éclairer v.
I. [Phénomènes atmosphériques]
1. Emploi impers. 〈Nord, Pas-de-Calais, Somme, Aisne (est), Oise (nord), Normandie, Haute Bretagne, Mayenne,
Sarthe, Maine-et-Loire〉 usuel "faire des éclairs". Il a tonné et éclairé (EmrikAmiens 1958). Cette nuit, il a beaucoup éclairé (LepelleyBasseNorm 1989). Regarde comme il éclaire (BlanWalHBret 1999).
2. Emploi tr. 〈Franche-Comté〉 spor. [Le sujet désigne la foudre] Souvent au passif "frapper, tomber sur". Stand. foudroyer.
1. La foudre était déjà tombée une fois sur les arceaux du puits et aussi sur les marronniers
de l’autre côté de la cour. Le plus grand avait été « éclairé ». (P. Arnoux, Les Loups de la Mal’Côte, 1991, 142.)
II. Emploi tr. 〈Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire, Isère, Drôme, Provence, Gard, Hérault, Lozère,
Ardèche, Haute-Loire (Velay), Puy-de-Dôme (spor.)〉 usuel
1. "faire fonctionner une source de lumière". Stand. allumer. Synon. région. clairer*. – Je vais éclairer la lampe (GagnySavoie 1993). Tu iras éclairer la lampe de la cave (FréchetMartAin 1998).
2. On profita de dehors jusqu’à la nuit. Jusqu’à ce qu’ils éclairent la lampe de la remise. (L. Pralus, Mon village sous l’hiver, 1978, 57.)
— En emploi abs. Le jour s’éteint. On a éclairé (L. Pralus, Mon village sous l’hiver, 1978, 18).
2. "faire fonctionner (un poêle, une cuisinière, un four, un appareil de chauffage) en
mettant le feu à un combustible ou par un contact électrique". Stand. allumer. Synon. région. clairer*. – On est fin novembre et on n’a pas encore éclairé le chauffage (FréchetMartVelay 1993). Mon premier travail, le matin, c’est d’éclairer le poêle avant de faire le café (FréchetMartAin 1998).
3. – Chauffez-vous un peu devant le phare [= poêle], que* vous devez être gelé et que je ne l’aie pas éclairé pour rien […]. (H. Queffélec, Journal d’un salaud, 1944, 153.)
4. – Qu’est-ce qu’il y a à faire ?
– Le four à éclairer […], les cendres à sortir, monter du coke […]. (B. Clavel, La Maison des autres, 1991 [1962], 84.) 5. L’homme de jour, c’est-à-dire celui qui est chargé de l’entretien et de la propreté
de la chambre pour la journée, éclaire le poêle en rentrant [du travail] et a la charge de le faire ronfler toute la soirée
[…]. (Les Carnets de guerre de Gustave Folcher, 2000 [1981], 218.)
6. […] une pile de bois pourrissant destiné, si l’on trouvait une scie, à « éclairer la cheminée ». (J.-P. Demure, Fin de chasse, 1998, 109.)
— éclairer le feu loc. verb. "allumer le feu". Aujourd’hui il fait humide, on va éclairer le feu (VurpasMichelBeauj 1992). Elle descendit éclairer le feu et préparer le café, le jour pointait à peine (J.-P. Demure, Fin de chasse, 1998, 151).
7. « – Tu vas rendre un service à la mémé. Va chercher de l’eau à la fontaine. Celle du
bout de la rue : tu es passé devant. Moi, je vais éclairer le feu. » (R. Sabatier, Les Noisettes sauvages, 1983 [1974], 29.)
8. Les deux gamins […] bourrent le ventre du petit poêle rond. […] Rapidement, Rémi fait
craquer une première allumette et la jette sur le papier journal. […] La flamme va
et vient, puis monte droite et prend possession du menu bois, bien croisé. […] Une
fumée s’élève de dessus le poêle. Une odeur de bois qui brûle s’achemine dans la classe.
Le feu est éclairé. (L. Pralus, Mon village sous l’hiver, 1978, 93-94.)
9. Rien que pour faire une goutte de café, fallait éclairer le feu ; si le bois était pas bien sec, ça fumait encore un moment ! (Témoin, dans BrussonCordon
1982, 202.)
— Emploi abs. "mettre en service l’installation de chauffage d’un appartement, d’une maison". L’an dernier, on a éclairé au mois de septembre (FréchetDrôme 1997).
3. "mettre le feu à". Stand. allumer. – Avec le vent, il n’arrivait pas à éclairer sa cigarette (DucMure 1990).
III. Emploi intrans. fam. "briller de fièvre". On voit bien qu’il est malade, ce petit, ses yeux éclairent (MazaMariac 1992).
◆◆ commentaire.
I.1. Attesté dep. l’afr. (dep. fin 12e s., Vie de saint Gilles, v. FEW) et encore à l’époque classique (Bossuet, en emploi intr., v. Littré ; Cayrou),
enregistré dans Ac 1694-1932, éclairer "faire des éclairs" est considéré aujourd’hui dans le français de France comme « vieux ou régional » (Rob 1985 et NPR 1993-2000 ; Ø TLF) ; il s’y est toutefois maintenu surtout dans
le quart Nord-Ouest (qui est sans doute son aire d’origine : Guillaume de Berneville,
l’auteur de la Vie de saint Gilles, était d’origine anglaise ou normande), y compris dans les patois (ALPic 336 ; ALN
574 ; ALBRAM 550 ; ALCe 24)a, et il est aussi en usage en Belgique (PohlBelg 1950 ; MassionBelg 1987 ; Hanse 1994)
et au Canada (dep. 1634, FichierTLFQ ; Clapin 1894 ; ALEC 1170 ; DQA 1992). I.2. Ce sens, par métonymie du précédent, est absent des dictionnaires généraux contemporains.
II. Malgré leur stigmatisation depuis plus de deux siècles, ces sens, survivance de l’ancienne
langue (mil. 13e s., Du prestre et du chevalier, dans Fabliaux, éd. Montaiglon et Raynaud, t. 6, 67, v. Gdf) sont toujours d’un large usage dans
une bonne partie du quart sud-est de la France (c’est aussi l’usage qu’en fait Florian
[natif du Gard], dans son fameux passage Il avait oublié d’éclairer sa lanterne, passé dans la langue courante comme loc. fig., mais qui ne semble pas avoir attiré
l’attention des lexicographes sur le sens à donner à éclairer) ; absents de Littré, ils ne sont pas davantage pris en compte par les dictionnaires
français contemporainsb.
III. Emploi par restriction de fr. éclairer "répandre la lumière", non autrement documenté.
a Cf. Jacqueline Picoche, Un vocabulaire picard d’autrefois. Le parler d’Etelfay (Somme), Arras, Archives du Pas-de-Calais, 1969, 3 : « Il éclaire : il fait des éclairs ».
b Au moment où le verbe commençait à être déclassé, on le voit employé, à l’époque révolutionnaire,
dans un jeu de mots : « eclairer : expression figurée et incendiaire, insérée dans une lettre écrite à un représentant
de la nation, et lue dans l’assemblée, il étoit dit dans cette missive qu’on n’auroit
pas dû lire, il étoit dit, si je m’en rappelle bien : prévenez vos nobles que leurs châteaux seront éclairés. Les nobles ont haussé les épaules et ont oublié le malheureux calembourg » ([Chantreau], Dictionnaire national et anecdotique […] par M. de l’Epithète, 1790, 71 ; comm. de P. Enckell.)
◇◇ bibliographie. (I.1.) LengertAmiel « plutôt archaïsme que véritable mot régional, ce verbe est inusité de nos jours en
français de Suisse romande » ; RLiR 42 (1978), 170 (Normandie) ; LepelleyBasseNorm 1989 ; BrasseurNorm 1990 ;LepelleyNormandie
1993 ; BraillonPicard 1994, 23 ; Chauveau Dialangue avril 1996, 25 ; BlanWalHBret 1999 ; FEW 3, 275a, *exclariare. – (I.2.) ColinParlComt 1992 (avec la citation de P. Arnoux ici en ex. 1) ; aj. à FEW, loc. cit. – (II) DesgrToulouse 1766 ; RézSchneidFéraud [1787-88] ; VillaGasc 1802 ; MolardLyon 1803-1810
« L’abus de ce mot est devenu presque universel. On dit de toutes parts : éclairez le feu, éclairez la bougie, éclairez le poële, éclairez le falot. Ce sont autant d’hérésies en grammaire ; dites, allumez » ; RollandGap 1810 ; RollandLyon 1813 ; DéribierHLoire 1824 éclairer le feu, éclairer la chandelle ; ReynierMars 1829-1878 ; PomierHLoire 1834 ; PomierHLoire 1835 ; GabrielliProv 1836 ;
SievracToulouse 1836, 145 ; AnonymeToulouse 1875 ; OffnerGrenoble 1894 ; PuitspeluLyonSuppl
1897 ; ConstDésSav 1902 ; VachetLyon 1907 ; Mâcon 1903-1926 ; BrunMars 1931 ; « Eclairer au sens d’allumer est très usité dans la région lyonnaise. J’ai entendu maintes fois :
“Je vais éclairer mon feu” pour “Je vais allumer mon fourneau” » (Ch.-Jh. Millon, cr de Miège, FrMod 6, 1938, 81) ; ParizotJarez [1930-40] ; VincenzCombeL
1974, 31, § 37 éclairer le feu « considéré comme “mieux français” » ; JamotChaponost 1975 ; TuaillonRézRégion 1983 (Provence) ; GononPoncins 1984 ; MeunierForez
1984 ; MartinPellMeyrieu 1987 ; MartinPilat 1989 « usuel à partir de 20 ans, bien connu au-dessous » ; DucMure 1990 « emploi presque systématique » ; BourguignonLyon 1991, 14 ; CampsLanguedOr 1991 ; VurpasMichelBeauj 1992 « usuel » ; BlancVilleneuveM 1993 ; FréchetMartVelay 1993 « globalement connu » ; GagnySavoie 1993 ; PotteAuvThiers 1993 ; VurpasLyonnais 1993 « usuel » ; FréchetAnnonay 1995 « globalement connu » ; LaloyIsère 1995 ; QuesnelPuy 1995 ; SalmonLyon 1995 avec un ex. de 1927 ; MazodierAlès
1996 ; FréchetDrôme 1997 « globalement usuel » ; FréchetMartAin 1998 « usuel » ; MichelRoanne 1998 « usuel » ; PlaineEpGaga 1998 « encore utilisé » ; aj. à FEW 3, 274b, *exclariare, où ces emplois ne sont pas dégagés. – (III) MazaMariac 1992 ; aj. à FEW, loc. cit.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I.1.) Nord, Pas-de-Calais, 100 % ; Aisne, 90 % ; Somme, 65 % ; Oise, 40 %. (II) Ain, Ardèche, Drôme, Isère, Haute-Loire (Velay), Rhône, 100 % ; Loire, 80 %. EnqCompl. 1999. Taux de reconnaissance : (II) Gard, 100 % ; Var, 55 %.
|