air n. m.
I. 〈Surtout Loir-et-Cher (sud), Indre, Cher, Allier (sauf sud-ouest), Saône-et-Loire, Rhône (sud),
Loire, Haute-Loire (Saugues)〉 air de feu loc. nom. m. "flambée". Ça a bien fraîchi, et on endurerait bien un air de feu (MeunierForez 1984 s.v. feu).
1. Le grand paysan s'en allait, ragaillardi par un « air de feu » et le cœur réchauffé aussi d'avoir revu sa Clémence « bien chez elle », au soir d'un jour pour elle paisible où elle avait gagné, devant son fourneau ronflant,
autant que lui dans la forêt. (M. Genevoix, Au cadran de mon clocher, 1997 [1960], 115-116.)
2. – On pourrait faire un petit air de feu.
– Je m'en occupe, dit Olivier. / […] il adorait allumer un feu. (R. Sabatier, David et Olivier, 1985, 52.) — prendre un air de feu loc. verb. "se réchauffer à une flambée".
3. – […] Tu étais levée depuis quatre heures, tu avais bu ton café […]. Tu avais même
eu le temps de prendre un air de feu à la cuisine […]. (J. Giono, Les Âmes fortes, 1949, 72-73.)
4. « On met des bûches au foyer quand on veut faire un feu qui dure, mais si l'on veut
seulement chasser l'humidité, “prendre un air de feu”, on ne brûle que quelques branches de pins ou de genêts […]. C'est au moyen d'un
commentaire de ce genre qu'on a obtenu le mot “flambée”. » (ALMC, 1959, t. 2, 764*.)
□ Dans un énoncé définitoire ordinaire.
5. « Prendre un air de feu » c'est, quand il fait froid dehors, venir un instant auprès d'un bon feu pour se réchauffer
avant de sortir à nouveau. On invite les passants, notamment le facteur, à « prendre un air de feu ». (ALLy, 1956, t. 3, 746.)
II. 〈Haute-Savoie, Savoie, Ain (Dombes), Rhône, Loire, Isère, Provence, Ardèche〉 donner d'air à qqn / donner de l'air à qqn loc. verb. fam.
1. [Le sujet désigne un animé] "ressembler à". Synon. région. ressembler* qqn, sembler*, tirer* de/du côté de/sur qqn. – Tu donnes bien d'air à ton père (Ch. Exbrayat, Le Chemin perdu, 1982, 280).
6. pommard. – Quelle personne originale c'était, même un peu cavalière, n'est-ce pas.
toupin. – Soupe au lait, soupe au lait, mais bien donnante, si je vous disais. […] Ne trouvez-vous pas que sa nièce lui donne de l'air ? (R. Pinget, La Manivelle, 1985 [1959], 58.) 7. – Je ressemble à un milord […]. Je donnerais de l'air au duc d'Edimbourg que ça m'étonnerait pas, non ? (San-Antonio, J' suis comme ça, 1994 [1960], 133.)
8. Le Milou […], ça faisait vraiment un beau brin d'homme […] ; sur sa photo en militaire,
en 27, y donnait d'air au Jean Gabin dans Pépé le Moko. (A. Burtin et al., Petites histoires en franc-parler. C'est pas Dieu poss !, 1988, 104.)
— Var. 〈Isère〉 donner des airs à qqn Plus il vieillit, plus il donne des airs à son grand-père (LaloyIsère 1995).
2. [Le sujet désigne un inanimé] donner d'air/de l'air à qqc. loc. verb. moins usuel "ressembler à".
9. Je vous ferai goûter mon vin au picrate, qui donne d'air au poivre. (Président E. Herriot, lettre du 28 juillet 1942 à l'auteur, encartée dans
M.-É. Grancher, Au temps des pruneaux, 1946.)
III. 〈Alpes-de-Haute-Provence, Bouches-du-Rhône, Hérault, Pyrénées-Orientales, Bordeaux〉 un air de deux airs loc. nom. m. fam. "un air bizarre, hypocrite, équivoque".
10. On se taquinait. On se tutoyait. On blaguait. On faisait même semblant d'oublier ses
petites animosités. Monsieur Hermès regardait ça d'un air de deux airs. (R. Guérin, L'Apprenti, 1946, 56.)
11. Ce que j'en ai marre de tout ça ! Et ce gluant qui ne cesse pas de me zieuter d'un air de deux airs. (R. Guérin, La Peau dure, 1992 [1948], 145.)
12. Vous dire que jamais personne ne m'a tiré l'œil [= n'a retenu mon attention], ce serait
mentir. Il y en avait plus d'un duquel je me suis dit : « Le voilà ! » Des gros, des petits, des grands, des maigres comme on dit. Dès qu'ils avaient un air de deux airs j'ouvrais l'œil. J'étais très intéressée par les tristes. (J. Giono, Les Âmes fortes, 1949, 106.)
13. Le maréchal-ferrant, le Pierrou et même le boulanger, se taisaient dès qu'il ouvrait
la bouche. Tout ce qu'il disait était parole d'Evangile. Cela, c'est lui qui le croyait.
Mais, derrière son dos, ils avaient tous « un air de deux airs » qui voulait dire bien des choses… (R.-A. Rey, La Passerelle, 1976, 35.)
14. La baronne acheva de se ruiner dans l'esprit des villageois de Mailhac en assistant
à l'enterrement en jeans avec un air de deux airs. (M. Rouanet, Je ne dois pas toucher les choses du jardin, 1993, 230.)
15. « Ah ! monsieur Poulidor ! Je suis si content de vous rencontrer : vous avez bercé ma
jeunesse. » Poupou tique. Il regarde son admirateur d'un air de deux airs. (Fr. Marmande, dans Le Monde, 28 juillet 1997, 35.)
16. Laugier s'annonce à l'interphone, en fixant la caméra de protection. […] Un doberman
style chasses du comte Zaroff le regarde d'un air de deux airs, mais il n'aboie pas, ce qui est pire. (R. Merle, Treize reste raide, 1997, 22.)
◆◆ commentaire.
I. Le FEW n'enregistre que les loc. verb. prendre l'air du feu « s'approcher du feu afin de se réchauffer » (dep. Wid 1669) et prendre un air de feu (dep. Ac 1835)a. Si la première locution semble disparue, la seconde s'est maintenue sporadiquement
mais son aire de dispersion – et celle de la lexie air de feu –, telle qu'on peut l'appréhender à travers la documentation, montre qu'il s'agit d'un
archaïsme dont les traces ne sont pas très marquées diatopiquement, le reflux ne s'étant
pas fait sur des lignes géographiques nettes (Murger 1869, Zola 1877 et 1886, Pesquidoux
1921, Pourrat 1922 et 1925, Claudel 1938, Sabatier 1985, tous dans Frantext ; aussi Genevoix supra)b. Il reste que air de feu semble bénéficier d'une relative vitalité au nord-ouest, à l'ouest et au sud de Lyon
et qu'il a été enregistré dès la fin du 19e s. comme caractéristique de la région. – PuitspeluLyon 1894 un air de feu vaut mieux qu'un air de violonc ; Mâcon 1903-1926 prendre un air de feu ; MichelRoanne 1998 ; GLLF « vx et fam. », avec ex. de R. Escholier [Ariège] ; TLF « vx » ; GononPoncins 1984 faire un air de feu « usuel, tous âges » ; Rob 1985 sans marque ; ALB 1452 « expression assez vivante dans le sud de la région » ; ALMC 764 ; ALLy 746* ; FEW 24, 224a, aer.
II. Attesté en français dep. 1692 (« Feu Mons. Huguetan Avocat de Lion qui le [Guy Patin] connoissoit particuliérement, trouvoit qu'il donnoit d'air à Ciceron dont on voit
la statuë à Rome » Lettres choisies de feu Mr Guy Patin, Cologne, t. 1, A iv, Avis au lecteur)d et en 1746-1748 à Lyon (DuPineauR, 428 ; DuPineauV, 247), la locution a été également
relevée en Suisse romande (dep. 1782 à Genève donner de l'air à qqn, v. FEW ; LengertAmiel donner de l'air et donner d'air). Dénoncée par divers auteurs de cacologies (dep. DesgrToulouse 1766 donner de l'air), principalement dans le quart sud-est de la France (Sauvages 1785 donner d'air ; MolardLyon 1792 donner d'air ou de l'air ; VillaGasc 1802 donner d'air ; RollandGap 1810 donner d'air ou de l'air ; RollandLyon 1813 donner d'air ou de l'air ; ReynierMars 1829-1878 donner de l'air ; PomierHLoire 1835 id. ; GabrielliProv 1836 donner d'air), elle est enregistrée sans marque diatopique dans Littré (« locution vieillie »), qui cite Bayle (cf. ici n. d), et TLF la donne comme « région. » sans autre précision. – SéguierLagueunière [ca 1770] donner d'air ; MolardLyon 1810 donner d'air ou de l'air ; ReynierMars 1829-1878 donner de l'air, des airs ; PuitspeluLyon 1894 donner d'air ; BrunMars 1931 id. ; VachetLyon 1907 id. ; MiègeLyon 1937 id. « il faut être âgé pour connaître l'expression » ; BouvierMartelProv 1982 donner de l'air ; TuaillonVourey 1983 donner d'air « usuel » ; GononPoncins 1984 id. « usuel, tous âges » ; BouvierMars 1986 avoir d'air de ; GuichSavoy 1986 donner de l'air ; ArmanetVienne 1989 donner d'air ; MartinPilat 1989 id. ; DucMure 1990 « donner de l'air et surtout donner d'air » ; BlanchetProv 1991 donner d'air ; MazaMariac 1992 id. ; ArmanetBRhône 1993 avoir d'air de ; BlancVilleneuveM 1993 donner d'air ; VurpasLyonnais 1993 donner de l'air ; LaloyIsère 1995 donner des airs/d'air ; SalmonLyon 1995 donner d'air ; CottetLyon 1996, 191 donner de l'air ; FréchetDrôme 1997 donner d'air ; ArmKasMars 1998 id. « rare » ; FréchetMartAin 1998 id. ; RoubaudMars 1998, 62 donner d'air ; FEW 24, 224b, aer.
III. Ce type lexical est signalé en patois du Périgord au début du 20e s. (un èr de dous èrs, FEW) et dans une large partie de la Wallonie (ainsi FrancardBastogne 1994), mais
des formes voisines sont attestées dans le français de Suisse romande dep. 1910 (un air à deux airs Pierreh ; GPSR) et de France « être à plusieurs airs être hypocrite ou fantasque » (Larch 1858-Ds 1896), l'air d'avoir deux airs (PuitspeluLyon 1894 ; H. Barbusse, 1916 dans Frantext ; SalmonLyon 1995, avec ex. de 1928 ; A. Jeanmaire, Les Lauriers sont coupés, 1972, 78 [Moselle]), l'air d'en avoir deux (Bruant, 1890 dans CellardÇa ; Vautrin, 1974 dans Frantext ; Rob 1985, sans ex. ; SalmonLyon 1995 ; déjà un air d'en avoir trois ou quatre, San-Antonio, Du brut pour les brutes, 1992 [1960], 68) ou encore un air entre deux airs (Cl. Courchay, Chronique d'un été, 1990, 189 ; ArmKasMars 1998). Sans doute trop proche de ces dernières lexies, un air de deux airs n'a été pris en compte que par GLLF (avec la marque « fam. » et un ex. de R. Escholier [Ariège]), la variante vieillie un air sur deux airs étant par ailleurs enregistrée sans mention diatopique dans Rob 1985 et dans TLF,
ce dernier avec un ex. de Pagnol, Marius, 1931), tandis que les lexicographes régionaux se montrent, de leur côté, très discrets.
Cette lexie semble particulièrement en usage dans le sud de la France, mais sa présence
dans le français de la région de Bastogne (comm. de M. Francard), jointe aux variantes
ici rassemblées, donne à penser qu'elle appartient à un paradigme archaïque. – RostaingPagnol
1942, 127 ; BouvierMartelProv 1982 avoir un air de deux airs/sur deux airs ; RézeauChiffres 1993, 84 ; FEW 24, 224b, aer.
a Sous cette dernière forme, les plus anciennes attestations de la locution remontent
au 18e siècle : 1738 « Chacun félicita Alexis, excepté la mere qui l'en remercia froidement, & qui fit transporter
sa fille autre part, sans vouloir permettre à Alexis de venir prendre un air de feu
avec elle ; il fut, comme on dit, obligé de se sécher où il s'étoit moüillé » (Les Etrennes de la St Jean, 2e éd., 1742, 133), comm. de P. Enckell ; 1773, DDL 25.
b La lexie est attestée aussi dans le français du Jura et de la Côte-d'Or (témoignage
de B. Moreux) ; elle est aussi utilisée comme définissant de chaude dans PohlBelg 1950.
c Le type air de feu est passé dans les parlers wallons et cette locution y est aussi connue (v. FrancardBastogne
1994 s.v. êr 3).
d Passage repris, légèrement modifié (on lit donnoit de l'air), dans P. Bayle, Dictionnaire historique et critique, 1697, t. II/2, 747, avec cette note : « Cette phrase est fort en usage à Geneve & dans ces quartiers-là, pour dire ressembler
à quelcun » (cf. Littré s.v. air).
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Cher, 100 % ; Allier, 80 % ; Indre, 65 % ; Loir-et-Cher (sud), 30 %. (II) Var, 100 % ; Bouches-du-Rhône, 80 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse, 65 % ;
Hautes-Alpes, 50 % ; Haute-Savoie, Savoie, région lyonnaise, 50 % ; Alpes-Maritimes,
5 %. (III) Ø.
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