fion n. m.
〈Bourgogne, Franche-Comté, Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire, Isère, Drôme, Bouches-du-Rhône
(Marseille), Ardèche, Haute-Loire, Puy-de-Dôme (Clermont-Ferrand)〉 "bref propos incisif qui vise à toucher au vif l’interlocuteur". Stand. pique, pointe. Semble en grande partie figé dans les tournures lancer, envoyer, balancer un/des fions à qqn. – Ceux qui lancent des fions ne se font pas beaucoup d’amis (TuaillonVourey 1983). Au cours de la réunion, il m’a envoyé un fion qui m’a pas fait plaisir (MartinPilat 1989). Au repas de communion de Pierrot, elle m’a envoyé un fion ; je l’inviterai plus (BlancVilleneuveM 1993).
1. Adrienne possède, au plus haut degré, le « don du fion », qui lui permet de résumer, en quelques mots ironiques et moqueurs, une situation
ou un personnage. (Th. Bresson, L’Enfant des bords du Rhône, 1990, 81.)
2. L’après-midi […], avec la belle-mère, on reprisait les draps. Toujours sans parler,
parce qu’elle parlait jamais. Sauf pour lancer des fions. (R. Bouvier, Tresse d’aïet, ma mère, 1997 [av. 1992], 27.)
■ remarques. Le mot doit être senti comme très familier, car en dépit de sa large extension géographique
on le rencontre rarement à l’écrit.
◆◆ commentaire. En français de référence, fion signifie "bonne tournure, cachet final, dernière main" (Rob 1985 « fam. »), en particulier dans le syntagme donner le (dernier) coup de fion (TLF). On relève aussi de nombreux sens plus ou moins argotiques ("postérieur", "chance", "individu méprisable" ; coup de fion "coup de chance" ; v. TLF, CellardRey 1980, ColinArgot 1990), mais ils ne se rattachent pas au même
type (plutôt à troufignon, var. troufion par aphérèse). La plus ancienne attestation du sens qui nous intéresse (il s’agirait
plus précisément du sens de "contrariété, camouflet") a été relevée en Suisse romande et date de la fin du 18e s. (« Je crains que la croix de Malte ne soit envoyée à la fille du banquier Bethmann. Serieusement
je voudrois que la Ctesse eut ce petit fion, comme on dit au paÿs de vaud », Lettre de Mme de Charrière à Henriette L’Hardy, 18 juin 1793, publiée dans J.-D. Candaux
et al. [éd.], Isabelle de Charrière, Belle de Zuylen : Œuvres complètes, t. IV, p. 102). Il est étrange que l’on ne dispose d’aucune attestation ancienne
pour cet emploi du mot en France ; cf. toutefois occit. fioun n. m. "brocard, mot piquant décoché indirectement, agacerie" (Mistral [1878])a. Il s’agit vraisemblablement du même mot que celui du français de référence (rattaché
par Wartburg à la famille de fignoler) ; en effet, certains parlers connaissent pour ce type les deux sens : cf. Vosges
fion "ce qui fait l’ornement d’un objet, la finesse d’une repartie", Remiremont "dernière main à un travail ; insulte fine"b (FEW). Il semblerait dès lors que le mot fion ait désigné à l’origine une raillerie subtile, bien tournée. Des emplois tels que
avoir le fion "être rusé, adroit" (MulsonLangres 1822) et faire des fions "faire des tours d’adresse, de grâce" (PuitspeluLyon 1894) pourraient représenter des étapes intermédiaires entre le sens
propre et le sens figuré qui nous intéresse. Le sens de "quolibet, raillerie", limité dans les patois aux Vosges méridionales (à l’exception d’une att. récente
en Haute-Savoie, v. DuprazSaxel 1969) est abondamment attesté en français sur une
large bande orientale : en plus de la Suisse romande, on le relève en Bourgogne, en
Franche-Comté, en Haute-Savoie et en Savoie, dans l’Ain, dans le Rhône, en Isère et
en Haute-Loire, ainsi qu’à Clermont-Ferrand (comm. pers., J.-P. Chambon), en Ardèche
et jusqu’à Marseille.
Les enquêtes DRF ont révélé une connaissance de 95 % pour les témoins de la région
lyonnaise, et de plus de 75 % chez les témoins savoyards. Au Québec, fion s’emploie avec le sens (apparenté à celui du fr. de réf.) de "fioriture, ornement" (GPFC1930c > Bélisle 1957 > TLF) mais aussi avec celui (qui nous intéresse ici) de "pointe, pique, bon mot" (ALEC 1980, q. 2275 ; Seutin 1981 ; DulongCanad 1989 ; FichierTLFQ ; cf. encore les
préfixés refion "remarque désobligeante" dans Lavoie 1985, q. 2945 et refionner "taquiner" dans ALEC 1980, ibid.). L’existence de cet emploi dans les aires latérales que sont le Québec d’une part,
l’est de la France et la Suisse d’autre part, donne à penser qu’il était probablement
courant en français populaire aux 17e et 18e s., bien qu’on ne l’ait pas relevé dans l’Île-de-France ni dans l’Ouest (le mot est
toutefois bien attesté çà et là dep. le 18e s. avec d’autres sens argotiques plus ou moins apparentés, v. SainéanParis). Les
rares attestations dialectales, très isolées, représentent certainement des emprunts
au français.
a Nous n’avons pu retrouver la source de Mistral pour ce mot. Les dictionnaires plus
anciens ou contemporains donnent pour fi(o)un le sens de "air, grâce qu’on se donne ou qu’on a en faisant une chose ; tournure" (Honnorat 1848), "adresse, habileté, bonne tournure, bonne façon" (Azaïs 1877), "adresse ; biais ; habileté ; manière de s’y prendre" (D’HombresAlès 1884). Dans tout le domaine occitan, seul L. Rouquier (1925) donne
fioun avec le sens de "quolibet" (source du FEW Hérault, Béziers), mais il l’a probablement repris directement de
Mistral.
b La source du FEW pour cette attestation (RobRemiremont 1911) fournit la plus ancienne
attestation en français de France (1911). Le mot se trouve également dans Les Patois lorrains de Lucien Adam (1881), le Lexique du patois vosgien de Fiménil de N.C. Lemasson (1927) et ZéliqzonMoselle 1922.
c Qui donne aussi le sens de "ornement accessoire qu’on ajoute aux traits d’une écriture" (étrangement devenu "rature, tache d’encre, de stylo" dans DQA 1992), que l’on relève chez Flaubert (1876, Corresp., p. 267, frantext) mais Ø TLF (cf. cependant fionner "agrémenter les lettres de fioritures" ibid.).
◇◇ bibliographie. RobRemiremont 1911 "insulte fine ; dernière main à un travail" ; SainéanParis 1920, 81-84 ; Pierreh ; FleischJonvelle 1951 lancer des fions à qqn ; DuprazSaxel 1969 ; TLF « régional (Est, Suisse) » ; KnoppSchülArg 1979, 126 recevoir des fions (Roanne) ; TuaillonVourey 1983 « usuel » ; GononPoncins 1984 ; Rob 1985 « régional (Suisse) » ; BouvierMars 1986 ; DuraffHJura 1986 ; GuichSavoy 1986 ; MartinPellMeyrieu 1987 ;
MartinPilat 1989 ; DucMure 1990 ; DromardDoubs 1991 et 1997 ; FréchetMartHelv 1991 ;
TavBourg 1991 ; VurpasMichelBeauj 1992 ; BlancVilleneuveM 1993 « usuel » ; FréchetMartVelay 1993 ; ValThônes 1993 ; VurpasLyonnais 1993 ; FréchetAnnonay 1995
« usuel à partir de 20 ans » ; LaloyIsère 1995 ; RobezMorez 1995 « usuel » ; SalmonLyon 1995 ; GPSR 7, 489b-490a ; DSR 1997 ; FréchetDrôme 1997 ; FréchetMartAin
1998 « usuel à partir de 20 ans » ; MichelRoanne 1998 « usuel » BouisMars 1999 ; Lar 2000 « Suisse » ; FEW 3, 564b, finis.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Ain, Ardèche, Isère, Loire, Haute-Loire (Velay), Rhône,
100 % ; Savoie et Haute-Savoie, 75 % ; Drôme, 65 %.
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