échapper v. tr.
1. 〈Surtout Charente, Allier, Haute-Marne (est), Lorraine, Franche-Comté, Loire, Drôme, Gard,
Haute-Loire (Velay), Puy-de-Dôme, Limousin, Dordogne, Lot-et-Garonne〉 fam. ou pop. "laisser tomber (par inadvertance)". Stand. laisser échapper. Synon. région. tomber*. – N’échappe pas la casserole, tu t’ébouillanterais (LanherLitLorr 1990). Je viens d’échapper mon assiette par terre (PénardCharentes 1993). Malheureusement Hills échappe le ballon (Bernard Laporte, commentaire d’un match de rugby sur TF 1, 23 octobre 1999, 16 h
35)a.
a À cet emploi, courant lors des commentaires de match de rubgy, on ajoutera celui de
échappée, n. f., du même commentateur (originaire du Sud-Ouest) : « Il a commis deux échappées de ballon » (Ibid., 16 h 55).
1. Quelle déception ! Il [le gardien de but] n’avait pu toucher une fois la balle sans
« l’échapper », la reprendre en cafouillant dans ses mains autrefois si sûres. (R. Fallet, Le Triporteur, 1991 [1951], 268.)
2. […] il fit le voyage de sa cave et remplit trois bouteilles qu’il apporta tout bonnement,
sans bouchon, le cou seulement bien serré entre ses gros doigts, pour ne pas les échapper. (R. Collin, Les Bassignots, 1969, 81.)
3. La partie de cartes allait bon train. Mais lorsqu’on donnait les cartes, c’était souvent
que le voyageur [invité à jouer] en échappait une. Aussi les autres grognaient :
– Dis donc […] ! Tu peux pas tenir les cartes ? Espèce de maladroit… (R. Aurembou, Il était une fois… le Bourbonnais, 1983, 92 [Conte recueilli en 1980].) 4. Mon père au contraire était tout à fait hilare. Il se tapait sur la cuisse […], il
hoquetait ! Il en échappait son dentier à moitié… (Cl. Duneton, Le Diable sans porte, 1981, 247.)
5. Milo mentit effrontément en assurant que les demoiselles s’étaient montrées spécialement
aimables et indulgentes avec elle.
– Et même, précisa-t-elle, j’ai « échappé » une soupière sur le carreau de la salle à manger. Et elles n’ont rien dit. (H. Noullet, La Destalounade, 1998, 202-203.) □ Avec un commentaire métalinguistique incident. Benazi a échappé le ballon, comme on dit dans le Sud-Ouest (Commentaire d’un match de rugby sur France 2, 1er avril 2000, 16 h 05).
2. 〈Loire, Lot-et-Garonne〉 "laisser s’enfuir (un animal)". Ce dégourdi de gamin m’a encore échappé le chien (MeunierForez 1984). J’ai échappé le chien (A. Paraillous, Le Chemin des cablacères, 1998, 278).
6. […] l’Anglaise du Coustal qui avait échappé la chèvre qu’elle garde pour son petit-fils ! (A. Yzac, Le Dernier de la lune, 2000, 142.)
◆◆ commentaire. La dispersion géographique de ce tour, qui est attesté dans le français de France
à l’Est (Lorrainea, Franche-Comté), au Sud-Est (de l’Allier au Gard) et au Sud-Ouest (de la Creuse au
Lot-et-Garonne), aires géographiques probablement non limitativesb, le désigne comme un archaïsme du français général (attesté en 1273, Adenet le roi, selon GLLF) dont il ne subsiste en français standard que la locution figée l’échapper belle, porteuse cependant d’un sémantisme différent. Cet archaïsme est souligné par la présence
du mot, le plus souvent aux sens 1 et 2, au Québec (Dunn 1880-DQA 1992), en Acadie
(MassignonAcad 1962, § 1236) et en Louisiane (DaigleCajun 1984 ; GrioletLouisiane
1986). Considéré par GLLF comme « fam. ou dialect. », avec un exemple du Limousin Giraudoux [1937], par TLF comme « vx », avec un exemple du Lorrain Barrès 1901, par Rob 1985 comme « régional, notamment Canada », avec un exemple de R. Fallet [Allier] (v. ci-dessus ex. 1) et par NPR 1993-2000
comme « région. (Canada) », ce tour ne semble pas signalé dans les relevés régionaux du 19e siècle, à l’exception de Béronie, signe probable de son caractère entièrement inconscient.
Le standard laisser échapper + obj. concret (Ø Littré et TLF) est enregistré dans GLLF, Rob 1985, NPR 1993-2000.
a Si l’on tient compte des relevés dialectaux, l’aire s’élargit à la Wallonie méridionale
(FrancardBastogne 1994 s.v. chaper).
b Sans compter les relevés dialectaux (Charente-Maritime, Centre, Morvan, v. FEW) et
l’exemple suivant (échapper qqc. à qqn), qui est probablement à attribuer au français du Calvados : « Trop tard pour Angèle, la Libération. Le Boche de son âge qui lui échappe une balle en pleine poitrine, en plein café, en plein coup de feu des apéros » (J.-Y. Cerney, Trou-madame, 1997, 16).
◇◇ bibliographie. BéronieTulle 1823, 343 (1.) ; MègeClermontF 1861, 14 ; JaubertCentre 1864 (1. et 2.) ;
VerrOnillAnjou 1908 ; Marouzeau Une enfance 1937, 26 Tu vas l’échapper ; EscoffStéphan 1972, 65 « le Stéphanois instruit a peine à se retenir de dire : j’ai échappé mon livre » ; Dondaine ColloqueDijon 1976, 55 (1.) ; EscoffStéphan 1976 ; GononPoncins 1984 (1.)
« très usuel, tous » ; MeunierForez 1984 (2.) ; LanherLitLorr 1990 (1.) ; DuchetSFrComt 1993 (1.) ; FréchetMartVelay
1993 (1.) « globalement connu » ; PénardCharentes 1993 (1.) ; MichelNancy 1994 « connu » (1.) ; FréchetDrôme 1997 (1.) « globalement connu » ; MichelRoanne 1998 (1.) « usuel » ; LesigneBassignyVôge 1999 (1.) ; FEW 3, 268a, *excappare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Creuse, Dordogne, 90 % ; Haute-Vienne, 85 % ; Corrèze, 80 %.
EnqCompl. 1999. Taux de reconnaissance : (1) Gard, 100 %.
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