abonde n. f.
Surtout dans les loc. verb. faire de l’abonde/faire + adv. de quantité + d’abonde, souvent en constr. impers. fam.
1. 〈Loir-et-Cher (sud), Indre (est), Cher, Allier, Saône-et-Loire, Ain, Rhône, Loire,
Isère, Drôme, Ardèche, Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Creuse, Haute-Vienne, Corrèze, Dordogne
(nord), Bordeaux〉 "faire du profit, être d’un usage avantageux, laisser de beaux restes (se dit d’aliments,
de produits consommables)". Ce pain qu’ys [sic] nous vendent, maintenant, y fait point d’abonde (GononPoncins 1984). La viande en sauce, ça fait de l’abonde (MartinPellMeyrieu 1987). Ces fruits ça fait point d’abonde : ils sont trop mûrs et ils fondent dans la bouche (FréchetMartVelay 1993). Ça f’rait pas assez d’abonde (M. de Valence, Récits et légendes du vallon et des collines, 1996, 259).
1. En année de disette, le bouvier mélange foin et paille, pour faire plus d’abonde. (J. Bridot, Voyage au pays de nos pères, 1977, 3.)
2. Quand on allait chez elle, la Tante Germaine faisait presque toujours un pot au feu.
C’était pas pleuré [= donné à regret], et ça faisait bien d’abonde : parce qu’il lui en restait toujours assez pour finir sa semaine. (MeunierForez
1984, 18.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
3. La moindre brindille n’était pas gaspillée car il fallait que le foin fasse de l’abonde (pour que ça dure longtemps) jusqu’au printemps prochain. (R. Cuisinier, Mon Enfance à Haute-Rivoire, 1941-1955, 1998, 138.)
— Par ironie.
4. Oui, oui, il avait pris ça pour des poires au vin rouge. Et c’étaient des tomates.
Et c’est que ça lui avait fait de l’abonde. (Recueilli en 1980, dans R. Aurembou, Il était une fois… le Bourbonnais, 1983, 109.)
— Var. 〈Haute-Garonne (Toulouse peu usuel), Aquitaine〉 faire abonde, 〈Toulouse (vx)〉 porter abonde loc. verb. "id.". Le rôti était gros, mais il n’a pas fait abonde (BoisgontierAquit 1991). C’est une variété de pois qui porte abonde (MoreuxRToulouse 2000).
— Avec un autre verbe. Voir s.v. peine, ex. 27.
2. 〈Loir-et-Cher (sud), Indre, Cher, Allier, Rhône, Loire, Drôme, Puy-de-Dôme, Creuse.〉
2.1. "faire du volume, faire nombre". Font de l’abonde les aliments qui gonflent en cuisant (BrunetFrBourbonn 1964).
5. Elle marchait un peu penchée à cause du poids de sa natte qui faisait gros d’abonde dans son dos. (Ph. Valette, Mon Village, 1947, 137.)
6. […] s’il est des viandes – la plupart – qui rétrécissent regrettablement à la cuisson, il en est aussi qui font le contraire :
c’est là un axiome bien connu des cuisiniers :
– Tiens, se dit-elle simplement – car c’était une femme pas compliquée – y a mon miroton qu’a fait « de l’abonde »… (M.-É. Grancher, Les Filles de La Rochelle, 1958, 13-14.) 7. – Y-a [sic] également, dit Alfred, vos culottes.
– Mes culottes … ? Je ne peux pas venir sans culottes, Moussu. – Assurément. Mais trouvez-en, s’il vous plaît, une autre paire. Quelque chose d’un peu plus conforme. – Qu’appelez-vous conforme, Moussu ? – De moins ancien. Qui fasse comme qui dirait moins d’abonde. (J. Anglade, Les Bons Dieux, 1984, 234.) 8. Ça représentait une grande femme, bien mince, aque [= avec] un teint de lis et des
cheveux vaporeux qui faisaient bien d’abonde, une jolie robe à grosses fleurs, sans manches, sans taille, et qui s’arrêtait juste
au-dessus du genou. (A. Burtin et al., Petites histoires en franc-parler. C’est pas Dieu poss !, 1988, 35-36.)
V. encore s.v. appondre, ex. 1.
2.2 "donner l’impression (illusoire) de l’abondance, de la quantité".
9. […] sa calvitie assez avancée l’avait conduit à distraire quelques mèches sur les
côtés pour garnir, après un travail compliqué de plis et de replis, le sommet du crâne.
Ah, il avait le cheveu qui faisait de l’abonde, M. Fraise ! (P. Soisson, Les Souvenances d’un vieux tortin, 1987, 115.)
10. Ainsi ai-je joué (j’ai bien dit joué et non chanté) Boris Goudounov aux côtés de Chaliapine ;
je faisais un boyard au Ier acte, au II un mendiant sous la neige et – deux fois – un soldat (on courait très vite derrière le diorama de fond pour repasser une seconde
fois – cela faisait « de l’abonde » ; au passage on changeait le fusil pour le sabre ou le contraire. (P. Soisson, Les Souvenances d’un vieux tortin, 1987, 115.)
— Var. donner de l’abonde.
11. Une copieuse garniture de persil essayait de donner de l’abonde. (J. Anglade, Les Permissions de mai, 1981, 123.)
— Au fig. "être envahissant, dérangeant (par le bruit, le mouvement, les propos)". Ces deux là, ils font d’abonde (VurpasMichelBeauj 1992). Quand il est là, on ne risque pas de s’ennuyer, il fait de l’abonde (FréchetDrôme 1997).
12. Là, Lexandre commence à en avoir assez […]. Oouuuh, tu vas rien faire entrer du tout.
Tu commences à faire de l’abonde. Tu vas-t-y nous faire ta sérénade bien plus longtemps ? (A. Aucouturier, Le Dénicheur d’enfance, 1996, 175-176.)
□ En emploi métalinguistique.
13. Quand les enfants sont turbulents on dit qu’ils font de l’abonde. (M. de Valence, Récits et légendes du vallon et des collines, 1996, 259.)
◆◆ commentaire. D’attestation récente (dep. PomierHLoire 1835), 1. recouvre une aire centrale compacte répartie entre les trois aires linguistiques
d’oïl, d’oc et francoprovençale (à l’exception de la loc. faire abonde également attestée en Aquitaine). La plus forte vitalité est relevée aujourd’hui
dans l’aire lyonnaise et son aire d’influence, et dans la région Centre [ou Berry-Bourbonnais] ;
les aires nord-occitanes ne recueillent en moyenne que 45 % de "connu" en Limousin et 35 % en Auvergne. Les plus anciennes attestations du substantif sont
rares et régionalement marquées : habunde, 1re m. du 13e s., Del Confortement de Philosofie, éd. Bolton-Hall, (sud-est de la Bourgogne, v. Roques RLiR 62, 555, qui ajoute une
attestation de 1456 à Evreux) et habonde, env. 1320, Ovide moralisé, éd. de Boer, localisé dans le Cher (Baldinger RLiR 39, 1-16) ou « Centre/bourg. » (DEAF). Cette construction est ignorée de la lexicographie générale et elle est peu
documentée dans les dialectes. On peut penser à une locution bien établie en domaine
d’oïl sans que cette origine soit exclusive ; en effet la possibilité d’une diffusion
de la locution par l’aire francoprovençale, à partir d’une aire d’influence occitane
plus ancienne (v. abonder dont abonde est le déverbal) et plus large, dans la mesure où elle est encore enregistrée dans
le Sud-Ouest (notamment sous forme de variante), peut également être posée. 2. présente des sens où se développe l’idée de volume, en bonne part (2.1.), ou en mauvaise part, avec une idée de tromperie ou d’excès (2.2.). Ces développements sémantiques (valeurs fig., iron., péj.) s’observent surtout
au nord de l’aire, dans la région Centre et en Auvergne (Dr Piquand, Le Parler bourbonnais, 1953 ; BonnaudAuv 1976) ; leur emploi, plus rare dans les dialectes, pourrait être
second par rapport à l’usage en françaisa. V. encore abonder et la carte des attestations dialectales de ce type d’après les atlas linguistiques
régionaux dans Pierre Gauthier et Thomas Lavoie dir., Français de France et français du Canada. Les parlers de l’Ouest de la France, du
Québec et de l’Acadie, Université de Lyon III, 1995, 86, avec commentaire 88.
a « Ce mot, en dialecte, semble s’appliquer très généralement à une abondance relative
et appréciable, et c’est en passant du sens physique au sens moral, en français régional,
qu’il prend une nuance nettement péjorative "faire du volume, tenir trop de place" » (MalapRég 1981, 136).
◇◇ bibliographie. FEW 24, 60a, abundare [Ø VillaGasc 1802 ; Ø GabrielliProv 1836 ; Ø Mège 1861] ; PomierHLoire 1835 ; JaubertCentre
1864 (s.v. profiter, dans la définition) ; PuitspeluLyon 1894 ; VachetLyon 1907 (s.v. abonder, dans la définition) ; DauzatVinz 1915, § 9 ; LarocheMontceau 1924 ; Mâcon 1926 ;
BrunMars 1931 ; BrunetFranchesse 1937 ; MittonClermF 1937 ; DuraffVaux 1941 ; BigayThiers
1943 supplément ; J. Drouillet, « Vocabulaire et folklore d’Amognes », Bull. philol. et hist. du Comité des travaux hist. et scient., Paris, 1944/45, 1-48 ; SéguyToulouse 1950 ; DornaLyotGaga 1953 ; Dr Piquand, Le Parler bourbonnais, Montluçon, 1953 ; JouhandeauGuéret 1955, 174 ; E. Tisserand, Du patois au français régional en un point du domaine bourbonnais : Saint-Léopardin
d’Augy (Allier), DES Clermont-Ferrand, 1961 (s.v. quantité) ; Vie et Langage 1962, 391 ; BrunetFrBourbonn 1964 ; GagnonBourbonn 1972 ; BonnaudAuv 1976 ; BonnaudAuv
1978 ; RLiR 42 (1978), 155 (Lyon, Rhône, Allier) ; GonthiéBordeaux 1979 in fine, B ; MalapRég 1981, 136 ; BecquevortArconsat 1981 (s.v. obondo, fouaire d’-) ; P. Delaigue, Patois et parlures du Bas-Berry, Châteauroux, 1983 ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ; BoninBourbonn 1984 (s.v. profit) ; MeunierForez 1984 ; LagardeCérilly 1984, 19 ; GononPoncins 1984 « usuel, tous âges » ; MartinPellMeyrieu 1987 ; QuestThiers 1987 ; SuireBordeaux 1988 ; DesrichardSouvigny
1989, 264 ; MartinPilat 1989 « usuel à partir de 40 ans, connu au-dessous » ; BoisgontierAquit 1991 ; SuireBordeaux 1991, 47 et 2000 ; VurpasMichelBeauj 1992
« usuel » ; DubuissBonBerryB 1993 ; FréchetMartVelay 1993 « bien connu à partir de 60 ans, attesté au-dessous » ; VurpasLyonnais 1993 « bien connu » ; LaloyIsère 1995 ; Recueil des marges d’enq. 1994-1996, Auvergne ; SalmonLyon 1995 ;
CottetLyon 1996 (s.v. abondance, en ‑) ; FréchetDrôme 1997 « globalement connu » ; LuronCentreBerry 1997 ; ValMontceau 1997 ; FréchetMartAin 1998 « globalement usuel » ; MichelRoanne 1998 « usuel » ; PlaineEpGaga 1998 « encore utilisé » ; RoubaudMars 1998, 53 faire d’abonde ; ChambonÉtudes 1999, 44-45 et 209 ; MoreuxRToulouse 2000 ; ALCe 689.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : 1. Ain, Allier, Cher, Haute-Loire (Velay), 100 % ; Loire 80 % ; Ardèche, Rhône, 65 % ;
Creuse, 65 % ; Isère, 60 % ; Indre, 50 % ; Corrèze, 45 % ; Haute-Vienne, 40 % ; Auvergne,
35 % ; Loir-et-Cher sud, 30 % ; Dordogne, 25 % ; Drôme, 0 %. 2. Allier, Cher, 100 % ; Indre, 50 % ; Auvergne, 35 % ; Loir-et-Cher sud, 30 %.
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