençal, notamment dans la zone d’influence de Lyon (cf. DuPineauV ca 1750 « sen mien, sen tien, le mien et le tien, en patois » DuPineauV ; MonnierJura 1823 çan mien, çan tien, çan leur, s.v. çalioux) et dans quelques aires extérieures (Creuse, Dordogne).
◇◇ bibliographie. (II) PuitspeluPatLyon 1890 s.v. cen-miéno ; FertiaultVerdChal 1896 çan mien, çan tien, çan sien ; ConstDésSav 1902 ; Mâcon 1903-1926 ; DauzatVinz 1915, § 655 chacun ça sien, glosant l’équivalent patois ; « écoutons les nôtres ; mais ne disons pas çà nôtre » (21 juillet 1916, VandrandPuyD, 180) ; MittonClermF 1937 ça-mien/tien ; BigayThiers 1943 ; SéguyToulouse 1950 ça de mien, etc. ; LouradourCreusois 1968 ; BonnaudAuv 1976 ; MédélicePrivas 1981 « expression très courante et inconsciente. On l’utilise à tous les niveaux de langue » ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ; TuaillonRézRégion 1983 ; ArnouxUpie 1984, 26 ;
DuraffHJura 1986 « régionalisme inconscient » ; MartinPellMeyrieu 1987 ; MartinPilat 1989 « usuel » ; DucMure 1990 « parfois sentie comme faisant partie du langage enfantin, cette expression est en fait
courante chez les adultes » ; MazaMariac 1992 ; QuesnelPuy 1992 chacun ça sien ; VurpasMichelBeauj 1992 « connu au-dessus de 20 ans » en bas Beaujolais, « bien connu au-dessus de 60 ans » en haut Beaujolais ; BlancVilleneuveM 1993 ; FréchetMartVelay 1993 « usuel » ; ValThônes 1993 ; FréchetAnnonay 1995 « globalement connu » ; LaloyIsère 1995 ; GermiChampsaur 1996 ; FréchetDrôme 1997 « bien connu à partir de 25 ans » ; FréchetMartAin 1998 « attesté » ; FEW 6/2, 65b, meus.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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