clairer v.
〈Bourgogne (est), Aube, Haute-Marne, Lorraine, Franche-Comté〉 usuel
1. Emploi trans.
1.1. "donner de la clarté, de la lumière à quelqu’un, à quelque chose". Stand. éclairer.
— [Le sujet désigne un inanimé, source de lumière naturelle ou artificielle ; par méton. le support de cette source] Une petite bougie falote […] bonne pour clairer les morts (dans la chambre funéraire) (GarneretLantenne 1959).
1. […] cette usine de Casamène qui a empesté le monde avec son gaz pour nous « clairer ». (D. Sidot, 12, rue de la Roulotte, 1981, 213.)
— [Le sujet désigne un animé] Claire-moi un peu avec ta lampe, je n’arrive pas à dénicher la bonne bouteille que
je voudrais ! (DromardDoubs 1991). Viens me clairer, je vais chercher du bois (RobezMorez 1995).
2. Les enfants assistaient à la descente saccadée du tonneau [à la cave], animée par
les remarques bruyantes des deux hommes et par leur rire : « Bon Diou ! Phine ! Claire donc les escaliers plutôt que de nous aveugler ! » (M.-Th. Boiteux, Le Secret de Louise, 1996, 9.)
● Emploi abs.
3. Pablo sortit, suivi de la patronne. Ils contournèrent la maison pour gagner le poulailler.
La patronne ouvrit et entra.
– ’clairez bien du côté des perchoirs, dit-elle. / Pablo promena la lumière sur les volailles alignées. (B. Clavel, L’Espagnol, 1968 [1959], 125.) ■ remarques. La graphie de l’ex. 3 témoigne que le mot est senti comme une aphérèse de stand. éclairer.
● En part. 〈Franche-Comté〉 rural, vieilli clairer les bêtes loc. verb. Clairer les bêtes c’est aller voir à l’écurie avec la lanterne si tout est en ordre (J. Garneret, L’Amour des gens, 1972 [1950], 361).
4. Le paysan ne va jamais se coucher sans faire un tour à l’étable afin de s’assurer
que les bêtes ne sont ni malades, ni détachées, on dit qu’il va clairer les bêtes parce qu’on y allait bien entendu à cette époque avec la lampe-tempête qu’on braquait
sur les têtes et sur les croupes parce qu’il faut notamment surveiller la rumination
qui est signe de santé et les pertes de sang qui peuvent inquiéter. (Les Amis de Louis Pergaud, Bulletin n° 2, 1966, 39.)
1.2. [Le sujet désigne un animé] "faire fonctionner une source de lumière ou de chaleur". Stand. allumer. Synon. région. éclairer*. – Le moment est venu de clairer la lampe (DuraffHJura 1986). Clairer la cuisinière (DuchetSFrComt 1993).
— Emploi abs.
5. Une fois dans la cuisine, Solange s’étonne.
– Tu n’as pas clairé ? Qu’est-ce que tu fabriques dans le noir ? […] Elle tourne l’interrupteur […]. (D. Sidot, 12, rue de la Roulotte, 1981, 183.) 2. Emploi intrans.
2.1. [Le sujet désigne un feu ou un combustible] "commencer à brûler ; brûler". Stand. flamber.
6. Dans la plupart des familles où l’on faisait encore du feu dans l’âtre, il ne fallait
pas que le feu s’éteigne pendant la messe de Minuit car cela portait malheur à la
famille, il fallait donc qu’il claire jusqu’au matin. (R. Bichet, Un Village comtois au début du siècle, 1979, 93.)
7. – Oh ! dis donc. J’avais des allumettes dans la poche, elles ont grillé. Tu parles
d’une vacherie !
– Ça se peut ça ? – Ben ! Quand on les frotte l’une contre l’autre, elles « clairent ». Elles ont pris le « tournis » dans ma poche. Elles sont foutues. (A. Nicoulin, Les Prisonniers du bacul, 1987, 125.) 8. Le père Millot était un peu bizarre. Un lendemain de 14 juillet, jour du banquet des
pompiers, il voulut offrir un café à ses hommes. Il fallait donc allumer le poêle
chez lui, mais le petit bois refusant de s’enflammer, il donna l’ordre à tout le monde
de se retourner. Son feu ne « clairait » pas parce qu’on le regardait. (P. Gardot et S. Mandret, Hugier, d’une guerre à l’autre, 1999, 62.)
— Emploi impersonnel.
9. – Pis comment qu’on place le lapin ?
– On va l’empaler et le tourner au-dessus du feu. – J’allume… – Ça y est, ça claire. Ça va monter, vous allez voir. (A. Nicoulin, Les Prisonniers du bacul, 1987, 60.) — En constr. factitive. Avec ce bois qui n’est guère sec, on a du mal de [= à] faire clairer le feu (DromardDoubs 1991).
10. Bien vite [le matin du concours de pêche], pas encore habillé, on faisait « clairer » le feu et chauffer le café au lait. (A. Nicoulin, Le Dessus du Mont, 1979, 132.)
11. La mère faisait « clairer » [en note : allumer] le feu dans la cuisinière en fonte, unique appareil de chauffage et de
cuisson. (A. Olivier, Village comtois au cœur du siècle, 1997, 19.)
2.2. [Le sujet désigne une source de lumière ou, par méton., son support] "être allumé ; en part. répandre une vive lumière". Stand. briller.
12. Y’a une lampe qui claire là à côté. Ils ont oublié d’ souffler leur lumière ! Ben ils ont vraiment des sous
à fout’ loin [= gaspiller] ceux-là ! (L. Semonin, La Madeleine Proust en forme, 1984, 11.)
13. Dès l’aube, des lumières clairèrent dans les foyers des nemrods. (M. Dussauze, Le Pont du lac Saint-Point, 1995, 212.)
14. Il n’a jamais oublié ce trajet dans la nuit… Il faisait un froid […] et la lune clairait comme en plein jour ! (M.-Th. Boiteux, Le Secret de Louise, 1996, 96.)
— En constr. factitive.
15. Elle se démène dans la cuisine où il faut laisser clairer la lumière, tellement c’est sombre même en plein jour. (H. Lesigne, Un garçon d’Est, 1995, 47.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
16. Soudain […] la gravière où nous opérions fut illuminée par une lumière intense. On
aurait dit que le jour venait de succéder à la nuit. […] Je vis […] à environ trente
mètres de haut, une sorte de grande « vanotte » (petit panier rond) immobile dans les airs. La chose « clairait » (répandait une clarté) comme mille chandelles. À part le soleil, je n’avais jamais
vu une aussi forte lumière. (A. Besson, Une fille de la forêt, 1996 [1987], 177.)
● Au part. prés.
17. Après la messe [de la Chandeleur], la maîtresse de maison essayait de ramener son
cierge tout « clairant » à la ferme où, devant toute la famille réunie, commençait la liturgie familiale […].
(J.-Chr. Demard, « La vie religieuse dans les montagnes haut-saônoises », dans Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois 6, avril 1977, 468.)
● Emploi impersonnel. Ça claire partout (TavBourg 1991).
— Par anal. "jeter de vifs éclats, étinceler". Les yeux du chat « clairent » dans la nuit (DondaineAuth 1976, 57).
◆◆ commentaire. Ce dérivé sur fr. clair "brillant, qui jette de la lumière", n’est enregistré que de façon sporadique dans quelques dictionnaires des 19e et 20e s. (Lar 1869 « vieux mot » ; DG « t. provinc. » ; GLLFa « dialect. », avec un ex. de Theuriet ; TLF s.v. clair I B 3 rem., sans marque, avec un exemple de Pergaud). C’est un terme originaire de
l’est de la Galloromania, comme en témoignent ses plus anciennes attestations : 1490
à Neuchâtel (Pierreh), 1501 à Beaune, 1561 à Dijon et à Autun (tous les trois dans
GdfC), 1583 chez le Dijonnais Tabourot des Accords, 1589 chez P. Matthieu (né à Pesmes,
auj. Haute-Saône), 1589 (J.-B. Chassignet, né à Besançon), tous les trois dans Huguet ;
à quoi s’ajoutent en 1527 le Savoyard Cl. de Seyssel (Huguet) et sa prise en compte
en 1636 par Monet, lui aussi d’origine savoyarde, qui indique : « Clairer, faire lumière, rendre clarté […] La pleine lune claire toute la nuit […] La chandele claire mieux que la lampe […] Clairer, éclairer quelqu’un, lui faire lumière ». Il est aujourd’hui en usage dans le français de Bourgogne (TavBourg 1991 « surtout en Bourgogne orientale ; très vivant, même chez les enfants »), de Champagne (MulsonLangres 1822 ; RéginVallage 1992 ; TamineChampagne 1993)b, de Lorraine (LanherLitLorr 1990 ; v. également DrozBesançon 1920 « fait bonne figure dans les romans meusiens du charmant et regretté poète-romancier
André Theuriet » ; LesigneBassignyVôge 1999) et de Franche-Comté, où il est dénoncé dep. Brun 1753
(aussi Fér 1761 et 1787 ; SchneiderRézDoubs 1786) et régulièrement enregistré depuis
par la lexicographie régionale (MonnierJura 1823 ; MonnierDoubs 1857 ; GasconDole
1870 ; ToubinJura 1870 ; ContejeanMontbéliard 1876 s.v. chairie ; BeauquierDoubs 1881 ; CunissetDijon 1889 ; GuilleLouhans 1894-1902 ; FertiaultVerdChal
1896 ; Mâcon 1903-1926 ; CollinetPontarlier 1925 ; BoillotGrCombe 1929 ; DoillonComtois
[1926-1936] ; GarneretLantenne 1959 ; DondaineAuth 1976 ; GrandMignovillard 1977 ;
BichetRougemont 1979 ; GrandjeanFougerolles 1979 s.v. tyèrî, définit « "clairer", éclairer » ; TuaillonRézRégion 1983 ; DuraffHJura 1986 « mot souvenir » ; DondaineMadProust 1991, 69 ; DromardDoubs 1991 et 1997 ; TrouttetHDoubs 1991 ;
ColinParlComt 1992 avec un ex. de Pergaud clairer les bêtes, daté de 1914 ; DuchetSFrComt 1993 ; RobezMorez 1995 « encore employé par les personnes âgées ») et où il a pénétré les patois (ALFC 3, 949). Il a aussi été relevé en Suisse romande
(Pierreh 1926 ; GPSR, qui enregistre l’équivalent patois de la loc. clairer les bêtes). – FEW 2, 741, clarus.
a La référence à la Passion de Semur, comme première date du mot, doit être biffée. Elle est en effet fondée sur l’éd.
d’É. Roy, Dijon/Paris, 1905, v. 3087 (« […] ugne estoille clera vermoille »), mauvaise lecture corrigée dans l’éd. de P.T. Durbin et L. Muir, 1981, v. 3079 (« […] ugne estoile clere et vermoille »).
b Il n’est pas signalé dans les Ardennes pour l’époque contemporaine (Ø TamineArdennes
1992), mais cf. Rimbaud, originaire de Charleville : « Le feu qui claire les couchettes / Et les bahuts » (Les Reparties de Nina, v. 91-92, Œuvres complètes, éd. L. Adam, Gallimard, 1972, Pléiade, 26.)
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Ø.
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