couarail (et var.) n. m.
vieillissant et / ou plaisant "réunion de personnes qui bavardent ; par méton. bavardage, discussion". Quand je suis arrivé, je suis tombé sur un couarail, il y avait là toutes les femmes
du quartier (MichelNancy 1994).
1. couarail 〈Lorraine, Haute-Saône (nord-est).〉
1. Chères vieilles du bon vieux temps,
Aux doux visage, au cœur fidèle, […] Vous aimiez bien le « couarail » Lorsque vous alliez à confesse ; Vous bavardiez sous le portail Avant de vous rendre à la messe. (R. Begeot, Glanes saônoises, 1974, 19, poème de l’auteur intitulé « Le petit village de chez nous ».) 2. On se fondait chacun les uns dans les autres, les uns dans le souvenir des autres :
un bon soleil, c’était, ce couarail impromptu. / […] Et ainsi on resta une bonne partie de la nuit durant […]. (V. Decombis,
dans Nouvelles lorraines, 1980, 58.)
3. Au bout de dix minutes de couarail, le Célestin Kierch arriva dans la cuisine […]. (G. Goulon, Une vie « d’établi », 1986, 53.)
4. Les commères, restées seules sur le pas de leur porte, avec le bon soleil qui leur
réchauffait la poitrine, échangeaient les nouvelles comme pendant les couarails des soirées d’été […]. (G. Parent, La Fanfouette, 1986, 7.)
5. Même la tradition des différentes veillées d’enseignement se perdait : celle des réunions
d’enfants avec leur petit banc, de jour, autour d’une grand-mère, celle des adolescents
auprès des artisans qui leur expliquaient les règles pratiques et morales de leur
profession pour leur faciliter le choix d’un métier, celle des adultes enfin, couarails tenus sur les usoirs [= larges trottoirs] ou dans la rue, veillées d’hiver et veillées
d’été sous les étoiles… (A.-M. Blanc, Pays-Haut, 1988, 19.)
6. Mais qu’est-ce qui animait donc le village d’autrefois ? […] quantité de travaux étaient faits en commun, d’où les échanges. On travaillait durement mais on communiquait. […] n’oublions pas
les couarails sur les bancs en été et les discussions, voire les commérages au lavoir… (La Mémoire de la terre au pays du Sânon, 1996, 347.)
7. L’une [de ses grands-mères] savait à peine lire et écrire, mais quelle [sic] formidable couarail à elle toute seule. (L’Est républicain, éd. Nancy, 29 décembre 1999, 611.)
8. Couarail autour du marché [Titre] […] Les commerçants du marché central et des rues adjacentes,
ainsi que la commission de quartier étaient hier soir invités par la mairie pour discuter
de la rénovation et de la mise en valeur du marché et de ses abords. (L’Est républicain, éd. Nancy, 22 mars 2000, 604.)
— faire couarail loc. verb. "bavarder". Alors on fait couarail ! (RoquesNancy 1979).
2. couaroil 〈Moselle, Vosges, Bas-Rhin (sud-ouest).〉 – Par les chaudes soirées d’été, quand nous faisions le couâroil (J. Chaudron, Autour de la Bessotte. Souvenirs d’un enfant de Lorraine, 1994, 199).
9. Elle devait s’ennuyer ferme à la campagne, dans son premier poste d’enseignante. Mes
parents avaient tout de suite sympathisé avec elle : pour lui éviter une trop grande
solitude, ils l’invitaient à venir au couâroil, après le repas du soir. Mes parents et l’institutrice bavardaient dans la cuisine ;
j’étais couché dans la pièce voisine et je les écoutais avant de m’endormir. (J. Chaudron,
Autour de la Bessotte. Souvenirs d’un enfant de Lorraine, 1994, 22.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
10. J’adorais le quaroille – à prononcer couaroille. Mémère Zise aussi l’adorait. / Non, ce n’est pas un fromage…
On appelait ainsi une activité hautement sociale, comparable à celles qui s’exerçaient
dans les ruelles et les salons des siècles classiques. Il se peut que j’aie assisté
à la fin de l’institution et du mot qui la désignait, tués tous deux par la T.S.F.
La télévision n’eut sans doute même pas à leur porter le coup de grâce. Ils devaient
être morts avant qu’elle n’apparût. (P. Fohr, Les Vergers de Morhange, 1986, 59-60.)
11. Une des activités les plus importantes des femmes du village, c’était le « couâroil ». Il remplissait les fonctions de la radio et de la télévision d’aujourd’hui. Dès
que deux femmes étaient en présence, il y avait déjà couâroil ; a fortiori, quand elles étaient trois, ou plus. / Le couâroil avait des vocations multiples : il était en quelque sorte l’université des femmes.
Elles y siégeaient devant un verre de « café-chicorée », souvent arrosé d’une petite goutte. (J. Chaudron, Autour de la Bessotte. Souvenirs d’un enfant de Lorraine, 1994, 166.)
V. encore s.v. bon, ex. 2.
■ remarques. Emploi au f. « L’un des seuls plaisirs de la vie, se souvient Thérèse Charpentier [de Russ (Bas-Rhin),
née en 1916], était la couaroil (la causette) […] / […] la vie était dure, le seul plaisir c’était la couaroil, la causette, certains après-midi ou le soir, sur le banc devant la maison, et les
veillées en hiver, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. On racontait des histoires
du village, des bêtises qui ne tenaient pas debout […] » (Cl. Keiflin, Gens de Bruche, 1998, 82).
3. côreille moins usuel 〈Haute-Saône (nord-est).〉
12. Ces fameux « côreilles » qui entretenaient les bonnes relations et donnaient l’occasion de bavarder un peu.
(M. Sauvage, « Les travaux et les jours dans les Vosges saônoises », dans Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n.s., n° 9, décembre 1980, 73).
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
13. – […] Dans le temps, l’hiver était long […]. Alors, les gens se réunissaient les uns
chez les autres à la veillée. C’était le « Coreille » comme on disait alors. (R. Simonin, dans R. Begeot et al., Contes comtois des rois René, 1978, 274.)
14. Souvent d’ailleurs les femmes, pour ces veilles lointaines, allaient avec les enfants
dès l’après midi [sic, sans trait d’union] pour commencer par ce qu’on appelle un “côreille” (coradje en patois) la veillée elle-même […]. (M. Sauvage, « Les travaux et les jours dans les Vosges saônoises », dans Barbizier. Bulletin de liaison de folklore comtois, n.s., n° 9, décembre 1980, 73.)
4. couarôge moins usuel 〈Montagne vosgienne.〉
15. Chez le Parmentier on ne restait jamais inactif pendant le « couarôge ». Chaque femme prenait une aiguille, passait le fil rugueux sur un bloc de cire d’abeille,
cousait une aiguillée et contribuait ainsi à l’ouvrage. (Fr. Martaine, Les Pommes noires, 1987, 238.)
■ remarques. La définition de couarail par le TLF ("réunion, notamment à la veillée, de personnes du voisinage qui bavardent à bâtons
rompus, tout en s’occupant à de menus travaux") est plus proche des réalités rurales chantées par Barrès que de la réalité actuelle.
Codifié comme un rite social rural, le couarail était, selon les régions, distinct
de la veillée (v. ici ex. 14) ou non (v. ici ex. 9, 13). Si l’usage du mot est en
déclin, couarail est encore suffisamment vivant et emblématique en cette fin de 20e s. pour avoir été choisi comme nom d’un centre commercial de Nancy à la fin des années
70 ; plusieurs bulletins d’associations lorraines ont eu ou ont encore pour titre
Le Couarail ou Le Couaroye ; noter aussi la « salle du Couarail » à Loisy (Meurthe-et-Moselle).
◆◆ commentaire. Caractéristique principalement de Lorraine, où il est attesté dep. 1876 en patois
messin (« couarail, s. m. assemblée, causerie sur la voie publique » D. Lorrain, Glossaire du patois messin) et dep. 1913 en français (Barrès, Frantext), couarail est un dialectalisme qui s’étend au Nord jusqu’en Belgique (PohlBelg 1950). C’est
un déverbal, avec le suffixe ‑ail, d’un verbe régional tel que Moselle kwäryœ "bavarder sur le seuil de la porte", etc. (FEW), du type d’afr. carrogier "causer sur la place publique", lui-même de carroge "carrefour", issu de lat. quadruvium, type qui s’est maintenu dans les dialectes normands, picards, champenois et franc-comtois
(d’après TLF). Absent de GLLF, couarail est enregistré, avec la mention « région. (Lorraine) » par TLF et Rob 1985.
◇◇ bibliographie. RobRemiremont 1911 couarôge (« en patois de Metz on dit couaroille ») ; BlochVosgesMérFr 1921, 127 « aussi dit-on autour du Tillot : “je vais au kwarèj ou ‑jà”, il est vrai, souvent en plaisantant » ; CrouvChampagne 1975 coirail « Lorraine, Argonne » ; RoquesNancy 1979 faire couarail ; LanherLitLorr 1990 ; MichelNancy 1994 « peu attesté » ; FEW 2, 1407b, quadruvium.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Meuse, 65 % ; Vosges, 40 % ; Meurthe-et-Moselle, 35 % ;
Moselle, 25 %.
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