espérer v. tr.
〈Seine-Maritime, Basse-Normandie, Bretagne, Centre-Ouest, Allier, Haute-Savoie, Rhône,
Drôme, Hautes-Alpes, Provence, Languedoc occidental, Haute-Loire, Cantal, Limousin,
Aquitaine〉 vieillissant "attendre (qqn)". Je m’en vais. Ma femme m’espère (P. Gamarra, Les Lèvres de l’été, 1986, 117).
1. Comme ça, au moins, t’auras pas la peine de m’espérer dans les débits à boire des chopines, durant que je vas à mes affaires. (H. Bouyer,
Le Populaire de l’Ouest, 11 février 1950, cité dans BrasseurNantes 1993.)
2. Elle est déjà sur le perron, avec son air heureux et son châle noir croisé sur la
poitrine.
– Mon grand, je ne t’espérais pas de sitôt. (San-Antonio, J’suis comme ça, 1994 [1960], 17-18.) 3. – […] espère-moi un peu si j’étais en retard […]. J’ai tellement de travail. (M.-É. Grancher,
Tout pour la tripe, 1965, 58.)
4. Il y a, en bas, des amis qui peut-être parlent de nous, des jeunes garçons qui nous
envient, des gosses qui disent : « Aujourd’hui, papa, il est là-haut », en montrant du doigt un sommet au hasard ; il y a peut-être aussi des femmes inquiètes
qui nous espèrent. (M. Liotier, Celui qui va devant, 1974 [1968], 85.)
5. Il me semblait que Dobrée n’avait gravé son inscription que pour moi : elle m’espérait depuis toujours et elle allait me révéler un formidable secret, offert à tous et
pourtant indéchiffrable, comme avant Champollion les hiéroglyphes de Thèbes. (M. Lebesque,
Comment peut-on être breton ?, 1970, 26.)
6. Ah ! père Anthime, vous ne pouvez pas savoir quel plaisir vous me faites, souligna
Guilhaume. Tout à l’heure je vous accompagnerai chez vous. Chauffez-vous en m’espérant. J’ai présentement à faire. (J. Mallouet, Jours d’Auvergne, 1992 [1975], 108.)
7. Je lui ai dit simplement : – Florentin, je t’espérerai chaque jour. (Chr. Signol, Marie des brebis, 1989, 44.)
8. Mon père était l’avant-dernier. Il vint alors qu’on ne l’attendait pas, parce qu’on
voulait une fille, mais pour la fille, il fallut espérer encore deux ans. (M. Delpastre, Les Chemins creux, 1993, 30.)
9. Faudrait nous visiter au moulin, y’en a une autre qui t’espère, qui serait contente de te revoir, te [sic] devines qui ? (G. Rey, La Montagne aux sabots, 1994, 214.)
10. Le record de Blake est en vue. Kersauson espéré à Brest lundi ou mardi. (Ouest-France, 17-19 mai 1997, 1 [Titre].)
V. encore s.v. amarrer, ex. 2.
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
11. – Tu as bien compris, insista-t-elle. Je désire rester seule cet après-midi.
– C’est un monsieur ou une dame que tu espères ? – On dit : « que tu attends », mais ça ne te regarde pas. (M. Peyramaure, L’Orange de Noël, 1996 [1982], 72.) — rare "attendre (qqc.)".
12. Dame, avec un noir de boudin comme y avait, fallait bien que j’espère le courant à revenir pour ne pas me casser la goule*, pisque j’avais pas de bougie ! (H. Bouyer, Le Populaire de l’Ouest, 19 décembre 1964, dans BrasseurNantes 1993.)
13. Espérez un peu que je vous donne la main à ramasser mes châtaignes ! (H. Bouyer, Le Populaire de l’Ouest, 31 octobre 1970, dans BrasseurNantes 1993.)
— Emploi abs.
14. Pleure pas Galinette. Espère un peu : on va voir le trou… Il est dans la roche, juste devant toi ! (M. Pagnol,
Jean de Florette, 1976 [1963], 80.)
◆◆ commentaire. Fr. espérer "attendre", comme occ. (e)sperar "id.", sont bien attestés l’un et l’autre dep. le 12e s. Les nuances d’emploi qui se dessinent entre fr. espérer et fr. attendre sont discutées au cours des 18e et 19e s. (GirardSynon 1741-1757 ; DictGramm 1789 ; GuizotSynon 1864) et, au milieu du 19e s., l’emploi persistant de espérer pour "attendre" est perçu comme marqué stylistiquement (« espérer s’emploie quelquefois, non sans quelque grâce, avec un nom de personne pour régime
dans le sens d’attendre » Besch 1845) ; il est marqué ensuite comme un régionalisme (Littré 1864 ; Lar 1870 ;
GLLF ; TLF ; Hanse 1994 ; NPR 1993-2000) ou comme un archaïsme (GLLF ; TLF ; Hanse
1994). De la même façon, au 18e s., les commentaires de Sauvages et de Féraud sur la différence d’emploi entre attendre et espérer (« Il ne faut pas confondre espérer avec atendre, et les employer indiféremment l’un
à la place de l’autre […] », Féraud 1787, 150) signalent de façon indirecte une évolution similaire dans le français
du Languedoc. Un peu en retrait par rapport aux attestations dialectales de même sémantisme
(voir notamment : haut dauphinois eiperá "attendre, patienter, languir dans l’incertitude", dauphinois alpin aperar, gascon, béarnais esperá, d’après FEW), le particularisme demeure en usage dans plusieurs régions de France,
essentiellement à la périphérie (dans les secteurs maritimes, en bordure du Massif
Central ou des Alpes). Il est par ailleurs bien attesté au Canada (FichierTLFQ ; DQA
1992), surtout en Acadie (PoirierAcadG ; MassignonAcad 1962 s.v. attendre ; P. Gautier, MélLoriot 1983, 22 ; CormierAcad 1999 ; NaudMadeleine 1999), en Louisiane
(DaigleCajun 1984), et à Saint-Pierre et Miquelon (BrassChauvSPM 1990). L’ensemble
de ces caractéristiques dénonce bien un particularisme de type archaïque, dont on
peut penser que la vitalité est en train de décroître malgré une bonne fréquence d’emploi
à l’écrit.
◇◇ bibliographie. FEW 12, 164b-165a, sperare ; Sauvages 1756 et 1785 ; AnonymeHippolyteF ca 1800 « Dans les départemens de l’Ouest (anc. Bretagne) et principalement à Nantes, on dit
comme en Languedoc espérez-moi pour attendez-moi) » ; VillaGasc 1802 ; RollandGap 1810 ; LeGonidecBret 1819 ; JBLGironde 1823, 52 ; PomierHLoire
1835 ; MichelDaudet, 147 [Numa Roumestan, 1881] ; VernoisStyle, 303 [Quercy, 1885 ; La Brière, 1923] ; ButlerMaupassant, 52,
71 ; BullFinistère 1897, 432 ; KervarecQuimper 1910 ; SainéanParis 1920, 324 ; BuléonBBret
1927 ; GougDesgr 1929, 195 ; BrunMars 1931 ; Dieppe 1952 ; PierdonPérigord 1971 ;
Les Angevins et la littérature (Angers 1978), 1979, 315 ; NouvelAveyr 1978 ; GonthiéBordeaux 1979 ; RézeauOuest
1984 ; BoninBourbonn 1984 ; GermiLucciGap 1985 ; LepelleyBasseNorm 1989 ; BoisgontierMidiPyr
1992 ; BrasseurNantes 1993 ; LepelleyNormandie 1993 ; GermiChampsaur 1996 ; FréchetDrôme
1997 « usuel » ; GallenBÎle 1997, 6, 8 ; ArmKasMars 1998 « rare » ; BoisgontierDocMs ; BouisMars 1999 ; ChambonÉtudes 1999, 162-163 ; MoreuxRToulouse
2000 ; SuireBordeaux 2000.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Corrèze, Gers, Gironde, Landes, Lot-et-Garonne, Morbihan,
Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, 100 % ; Dordogne, Haute-Vienne, 85 % ; Finistère,
75 % ; Basse-Normandie, 65 % ; Côtes-d’Armor, 65 % ; Creuse, 45 %.
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