dail n. m., daille n. f.
rural, vieillissant "instrument tranchant, formé d’une lame arquée fixée à un long manche, que l’on manie
à deux mains pour couper de l’herbe (autrefois du blé)". Stand. faux.
1. dail 〈Centre-Ouest, Dordogne, Landes.〉
1. J’avais contemplé pendant la guerre les moissonneurs travaillant […] au dail et à la faucheuse. Maintenant, on pouvait admirer les moissonneuses-lieuses importées
massivement des États-Unis. (R. Tessonneau, Le Carré magique de la vie saintongeaise, 1981, 87.)
2. […] ils avaient acheté ensemble une faucheuse pour les foins […]. Elle fit hausser
les épaules à plus d’un vieux porteur de dail [en note : faux] : une mécanique ! il fallait que ces jeunes soient complètement fous ou qu’ils
soient vraiment devenus fainéants pour ne pas avoir le courage de couper à la main
comme tout le monde ! (Y. Viollier, La Cabane à Satan, 1982, 71.)
□ Dans un commentaire métalinguistique incident. V. ici ex. 4.
— En part. 〈Landes, Gironde〉 "faux à lame courte et forte, avec laquelle on coupe la bruyère".
3. […] armées de dailhs à longs manches, les femmes piochaient dans le sous-bois le soutrage [= litière]
des mules […]. (Chr. de Rivoyre, Belle Alliance, 1982, 117).
— Dans le syntagme battre son dail "battre la lame de la faux pour lui donner du fil".
4. À la saison des foins et des moissons, mon grand-père avait beaucoup de travail car
il devait, seul, couper toute sa récolte à la faux, « au dail » comme il disait. Pour se reposer, après le repas de midi, il faisait une courte sieste
et, ensuite, il « battait son dail » pour lui redonner un fil bien coupant. (P. Chaussebourg, Sur mes chemins d’écoles, 1992, 28.)
— Loc. verb. fig. fam.
● battre son dail "être à l’agonie".
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
5. Si je comprenais qu’il était difficile de vivre, je voyais aussi qu’il n’était pas
aisé de mourir, de battre son dail, selon une expression familière qui signifie exactement griffer la couverture de son
lit pendant l’agonie, en faisant un peu le geste du paysan qui martèle sa faulx [sic] pour la rendre coupante. (R. Tessonneau, Le Carré magique de la vie saintongeaise, 1981, 78-79.)
● ne pas se moucher avec un/du dail "être prétentieux". Stand. fam. ne pas se moucher du coude.
6. – Et sa tenue, regarde-moi ça ! On ne se mouche pas du dail en Gâtine ! (M. Clément-Mainard, La Fourche à loup, 1985, 176.)
■ graphie. Graphie occitanisante dailh dans l’ex. 3.
2. daille 〈Cher (sud-est), Allier, Jura (Morez), Haute-Savoie, Ain, Rhône, Loire, Isère, Drôme,
Hautes-Alpes, Provence, Gard, Pyrénées-Orientales, Haute-Garonne, Aveyron, Ardèche,
Haute-Loire (Velay), Puy-de-Dôme.〉 – Les autrefois [v. fois à la nomenclature], on fauchait tout à la daille (MartinPilat 1989 ; VurpasLyonnais 1993). Y a plus que les vieux à bien savoir se servir d’une daille (LaloyIsère 1995).
7. […] les « dailles » et faucilles qui dorment sous les orties après avoir rendu de bons et loyaux services
[…]. (R. Canac et B. Boyer, Vivre ici en Oisans, 1991, 95.)
8. Dans nos prés humides, vous rencontrerez [lors des fenaisons] plutôt une plaisante
grenouille, ou quelque souris éperdue dont le nid ravagé par la daille s’éparpille à vos pieds. (A. Bastard-Rosset, Les Bornandises, 1996, 162.)
9. Les jours suivants, la Louise pluchait [= râtelait le foin] tandis que Jean-Marie
fauchait à la daille une nouvelle parcelle. (S. Lavisse-Serre, Les Locatiers de Beauvoir, 1998, 20.)
□ Dans battre sa daille ; avec un commentaire métalinguistique incident.
10. Les derniers chars* de foin étaient rentrés dans les granges. Les faneurs et faneuses devenaient des
ombres. J’entendais un faucheur battre sa daille – faux – […]. (P . Cousteux, « Une enfance », Bïza Neirà 57, 1988, 37.)
■ remarques. En raison de l’évolution technologique, l’instrument est de moins en moins utilisé
(et seulement pour de petites surfaces) et les termes qui le désignent subissent le
même déclin, qu’il s’agisse du français standard faux ou, à plus forte raison, du type dail.
◆◆ commentaire. Attesté dep. 1415 en français de Provence (« achat pour un florin d’un dailh de fer à Durand Caroli, sabateius », document concernant L’Isle, cité dans J.-N. Marchandiau, Outillage agricole de la Provence d’autrefois, Aix-en-Provence, 1984, 215) ; 1416 (« Le suppliant d’une faux ou Daille frappa icelui Pierre environ le genoil » Lettre de rémission non localisée, DuCange) ; 1473 (« Après ils rencontrerent ledit Rondeau ainsi qu’il venoit d’un sien pré avec un dail
a son col » Lettre de rémission non localisée, ibid.) ; 1552 (« La mort […] avecques son dail l’eust fausché » Rabelais, Prologue du Quart Livre) ; 16e–17e s. dailhe, CaylaLanguedoc ; 1639 (« une daille avec son fauchier », document concernant Jonquières, cité dans J.-N. Marchandiau, loc. cit.) ; 1688 dailh et 1743 dail en Confolentais (BoulangerConfolentais). Type lexical caractéristique de la moitié
sud de la France, où il est attesté en occ. dep. la fin 13e s. dalh (Rn), dalha (LvP) ; il a été abondamment relevé dans les patois (ALF 546 ; ALCe 286 (Allier) ;
ALG 336 (sauf Pyrénées-Atlantiques) ; ALJA 169 ; ALLOc 629 ; ALLOr 735 ; ALLy 16 ;
ALMC 929 ; ALO 14 ; ALP 119). Sous la forme dail m., le mot est en usage dans une aire compacte de l’Ouest ; la forme daille f. est principalement en usage dans le quart sud-est. La loc. verb. battre son dail est attestée dep. 1808-1825 (« On dit aussi battre son dail pour dire que l’on va mourir » Mauduyt)a.
a La métaphore de la Mort et de sa faux est peut-être pour quelque chose dans la formation
de cette locution (comme l’indique FEW 3, 3b, n. 2), mais elle semble très secondaire aux yeux des locuteurs natifs, par rapport
à une métaphore plus immédiate, fondée sur une réalité rurale naguère très répandue
(comme l’évoque avec justesse l’ex. 5).
◇◇ bibliographie. Le terme est entré dans les dictionnaires généraux (Littré 1863, dail « encore usité dans certaines provinces » ; Lar 1870 dail, daille « encore usité dans certaines provinces » ; LittréSuppl daille, avec un exemple intéressant les Landes [1873] ; GLLF Ø ; Rob 1985 « régional » ; TLF « région. (Bassin Aquitain, Poitou, Vendéea) », avec un exemple de… Claudel (1901)b. 1. RougéTouraine 1931 daille m. ; JouhandeauGuéret 1955, 189 "faux recourbée par opposition au dard, faux droite" ; PierdonPérigord 1971 ; GebhardtOkzLehngut 1974 ; RézeauOuest 1984 et 1990 ; SuireBordeaux
1988 et 2000 « pour couper les ronces » ; BoisgontierAquit 1991 ; ChaumardMontcaret 1992 ; PénardCharentes 1993 ; FEW 3, 2b-3a, *daculus, ‑a. 2. DuPineauV [ca 1750] ; VillaGasc 1802 ; RollandGap 1810 dail m. ou daille f. ; ConnyBourbR 1852 ; MègeClermF 1861 ; Mâcon 1903-1926 ; ParizotJarez [1930-40] ;
BaronRiveGier 1939, 16 ; GebhardtOkzLehngut 1974 ; VincenzCombeL 1974, 50, § 16 ;
BonnaudAuv 1976 ; Tuaillon ColloqueDijon 1976, 21 « daille […] traîne une existence de sous-employé à côté de […] faux » ; BridotSioule 1977 ; NouvelAveyr 1978 ; RLiR 42 (1978), 192 daille (Isère, Saint-Étienne, Savoie) ; ManteIseron 1980 ; TuaillonRézRégion 1983 (Saint-Étienne
« vx ») ; TuaillonVourey 1983 ; ArnouxUpie 1984 ; GononPoncins 1984 « n’est plus employé couramment que par les paysans de plus de quarante ans » ; MeunierForez 1984 ; GermiLucciGap 1985 « usuel » ; JaffeuxMoissat 1987, 13 ; MartinPellMeyrieu 1987 ; MartinPilat 1989 « surtout employé par les agriculteurs patoisants » ; DucMure 1990 « très connu, mais senti comme patois, n’est pas très employé » ; CampsRoussillon 1991 dalle [dalj] ; MazaMariac 1992 ; VurpasMichelBeauj 1992 « usuel au-dessus de 60 ans […], en déclin rapide au-dessous » ; BlancVilleneuveM 1993 « usuel au-dessus de 40 ans, en déclin rapide au-dessous » ; DubuissBonBerryB 1993 ; FréchetMartVelay 1993 « bien connu à partir de 20 ans […], ce mot conserve une connotation dialectale » ; PotteAuvThiers 1993 ; VurpasLyonnais 1993 « peu attesté (seulement au-dessus de 40 ans) » ; QuesnelPuy 1994 ; FréchetAnnonay 1995 ; LaloyIsère 1995 ; RobezMorez 1995 ; GermiChampsaur
1996 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme 1997 « globalement connu » ; MichelRoanne 1998 « bien connu au-dessus de 40 ans » ; MoreuxRToulouse 2000 « emprunt conscient au patois » ; FEW, loc. cit.
a Mais la Vendée (ou Bas-Poitou) fait partie de l’ancienne province du Poitou.
b L’exemple semble en porte-à-faux avec la distribution géographique annoncée et l’usage
du terme par Claudel est peut-être à mettre au compte du goût du poète pour les mots
rares ; cf. cependant l’ALCB 341* : « Une faux courte […] se nomme “daille” f. en général dans le département des Ardennes ». V. aussi A. Doillon, Mots en liberté, 8 (1975), 3-9.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (dail) Charente, Charente-Maritime, Deux-Sèvres, Vienne, 100 % ; Vendée, 50 %. (daille) Haute-Loire (Velay), 100 % ; Ardèche, Drôme, 65 % ; Isère, 40 % ; Ain, 30 % ; Loire,
20 % ; Rhône, 0 %.
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