bouchon1 en loc. adv. ou adj.
〈Doubs, Jura, Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire (Poncins), Isère, Drôme, Ardèche
(Annonay, Mariac), Haute-Loire (Velay)〉 à bouchona ; 〈Jura (Mignovillard), Drôme, Ardèche (Annonay)〉 à l'abouchon – 〈Jura (Morez), Isère (La Mure), Ardèche (Mariac), Haute-Loire (Velay), Puy-de-Dôme
(Thiers)〉b d'abouchon, d'à bouchonc ; 〈Savoie〉 d'abochon – 〈Loire (Saint-Étienne, Pilat), Haute-Loire (Velay)〉 en abouchon.
a Souvent écrit abouchon dans les sources lexicographiques régionales (v. bibliographie), cette graphie reflétant
l'accrétion de la finale ; exceptionnellement à bouchons (TuaillonVourey 1983).
b Aujourd'hui pour le moins inusuel à Thiers (comm. de Chr. Hérilier).
c Rarement graphié dabouchon (v. Bibliographie). – On peut rencontrer l'emploi plaisant de la forme patoise en
contexte français : « Des tapis roulants où les non initiés, ces lourdauds de la campagne comme disaient
les Ponots, se trouvaient piégés, tombaient sur le cul ou d'abouchou » […] (H. Verdier, « Une enfance à Taulhac au début de ce siècle », Per lous Chamis 51, 1987, 40.)
1. [En parlant d'une personne] "sur la face, à plat ventre". – Se mettre en abouchon (DornaLyotGaga 1953) ; tomber à bouchon (GononPoncins 1984) ; tomber d'abouchon (MazaMariac 1992). Mets le bébé d'abouchon, s'il a mal au ventre, ça le calmera (DucMure 1990).
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
1. Enfin, une belle mort, qu'il a eue. Le matin, ses enfants l'ont trouvé sur le tapis,
à bouchon. / Ce qui voulait dire « sur le ventre ». (P. Salva, Le Diable dans la sacristie, 1982 [1975], 66.)
— 〈Doubs, Haut Jura〉 "la tête penchée en avant et reposant sur les avant-bras". Se mettre à bouchon (DromardDoubs 1991).
2. [En parlant d'un inanimé concret] "à l'envers". Faut jamais mettre la miche de pain à bouchon : ma grand-mère le dit tout le temps (GononPoncins 1984).
— [En parlant d'un objet creux] "sens dessus dessous". Une assiette abouchon (DuraffHJura 1986). Quand on a lavé un verre, il faut le mettre à bouchon pour qu'il s'égoutte (MartPellMeyrieu 1987).
2. Il prit une seille [= un seau (plein de raisins)], la souleva et la laissa retomber
à bouchon sur la bouille*. Pablo [le porteur] vacilla. (B. Clavel, L'Espagnol, 1968 [1959], 58.)
3. […] deux verres à pied, en cristal, posés à bouchon sur une étagère. (Th. Bresson, L'Enfant des bords du Rhône, 1990, 86.)
◆◆ commentaire. S'intégrant dans un paradigme bien représenté dans la Romania centrale (MLGramm 2,
§ 621)a, y compris en français (Nyrop 3, § 601), la formation adverbiale ⌈ a + bouche + on(s) ⌉, est implantée dans une portion orientale de la Galloromania centrée sur le francoprovençal
et comprenant ou ayant compris en outre le Bourbonnais, la Bourgogne et une fraction
du domaine occitanb ; le standard et certains parlers dialectaux d'oïl (Bourgogne, Champagne, nord de
la Franche-Comté) ont opté pour le diminutif à boucheton (FEW 1, 583b, et n. 11) ; TLF ; ALFC 1354). Attesté dès le 13e s. dans le francoprovençal franciséc (alyonn. a bochons ProsaLegStimm 90, 97 ; Gdf), à bouchon se trouve exclusivement par la suite, aux 15e et 16e siècles, dans des textes français assignables à la Bourgogne, au Lyonnais, à la Savoie
ou au Dauphiné : ChiquartCuisS (1420, abouchon, gloss.), Olivier de la Marche, Le Maçon, Bretin et Tabourot des Accords (Gdf et Huguet),
les exceptions – à savoir Daleschamp (Gdf), né à Caen, mais ayant exercé à Lyon de
1552 à sa mort (1588)d, et les Cent Nouvelles nouvelles (éd. Sweester 34, l. 107-108 et n. 19 ; Gdf), composées dans l'entourage du duc de
Bourgogne – n'étant sans doute qu'apparentes ; aussi en Suisse romande (1607, GPSR).
La locution a donc toujours été caractéristique, voire spécifique, du français du
Centre-Est où elle a appartenu pleinement à la norme régionale légitime. Après l'Âge
classique, on la trouve attestée dans le français de Lyon en 1792, mais c'est alors
pour être critiquée : le tour a visiblement déchu ; de fait, il est employé aujourd'hui
dans un espace (du sud de la Franche-Comté au nord de l'Ardèche et à la Drôme, et
du Velay à la Savoie) correspondant de près à la zone d'influence étendue de Lyon,
alors qu'il paraît avoir cédé le pas en Bourgogne (où se mettre en abouchon est encore attesté en Mâconnais en 1966, dans DialBourg 7, 1977, 28)e. C'est à l'intérieur de cette aire que la forme renforcée d'abouchon, attestée dep. Cotgr 1611 (sans doute d'une source régionale), vient s'inscrire sporadiquement,
la variante rare d'abochon se ressentant du parler dialectal. Quant à en abouchon (dep. 1953, DornaLyotGaga), sa diffusion se limite, sous le parapluie lyonnais, à
la zone d'influence de Saint-Étienne (cf. stéph. on abouchoun, DuplayStéph 1896). Dans l'écrit contemporain, ces différentes locutions sont peu
représentées (seulement à bouchon)f, signe probable de leur restriction actuelle à l'usage oral et de leur progressive
dévaluation aux plans diaphasique et diastratiqueg.
a Cf. it. bocconi, ait. boccone (dep. 14e s., GAVI ; DELI ; RohlfsGrammStor 3, § 890 ; AIS 1623).
b V. notamment FEW ; ALFC 1354 ; DuraffGloss 45 ; ALMC 1857.
c Qui ne saurait pourtant valoir, malgré TLF, comme première attestation française.
d Cet auteur emploie aussi le mot d'aire typiquement lyonnaise ambre "osier" (FEW 24, 433a, amerina), cf. la remarque de G. Roques (RLiR 46, 187).
e Saône-et-Loire (Montceau-les Mines) en abouchant "sens dessus dessous" (dep. MarMontceau ca 1950 ; KiwanisMontceau 1976, s.v. aboucher) pourrait représenter une réinterprétation secondaire de à bouchon (MarMontceau 1938) comme gérondif de Montceau aboucher "mettre sens dessus dessous, disposer bouchon vers le bas".
f La graphie sauvage abouchon (voire dabouchon) des glossairistes manifeste un manque évident de tradition graphique.
g Il va sans dire, étant donné leur statut, que ces locutions n'ont pas été admises
dans la lexicographie générale ; v. toutefois Littré 1863, TLF en remarque s.v. boucheton (à).
◇◇ bibliographie. Sauvages 1756 s.v. abâouza « Se mettre à Bouchons, comme on dit dans quelques Provinces, n'est pas usité [en Languedoc] » ; MolardLyon 1792-1810 « On ne dit pas non plus, tomber à bouchon ; il faut dire, tomber sur le ventre, ou sur le visage » ; RollandLyon 1813 tomber à bouchon s.v. aboucher ; PomierHLoire 1835 d'abouchon ; ConnyBourbR 1852 mettre à bouchon ; MonnierDoubs 1857 abouchon ; Littré 1863 « Dans le langage populaire, tomber à bouchon c'est tomber sur le ventre » s.v. boucheton (à) [très probablement région.] (repris par Guérin 1892) ; BeauquierDoubs 1881 à bouchon ; GuilleLouhans 1894-1902 abouchon, à bouchon ; PuitspeluLyon 1894 id. ; FertiaultVerdChal 1896 à bouchon, à l'abouchon ; Lar 1898 « Pop. […] Cette locution est particulièrement lyonnaise » ; ConstDésSav 1902 dabouchon ; Mâcon 1903-1926 à bouchon ; Pierreh s.v. boclon (à) ; VachetLyon 1907 à bouchon ; LarocheMontceau 1924, s.v. aboucher ; BoillotGrCombe 1929 ; BrunetFranchesse 1937 à bouchon "à plat ventre" ; MarMontceau 1938, s.v. aboucher (dans la définition : « mettre à bouchon, sens dessus dessous, le bouchon en bas ») ; ParizotJarez [1930-40] à bouchon ; BaronRiveGier 1939 abouchon ; BigayThiers 1941 mettre d'abouchon ; MarMontceau ca 1950 en abouchant ; DornaLyotGaga 1953 en abouchon ; ALLy 3, 1320* [titre ‘à bouchon’] ; GarneretLantenne 1959 à bouchon ; BrunetFrBourbonn 1964 à bouchon ; TLF s.v. boucheton (à) ; DuprazSaxel 1975 d'abouchon s.v. aboshoâ (d-) ; BonnaudAuv 1976 à bouchon, tomber/dormir à bouchon ; BridotSioule 1977 se mettre à bouchon "à plat ventre" ; GrandMignovillard 1977 à l'abouchon ; TuaillonRézRégion 1983 en abouchon (Saint-Étienne) ; TuaillonVourey 1983 à bouchons « usuel » ; ArmanetVienne 1984 ; GononPoncins 1984 à bouchon « usuel, tous, cru français [standard] » ; MeunierForez 1984 en abouchon ; DuraffourHJura 1986 abouchon « usuel » ; GuichSavoy 1986 d'abochon ; MartinPellMeyrieu 1987 à bouchon ; MartinPilat 1989 en abouchon ; DucMure 1990 à bouchon, d'abouchon ; DromardDoubs 1991 et 1997 se mettre à bouchon s.v. s'aboucher ; ColinParlComt 1992 abouchon ; MazaMariac 1992 à bouchon, d'à bouchon ; VurpasMichelBeauj 1992 abouchon ; BlancVilleneuveM 1993 à bouchon ; FréchetMartVelay 1993 abouchon, dabouchon « conservant une certaine connotation dialectale » ; VurpasLyonnais 1993 abouchon « connu » ; FréchetAnnonay 1995 abouchon, à l'abouchon ; LaloyIsère 1995 à bouchon ; RobezMorez 1995 d'abouchon « surtout chez les personnes âgées » ; SalmonLyon 1995 à bouchon, abouchon ; GermiChampsaur 1996 abouchon ; FréchetDrôme 1997 abouchon, à l'abouchon « usuel à Anneyron et Saint-Gervais » ; FréchetMartAin 1998 abouchon ; MichelRoanne 1998 abochon, abouchon ; PlaineEpGaga 1998 en abouchon « encore utilisé » ; FEW 1, 583a-b, bucca.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 . Taux de reconnaissance : Savoie et Haute-Savoie, 100 % ; région lyonnaise, 50 %.
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