carthagène n. f.
〈Provence, Gard, Hérault, Aude, Lozère, Ardèche〉 usuel "vin muté, obtenu par addition d’alcool au moût de raisin, de fabrication traditionnellement
familiale". Quelques bouteilles de carthagène (Y. Audouard, Le Dernier des Camarguais, 1971, 243). Traîtrise de la douce carthagène qui se laisse boire comme du petit-lait (P. Gougaud, L’Œil de la source, 1978, 141). Ce chenapan, ce buveur de carthagène et d’absinthe (R.-A. Rey, Frosine, 1980, 21). Bouteille de carthagène (Les Carnets de guerre de Gustave Folcher, 2000 [1981], 256). Un fond de cartagène (J.-P. Chabrol, La Banquise, 1999 [1998], 39).
1. C’est avec elle [l’eau-de-vie] qu’on fabriquait la carthagène, le vin de noix, le jus de coing, les liqueurs à base de plantes macérées, produits
maison inoffensifs pour ceux qui n’en abusent pas. (M. Liquière, « Distillateur d’antan », Lou Païs 175, juillet-août 1971, 172 [Témoignage intéressant Saint-Germain-de-Calberte, sud
de la Lozère].)
2. – Elle est pompette, murmura Monique à mi-voix.
Il faut dire que la petite avait lampé la carthagène du cousin comme de l’Evian fruité et la carthagène, ça ne pardonne pas. (Fr. Hébrard, Un mari c’est un mari, 1986 [1976], 64.) 3. On attendait les résultats [du certificat d’études], l’estomac noué et le verre de
cartagène à portée de la main. (J. Durand, André Bouix, gardian de Camargue, 1980, 56.)
4. […] couper du moût frais d’un quart d’alcool pour en faire la carthagène. (M. Mauron, Les Cigales de mon enfance, 1987, 134.)
5. […] une table de fer repeinte avec le plus grand soin en blanc portait quatre ou cinq
bouteilles d’apéritif, parmi lesquelles une bouteille de vin de noix et une autre
qui contenait de la carthagène. (A. Roustan (dir.), Nouvelles des Cévennes, 1996 [1994], 43.)
6. Avec l’alcool qu’on faisait distiller on fabriquait de la cartagène, de l’absinthe, de la liqueur de noix, de la verveine. (R. Domergue, Des Platanes, on les entendait cascailler, 1998, 27.)
7. Autrefois, tous les vignerons faisaient de la carthagène comme ils faisaient de la piquette, à la fin des vendanges […]. « On sait que la carthagène est bien plus ancienne que le pinaut [sic] des Charentes ou le floc* de Gascogne qui fonctionnent sur le même principe, l’un avec du cognac, l’autre avec
de l’armagnac. » (Midi libre, 28 septembre 1998, 26.)
V. encore s.v. aillade, ex. 5 ; porter, ex. 28.
□ Avec ou dans un commentaire métalinguistique incident.
8. Chaque famille prépare un vin de dessert dont le nom lui-même est curieux : la carthagène, souvenir d’une aventure espagnole… (J.-P. Chabrol, Les Rebelles, 1965, 222.)
9. Une des coutumes les plus populaires qui a résisté jusqu’à ces dernières années était
le tour des caves. Le soir, après souper*, une bande de sept à douze jeunes gens allait boire chez l’un chez l’autre. On leur
offrait la carthagène de la maison – un vin qui se prépare avec des œillades muscades, des aramons ou des
clairettes bien mûres, dans la proportion de trois litres de moût pour un litre d’alcool
à 65 degrés. (L. Chaleil, La Mémoire du village, 1989 [1977], 106-107.)
10. Les libations à la Carthagène (un moût généralement d’Alicante saoulé d’eau-de-vie […]) ne dépassaient guère un
fond de verre. (R. Chabaud, Un si petit village, 1990, 138.)
11. Ne résistez pas au rare cartagène, apéritif maison que l’on ne trouve plus que chez quelques viticulteurs […]. (Randonnée Magazine 108, juin-juillet 1991, 60.)
12. Les Châteauneuvois faisaient aussi, avec le jus des clairettes, une puissante mixture
appelée carthagène, issue de la fermentation interrompue de trois quarts de moût pour un quart d’alcool,
que l’on appelait parfois le « sauve-chrétien ». (J.-Cl. Ribaut, Le Monde, 26 décembre 1997, 11.)
□ Dans un énoncé définitoire ordinaire.
13. Le Carthagène est un vin de liqueur sans appellation préparé dans la plupart des familles languedociennes
et qu’on ne rencontre guère dans le commerce (sa classification officielle est celle
de V.D.L. ou d’ « apéritif à base de vin »). (R. Dumay, Guide du vin, 1985 [1983], 162.)
■ graphie. La graphie la plus courante est carthagène.
■ morphologie. Le mot est parfois de genre masculin (v. ici ex. 11 et 13) et notamment en Ardèche :
« […] on mangeait la pogne*, on buvait le vin de noix ou le “carthagène”, moût de raisin blanc muté à l’eau-de-vie […] » (Th. Bresson, Le Vent feuillaret. Une enfance ardéchoise, 1980, 123) ; « Dans le midi de l’Ardèche on compose une sorte d’apéritif avec du moût de raisin […].
Ce carthagène est puissant et généreux […] » (Ch. Forot, Odeurs de forêt et fumets de table, 1987, 343).
■ encyclopédie. Dans d’autres régions de France, le même procédé donne le floc*, le macvin* ou le pineau des Charentes. V. encore L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Languedoc-Roussillon, 1998, 64-66 (qui ne donne que la graphie cartagène).
◆◆ commentaire. Attesté dans le français de Provence dep. 1881 (« dans un doigt de carthagène » A. Daudet, Numa Roumestan, dans MichelDaudet ; dans les contextes où le genre est explicite, Daudet emploie
le mot au masculin). Déonomastique sur Carthagène, nom d’une ville d’Espagne (Cartagena), d’où le procédé a pu être importé (FEW). Le genre masculin dans les plus anciens
exemples (Daudet), parfois conservé (v. ici Morphol.), fait penser à une ellipse de
vin de Carthagène ; le genre féminin, presque général actuellement, étant dû à la force d’attraction
de la finale en ‑e (conjuguée à la démotivation du mot). Le terme n’est pris en compte dans la lexicographie
générale contemporaine que par le seul GLLF (sans marque, avec un exemple de Daudet) ;
il a été utilisé dès le début du siècle comme élément de couleur locale (« – Encore cent pas, dit Jules, et nous boirons un verre de carthagène, pour faire baisser
la poussière. Vous n’avez jamais bu de carthagène, mademoiselle Pascal ? – Ma foi
non ! – De l’eau-de-vie jetée dans du moût de vin au sortir du pressoir. Un régal
vous verrez ! » R. Bazin, L’Isolée, Paris, 1905, 91 ; cf. « la liqueur populaire nîmoise » ibid., 93).
◇◇ bibliographie. MichelDaudet ; CampsLanguedOr 1991 cartagène ou carthagène ; MazodierAlès 1996 cartagène ; RoubaudMars 1998, 75 carthagène ; FEW 2, 439a, Cartagena.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Aude, Gard, Hérault, 100 % ; Lozère, 85 %.
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