cuire v.
I. 〈Moselle (est), Alsace, Haute-Saône (Authoison), Doubs, Haute-Loire (Velay), Dordogne.〉
1. Emploi tr. "faire bouillir (de l’eau, du lait, etc.) à des fins comestibles".
2. Emploi intr. "bouillir (en parlant de l’eau, du lait, etc.)". L’eau, le lait cuisent (DondaineAuth 1976). T’as l’eau qu’est en train de cuire (J. D., Ronchamp, juillet 1999).
— En constr. factitive. Faire cuire de l’eau pour la soupe (TrouttetHDoubs 1991, 51). Faire cuire du lait, de l’eau (QuesnelPuy 1993).
1. Crème à la vanille et au blanc d’œuf battu / […] Faire cuire le lait et le verser lentement, en fouettant, sur le mélange ci-dessus. (Fr. Voegeling,
La Gastronomie alsacienne, 1978, 76.)
2. Faites cuire le lait avec le sucre semoule. Délayez les 40 grammes de pudding dans un peu de lait.
Ajoutez-le au lait cuit. (Th. Kappler, Desserts traditionnels d’Alsace, 1998, 96.)
II. Emploi intr.
1. 〈Lorraine, Franche-Comté〉 "fermenter (dans un tonneau, dans l’attente de la distillation)". Les fruits cuisent (DondaineAuth 1976). J’ai mis des prunes à cuire, on pourra faire de la goutte (DuraffHJura 1986). Les mirabelles n’ont pas bien cuit, ça n’a pas donné de goutte (LanherLitLorr 1990). En constr. factitive. Faire cuire les prunes (DuchetSFrComt 1993).
3. Car le Père Laurent faisait aussi la goutte. […] on venait de loin lui apporter les fruits qui cuisaient déjà bruyamment dans de lourds tonneaux. (Roger Wadier, Le Sotré du Père Laurent, dans En Lorraine au coin du feu. Contes et Nouvelles du Prix Moselly, 1983, 102.)
2. 〈Doubs, Jura, Alpes-de-Haute-Provence〉 "distiller dans un alambic pour obtenir de l’alcool".
4. De la goutte, j’ai conservé un souvenir tout imprégné de mystère. Le mystère des nuits.
Car on cuisait la nuit. Je n’ai jamais su si c’était pour échapper au contrôle des rats de cave,
ces employés du fisc tant redoutés des vignerons et des bouilleurs de cru. (B. Clavel,
Les Petits Bonheurs, 1999, 161.)
— Avec un complément d’obj. indiquant la quantité d’alcool obtenue.
5. La patronne arrive, une bouteille à la main :
– Vous allez me faire le plaisir de goûter ça, les amoureux. Vous m’en direz des nouvelles. Nous goûtons. Ce parfum… Je n’hésite pas : – De la mirabelle ! – Mon homme en cuisait une bonbonne chaque hiver. Elle a vingt ans, dites. (Cl. Courchay, Quelqu’un, dans la vallée…, 1998 [1997], 172.) III. Emploi intr. 〈Surtout Moselle (est), Alsace〉 "faire la cuisine, cuisiner". Maman cuit bien (enquête de 1989, dans SalmonAlsacianismes 1991).
6. À la question [posée en 1939 aux enfants des familles alsaciennes évacuées en Dordogne]
« Qu’est-ce qui vous a le plus étonné ici après votre arrivée ? » la réponse fuse : « Ici, on ne voit nulle part une cuisinière pour cuire ; tous n’ont qu’une grande cheminée dans laquelle ils pendent une casserole ». (Saisons d’Alsace, n° 105, 1989, 187.)
7. Madame Salomé va et vient de la table à la cuisinière. Elle est occupée à « cuire » et cuire est, pour une ménagère alsacienne, une des choses les plus importantes de la vie,
une chose grave, presque sacrée. (L. Rauzier-Fontayne, Marikele, 1946, 8.)
8. C’est donc Zabeth qui fait la cuisine […]. La fillette cuit bien et avec beaucoup d’imagination. (T. Ungerer, L’Alsace en torts et de travers, 1988 [1975], 54.)
■ remarques. 〈Haute-Marne (est), Meurthe-et-Moselle, Vosges, Doubs, Jura, Alpes-de-Haute-Provence〉 cuite n. f. [Correspond à cuire II.2] "opération de distillation pour obtenir de l’alcool". « La cuite est finie, à c’t’ heure* » (R. Collin, Les Bassignots, 1969, 104) ; « Il faut tout de même se bouliguer*, tâcher de faire deux cuites cette matinée » (P. Jeune, « La Félicie cause au Milo », Barbizier. Bulletin de folklore comtois, n.s. 19, octobre 1992, 309) ; « […] M. Conrard [dernier bouilleur de cru de Malzéville, Meurthe-et-Moselle] céda “ses alambics” à des collègues lorrains […] pour ne conserver qu’un appareil au bois avec lequel
se fera sa dernière cuite » (L’Est républicain, éd. Nancy, 5 janvier 2000, 608) ; « Il y avait toujours, sur le vieux banc de bois et les quelques chaises [près de l’alambic],
deux ou trois paysans, l’un surveillant sa “cuite”, les autres venant en curieux ou pour prendre rendez-vous » (G. Garillon, Vosges de mon enfance, 2000, 114). – Ce sens, par restriction de frm. cuite "concentration d’un sirop" (dep. Besch 1845), est absent des dictionnaires de référence et de FEW 2, 1165a, coquere ; on le retrouve dans les patois de Suisse romande (GPSR 4, 650a).
◆◆ commentaire.
I. Attesté dep. 1897 dans le français d’Alsace (« Le thé cuit », dans Salmon ColloqueMulhouse 1985, 271), ce sens par restriction de fr. cuire "rendre (une substance comestible) propre à l’alimentation par le feu, la chaleur" (dep. le 12e s., v. FEW), est absent des dictionnaires généraux contemporains. Il a aussi été
relevé en Belgique (PohlBelg 1950 « pop. ou vulg. » ; Hanse 1994 « ne peut s’employer pour bouillir en parlant de l’eau ») et aussi en Suisse romande où cet emploi (dep. 1829-1832), ainsi que le III. est
bien attesté (DSR 1997, avec bibliographie). Les patois, particulièrement de l’est
galloroman, connaissent bien ce sens "(faire) bouillir" pour le représentant local de lat. coquere (FEW).
II. par analogie du précédent, et tout naturellement inséré dans le même paradigme que
bouillir et brûler (aujourd’hui disparus en ce sens du français de référence), est attesté dep. 1845
dans la métalangue de Besch s.v. cuiseur (« celui qui fait cuire le vin, dans les vignobles où il existe des bouilleurs »), mais il est absent des dictionnaires généraux des 19e et 20e siècles. Il s’agit sans doute d’une innovation régionale, qui est passée dans certains
patois de la Suisse romande (GPSR 4, 640a).
III. Absent des dictionnaires généraux contemporains, cet usage du français de Moselle
et d’Alsace (où il est attesté dep. 1902, dans SalmonAlsacianismes) est soit un calque
d’all. kochen en ce sens, soit un emploi absolu de cuire v. tr., bien attesté en français de référence (cf. DSR 1997) ; on notera d’ailleurs
que cuire "faire la cuisine" est documenté dep. 1852 en français du Bourbonnais (Conny), mais sans continuateur
moderne connu dans cette région.
◇◇ bibliographie. (I) BoillotGrCombe 1929 ; DondaineAuth 1976, 59 ; TuaillonRézRégion 1983 ; WolfFischerAlsace
1983 (avec bibliographie) ; LanherLitLorr 1990 ; SalmonAlsacianismes 1991 ; TrouttetHDoubs
1991 ; DuchetSFrComt 1993 ; QuesnelPuy 1993 ; LesigneBassignyVôge 1999 ; FEW 2, 1164a et 1165a, coquere. – (II) TuaillonRézRégion 1983 ; DuraffHJura 1986 "fermenter" ; LanherLitLorr 1990 ; DuchetSFrComt 1993 ; LesigneBassignyVôge 1999 ; aj. à FEW 2, 1166a, coquere. – (III) ConnyBourbR 1852 ; RobillotMetz 1936 ; WolfFischerAlsace 1983 (avec bibliographie) ;
LanherLitLorr 1990 ; SalmonAlsacianismes 1992 ; aj. à FEW, loc. cit.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Haut-Rhin, 80 % ; Moselle (est), 75 % ; Bas-Rhin, 70 %. Pour le sens "fermenter" : Vosges 15 % ; Meurthe-et-Moselle, 10 % ; Meuse, Moselle, 0 %. (III) Haut-Rhin, 90 % ; Bas-Rhin, 70 % ; Moselle 70 % ; Meurthe-et-Moselle, 35 % ; Vosges,
30 % ; Meuse, 15 %.
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