ménager (se) v. pron.
〈Allier (spor.), Rhône, Loire, Haute-Loire, Cantal (Mauriacois), Puy-de-Dôme〉 ménagez-vous ! / ménage-toi ! loc. phrast. fam. "(souhait habituel quand on se quitte pour quelque temps)".
1. – Au revoir, bourrelier !
– A quelque jour, Alphonse ! Ménagez-vous… (R. Sabatier, Les Noisettes sauvages, 1983 [1974], 252.) 2. Quand j’ai quitté la mère Blanc, j’ai senti une pointe d’émotion dans sa voix lorsqu’elle
m’a dit, avec l’accent canut :
– Allez, mon grand, ménagez-vous… (Cl. Bourgendre, Le Tablier de sapeur, 1979, 218.) 3. J’aimais le bourg de Bagnols parce qu’il était paisible et animé. Les gens marchaient,
vaquaient à leurs occupations, s’abordaient, causaient. Quand ils se quittaient, ils
se disaient : « Ménagez-vous ! » (P. Cousteix, « Une enfance », Bïzà Neirà 66, 1990, 34.)
V. encore s.v. plan-plan, ex. 5.
□ En emploi autonymique ou métalinguistique. Nous quittions nos hôtes, requinqués par « leur ménagez-vous » ! (M.-J. Faure-Bouteille, Le Pépé au grenier, 1985, 102 [sic guillemets]).
4. Il me semble que j’entends encore les « ménagez-vous ! » que, de leur cinquième étage, nous criaient, le dimanche soir, en rue des Tables-Claudiennes,
les vieux amis auxquels ma famille rendait des visites régulières, solennisées par
deux bons repas, quelques jolies bouteilles et un échange de chansons. À la même heure,
de tous les étages, dans toute la rue, d’autres « ménagez-vous », indéfiniment prolongés par l’accent du cru, ponctuaient d’autres séparations. (J. Folliet,
La Joyeuse Philosophie des gones, 1998 [1955], 49.)
5. Il y a enfin une manière de se quitter, notre adieu lyonnais – « Ménage-toi… ménagez-vous », cachant une philosophie implicite, où la loi du moindre effort figure en bonne place.
« Ménagez-vous… » Evitez les excès, même ceux du travail, de la table ou de la passion. (J. Folliet,
La Joyeuse Philosophie des gones, 1998 [1955], 49.)
6. « Jeune homme, c’est exact, vous avez un souffle au cœur. […]
– Il faudrait opérer… aller gratter là-dedans, corriger ce qui ne va pas. C’est au-dessus de nos connaissances. Faisons confiance à la nature. Et… comme on dit à Thiers : ménagez-vous. » C’est vrai, à Thiers, on ne se quitte pas en disant : au revoir, portez-vous bien, à la prochaine. Non : ménagez-vous. (J. Anglade, Le Voleur de coloquintes, 1972, 224.) ■ remarques. En Auvergne, la locution a été « popularisée dans les années 60 par la chronique du père Joannet, à Radio-Auvergne,
[et] elle est souvent utilisée plaisamment » (ChambonÉtudes 1999, 147).
◆◆ commentaire. Emploi formulaire et par restriction de fr. se ménager "prendre soin de sa santé" (dep. 1662 [1643] La Rochefoucauld, v. TLF), non pris en compte par les dictionnaires
généraux contemporains. L’aire de diffusion (Rhône, Loire, Haute-Loire, Puy-de-Dôme,
mais aussi, naguère, Marseille) suggère que cette formule de civilité, attestée d’abord
à Lyon en 1894 (Puitspelu), constitue une innovation régionale développée par le français
de cette ville et diffusée par elle (sans doute avant que les liens privilégiés de
l’Auvergne avec le Lyonnais ne soient rompus au début du 19e siècle). La date tardive des relevés lexicographiques, spécialement en Auvergne,
paraît être le signe d’un usage tenu pour poli et longtemps non stigmatisé ou peu
stigmatisé. Les correspondants dialectaux (GononPoncins 1947 dans FEW et auv. meinajaz-vous ! BonnaudAuv 1979) sont calqués sur le français.
◇◇ bibliographie. PuitspeluLyon 1894 ; BrunMars 1931 ; BaronRiveGier 1939, 44 ; ParizotJarez [1930-40] ;
DornaLyotGaga 1953 ; EscoffStéph 1976 ; BridotSioule 1977 ; BonnaudAuv 1979-NDGFA
1999 ; OlivierMauriacois 1981 « plus rare qu’en Basse Auvergne » ; TuaillonRézRégion 1983 (Thiers) ; GononPoncins 1984 ; MeunierForez 1984 ; PotteAuvThiers
1993 ; PruilhèreAuv 1993 ; SalmonLyon 1995 ; PlaineEpGaga 1998 ; QuesnelPuy 1998 ;
ChambonÉtudes 1999, 147 (Pourrat, Gaspard des Montagnes) ; FEW 6/1, 190b, manere.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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