cocagne interj.
〈Drôme, Hautes-Alpes, Provence, Gard〉 fam.
1. "(pour marquer une surprise agréable)".
1. – Cocagne ! dit le Papet. C’est la petite rigole souterraine du vieux Camoins… L’eau doit sortir
en bas, là où il y a les roseaux… (M. Pagnol, Jean de Florette, 1995 [1963], 712.)
2. Au large, se découpaient les collines bleues de l’Espagne et, plus loin encore, les
raffineries de pétroles [sic] miroitaient comme des éclats de verre.
– Ô fan* ! La belle vue ! se moqua Darnagas. – Hé, cocagne ! C’est joli tout plein ! s’exclama Moune sur le même ton […]. (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 169.) 2. "tout va bien ; il n’y a pas d’inquiétude à avoir ; il n’y a pas de problème". Synon. région. raï*. – Elle t’a laissé tomber, cocagne, tu en trouveras une autre ! (ArmanetBRhône 1993). Oh lui ! Cocagne ! Il se dépatouille toujours (MazodierAlès 1996).
3. – Votre fille est bien mal partagée. Un fiancé tout troué, tout mouillé. Moi, cocagne ! Je n’ai pas de fiancé. (J. Audiberti, Quoat-quoat, 1948, 62.)
4. En trois enjambées, je traverse la route et plonge dans le bois. D’une voiture de
police arrêtée près de l’entrée, partent des coups de sifflets, des jurons et une
belle averse d’acier crachée par une mitraillette. / Mais cocagne ! les balles ne font de mal qu’aux broussailles. (A. Bastiani, Panique au Paradis, 1963, 19.)
5. – Et cette fois, où ils sont les Allemands ?
Je lui disais la vérité : qu’ils étaient à la frontière mais que, pour l’instant, ils n’avaient pas encore bougé de leurs bases de départ. – Et c’est loin, la frontière ? me demandait Naïs. – Il y a bien un millier de kilomètres. – Alors cocagne, concluait la Naïs, nous avons le temps de respirer. (Y. Audouard, Les Contes de ma Provence, 1986, 22.) 6. – Viens à la maison, m’a-t-il proposé spontanément. Un de plus… un de moins, cocagne. (Y. Audouard, Les Cigales d’avant la nuit, 1988, 67.)
7. – Tu l’aimes pas, mon chapeau ?
– Je m’en fous. – Alors, cocagne. (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 29.) 8. Encore, tant qu’ils restent à jouer aux boules, cocagne. C’est après, avec le reflux sur la terrasse [du café], les tournées, tout le tremblement.
Je n’ai que deux bras, je ne peux pas être partout à la fois. (Cl. Courchay, Chronique d’un été, 1990, 94.)
9. Puis le vent s’est levé. Les ailes du moulin n’étant pas bloquées se sont mises à
tourner. Mon aïeul bien entendu a voulu mettre le frein mais la porte s’était refermée.
Il n’est pas arrivé à l’ouvrir, comme si on l’avait condamnée de l’intérieur. « Cocagne, demain on y verra plus clair. » (Fr. Fernandel, L’Escarboucle, ma Provence, 1992, 211.)
10. – […] Du temps de mon pauvre père, j’aurais volé mettons une sucette, il retirait
sa ceinture, il me laissait raide sur le carreau. Le bagne, il m’aurait prédit. Maintenant,
cocagne, voler, le mot n’existe même plus. […] on pique gentiment, et allez donc. (Cl. Courchay,
Quelqu’un, dans la vallée…, 1998 [1997], 57-58.)
— c’est cocagne loc. phrast. "id."
11. L’Autriche doit déboucher comme une chiasse dans les plaines de Mantoue. À mon avis,
nous en prenons un bon coup. Mais, tout compte fait, pour nous trois, c’est cocagne. On verra après pour entrer dans la danse. (J. Giono, Bonheur fou, 1957, 385.)
12. – Si chaque jour nous n’avions que quatre voyageurs… Je n’en demande pas plus. Au
même prix que Tuchan, nous aurions quarante-huit sous de bénéfice et avec la couture
et tes commissions sur le vin, ce serait cocagne. (G. J. Arnaud, Les Moulins à nuages, 1988, 223.)
13. Et des fromages, et des gâteaux faits par Jeanne qui s’excusait presque :
– Oh ! avec le four du boulanger c’est cocagne, puisque ce sont les parents de Lucie, la fiancée de mon frère Jules, qui font le pain. Nous pouvons y aller tant que nous voulons. (G. J. Arnaud, Les Oranges de la mer, 1990, 287.) □ En emploi métalinguistique.
14. Tous les mots se traduisent, il suffit d’y mettre le prix. Si je disposais de plusieurs
pages, je traduirais exactement cocagne. Cela se tient entre « n’importe ! » et « si ce n’était que ça on pourrait s’arranger ». L’expression qui le rend au plus près est « passe encore ». (G. Baissette, L’Étang de l’or, 1990, 112-113.)
◆◆ commentaire. Attesté dep. 1787 dans Féraud, qui le dénonce comme « un provençalisme » (« C’est cocagne de faire cela, pour dire, cela est agréable », dans RézSchnFéraud), cet emploi se rattache à fr. Cocagne "pays fabuleux" (dep. le mil. du 13e s., v. TLF) ; il est passé dans les dialectes d’oc (acò’s coucagno "c’est la chose la plus facile", Mistral). Enregistré en ce sens seulement par le TLF qui donne, sans autre marque
que « fam. », deux exemples d’Audiberti (ici ex. 3) et de Giono (ici ex. 11), tous deux Provençaux,
sans en dégager correctement le sémantisme. Pour l’origine discutée du mot, v. TLF.
◇◇ bibliographie. BrunMars 1931 ; RostaingPagnol 1942, 118 ; BouvierMartelProv 1982, 157 ; BouvierMars
1986 ; CampsLanguedOr 1991 ; ArmanetBRhône 1993 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme
1997 « globalement bien connu » ; RoubaudMars 1998, 87 ; BouisMars 1999.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Hautes-Alpes, 100 % ; Var, Vaucluse, 65 % ; Bouches-du-Rhône,
60 % ; Alpes-de-Haute-Provence, 50 % ; Alpes-Maritimes, 40 %.
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