gadin n. m.
〈Jura, Haute-Savoie, Savoie, Rhône, Loire (Roanne), Isère, Drôme〉 fam. "fragment de pierre, de roche, de petite ou moyenne dimension". Stand. caillou. – On trébuche […] sur les gadins (San-Antonio, Tango chinetoque, 1966, 72). Quel mauvais chemin ! Il y a des gadins tout le long (MartinPellMeyrieu 1987). Ce chemin est plein de gadins (VurpasMichelBeauj 1992).
1. Comme la guinde [= voiture] était en pleine côte, je cherchais une grosse pierre pour
la caler. Précisément, il y en avait une à dix pas. J’allais dans cette direction.
Et alors, juste comme je me baissais pour saisir le gadin, il y eut une détonation sèche. (San-Antonio, Passez-moi la Joconde, 1954, 20.)
2. – […] j’aime mieux encore balancer un gadin.
Quand le caillou arriva, il y eut un bruit de verre brisé. – Viens vite, dit Robert. Viens ! Je crois qu’il y a des dégâts. (B. Clavel, Malataverne, 1990 [1960], 119.) 3. Celui-ci [le chemin] s’en va, bien pierreux dans un sillage de hautes herbes fleuries.
On entend les gadins qui pètent contre le bas de la caisse de la carrosserie. (San-Antonio, Faut être logique, 1979 [1967], 20.)
◆◆ commentaire. Mot dont l’origine est considérée comme inconnue par FEW (21, 34a ‘caillou’ et 293b ‘tête’ ; 22/1, 195b ‘jeu de palet ; jeu de bouchon’), mais dont on peut néanmoins tenter d’appréhender l’histoire en tant que régionalisme.
Briançon g a d ɛ̃ "petite pierre qui roule sur le chemin" (1938, FEW 21, 35a ‘pierre’) mis à part, gadin "caillou" présente la particularité remarquable de n’avoir été recueilli qu’en français sur
une aire cohérente centrée sur Lyon, et non dans les parlers dialectaux (Ø PuitspeluPatLyon,
DuraffGloss, ALLy 836, ALJA 123, etc.). Attesté seulement depuis PuitspeluLyon 1894,
sa diffusion paraît également récente : absent de Mâcon 1903, il apparaît dans Mâcon
1926 ; aujourd’hui usuel à Roanne, il n’est pas relevé par PrajouxRoanne 1934, et
il ne figure pas dans GononPoncins 1984 ; Puitspelu indique « mot lyonnais (que je ne crois pas ancien) »). Enfin les sens secondaires ( ? !) du mot sont très vite dérégionalisés par voie
argotique ("chute" dep. 1918, TLF) ou même apparaissent dans l’argot de Paris… avant le sens qu’on a
pu croire (Chambon Z 104, 175) primaire : "jeu de bouchon" dep. 1855 (FEW 22/1, 195b) et "vieux chapeau" dep. 1867 (TLF) ; pour ramasser un gadin, EsnaultArg 1965 (sans références, mais sûr)a avance de même les dates de « 1877 ?, 1900 ». Ces éléments excluent que le mot ait son origine dans le vernaculaire francoprovençal.
Si l’on fait confiance à la chronologie – comme tout pousse à le faire –, on est conduit à l’hypothèse selon laquelle le terme argotique gadin "bouchon ; but au jeu de bouchon", bien entouré de gad’, gadiche et gadiner dès 1890-1901 (EsnaultArg ; SainéanParis, 288), a pris à Lyon – où EsnArg connaît, comme à Paris et Châlons, gadin "caillou, but au jeu de bouchon", SainéanParis faisant état, de son côté, de l’acception spécifiquement lyonnaise
"caillou au jeu de boules" –, dans la seconde moitié du 19e siècle, le sens par extension spécifiquement lyonnaise de "caillou", lequel s’est diffusé ensuite dans le français de la région. C’était là, il semble
bien, la vue interrogativement exprimée par PuitspeluLyon 1894 : « En argot gadin signifie bouchon. Le mot lyonnais […] est-il le même avec une déviation de sens ? » (et à laquelle SainéanParis répond affirmativement). Au total, l’histoire de frm.
région. gadin est donc celle d’un emprunt à la parlure vulgaire de la capitale sur lequel s’est
développée, à la fin du 19e siècle, une innovation sémantique lyonnaise qui s’est répandue à son tour, au 20e siècle, dans les zones subordonnées à la métropole régionale ; elle illustre à la
fois un modèle de diffusion lexicale caractéristique de l’époque contemporaine, par
parachutage du centre directeur national sur un centre urbain subalterne, et la capacité
conservée par Lyon à innover indépendamment comme à influencer sa région. Absent des
dictionnaires généraux, le sens ici analysé a été accueilli par CellardRey 1980-1991
avec un seul exemple de San-Antonio (ici ex. 1), à tort, gadin n’appartenant pas à l’argot général, mais à la strate régionale du français de l’auteur.
Quant à l’origine première du mot, le parallélisme, d’une part entre arg. gadiche f. "bouchon ; jeu de bouchon" (SainéanParis 1920, 288, etc., v. FEW 22/1, 195b) et lorr. galiche f. "id." (FEW 4, 44a, gallos 2b), arg. gadin m. "bouchon (au jeu)" (1855-1901, etc., v. FEW 22/1, 195b) et formes d’oïl, neuch. sav. galine f. "bouchon ; jeu de bouchon", FEW 4, 44a) qui connaît aussi une forme masculine (verdch. galin m. "galet, petite pierre", mal classé FEW 4, 42b, car lié explicitement par le glossairiste à verdch. galine f. "petite pierre et caillou plat", le sens "jeu de bouchon" n’étant signalé que dans le commentaire de l’article), d’autre part, l’existence
antérieurement d’arg. galiffar m. "bouchon" (1827, SainéanSourc), galifard (Ds 1896 ; Vill 1912, FEW 22/2, 111b), montrent que le radical originel doit être gal‑. La paraphonie et l’appartenance au même ensemble référentiel d’arg. godiche f. "palet placé debout et qu’il faut abattre" (1893, EsnaultArg ; FEW 22/1, 195b), Mâcon gode f. "grosse bille à jouer" et godiche (FEW 4, 185a, god-) laisseraient penser que la variation du radical gal-/gad- pourrait être due à l’influence des noms d’animaux domestiques en god- (FEW 4, 184-185, god- 2) ; cf. dans le même ordre d’idées norm. cochon m. "but au jeu de boules" MN […] mfr. et frm. cochonnet (FEW 2, 1255b, koš I2c). Pour l’inversion de perspective, comparer « gadin et gadiche, bouchon et jeu de bouchon […] dérivent de l’angevin gade, quille placée dans un rond qu’il faut abattre » (SainéanParis 1920, 288) ; en fait, VerrOnillAnjou 1908 n’atteste gade f. "quille placée dans un rond de 50 cm de diamètre qu’il faut abattre avec des palets ;
le jeu lui-même, pratiqué par les enfants" qu’à Angers même, preuve qu’il ne s’agit pas d’une dénomination dialectale et autochtone,
mais de la forme régressive arg. gad’ m. / gad’ f. (1898, pour la première, EsnaultArg).
a Sa source pour « 1877 ? » est ChautardArgot, 1931, 376 : « ramasser un gadin, une gadiche (1877), chanceler ».
◇◇ bibliographie. PuitspeluLyon 1894 ; VachetLyon 1907 ; SainéanParis 1920, 288 « gadin désigne à Lyon un caillou, au jeu de boule » ; Mâcon 1926 ; ParizotJarez [1930-40] ; EsnaultArg 1965 ; MartinPellMeyrieu 1987 ;
VurpasMichelBeauj 1992 « usuel » ; VurpasLyonnais 1993 « usuel » ; SalmonLyon 1995 ; MichelRoanne 1998 « usuel » ; Chambon Z 104 (1998), 173 ; FEW 21, 34a et 35a ‘pierre’ et 22/1, 195b.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Drôme, Loire, Rhône, Savoie, Haute-Savoie, 100 % ; Isère,
60 % ; Ardèche, Haute-Loire, 0 %.
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