débiter ou debiter v. tr.
〈Cher, Indre, Allier, Creuse〉 rural, fam. "abîmer, laisser se détériorer (souvent un produit comestible) par négligence ou insouciance ;
dépenser avec prodigalité (ce qui représente une valeur, souvent en travail)". On ne doit pas d’biter le pain (DubuissBonBerryB 1993). Ne joue pas avec ça, tu vas me le debiter (SabourinAubusson 1983). Synon. région. déprofiter*, périr*.
1. Notre épicière ne perdit pas la tête. À l’aide d’une spatule, elle récupéra la moutarde
étalée… et la jeta avec prestesse dans son seau. C’était une denrée trop rare pour
la débiter. (S. Lavisse, Retour au pays de Tronçais, 1990, 101.)
2. Sosso a saisi son seau […] et lui traverse un instant la tête l’idée d’en arroser
les deux pigistes ; mais ce serait pas chrétien de d’biter l’eau comme ça. (A. Aucouturier, La Tourte aux bleuets, 1997, 34.)
3. Le père Noël et le père Janvier ne furent pas très généreux, la Louise ne pouvait
pas se permettre de débiter son argent. (S. Lavisse-Serre, Les Locatiers de Beauvoir, 1998, 121.)
— Emploi pron. à sens passif [Le sujet désigne souvent un produit périssable ou fragile] "se perdre par altération, se gâter".
4. Elle était morte cette bête, il ne pouvait pas la laisser se « debiter » dans l’eau du fossé ! (S. Lavisse, Retour au pays de Tronçais, 1990, 162.)
5. Ça m’ fait malice* qu’ vous finissiez point c’ frichti. Y va tout se d’bitter. (M. de Valence, Récits et Légendes du vallon et des collines, 1996, 259.)
— Au part. passé/adj. "gaspillé". Une robe ratée, c’est d’ l’étoffe dbitée (E. Tisserand, Saint-Léopardin-d’Augy (Allier), Mémoire de DES, Clermont-Ferrand, 1961).
■ remarques. La variabilité de la prononciation – de [debite, dœbite, dbite] à la forme tronquée [bite] ("id. ; dénicher ; abandonner (un nid)" ALF 389, ALCe 487) – témoigne d’un usage instable, quelquefois considéré comme dialectal
par les glossairistes régionaux.
◆◆ commentaire. Essentiellement rural, ce particularisme sémantique est également bien attesté dans
les petits centres urbains, dans une aire compacte du Centre (Cher, Indre, Allier),
mordant légèrement, par les Combrailles, sur la Marche limousine. Il n’est explicitement
documenté que dep. 1838 (débiter "détériorer, gâter, souiller une chose" Jaubert), mais des emplois voisins, attestés fin 16e-déb. 17e s. – "dépenser" (« débiter son revenu » Olivier de Serres, Huguet), et v. pron. "se disloquer, se dissoudre (d’une armée)" (« L’[armée] estrangère de trente mille hommes sentit bien tost les pluyes et mauvais
chemins et la faim, et partant commença à se débiter » D’Aubigné, Huguet), où l’on retrouve le sème /disparition progressive/ –, semblent déjà appartenir à un usage français non central, qui a pu se prolonger
et se maintenir jusqu’à nos jours dans le Centre où il est particulièrement vivant
dans l’Allier au sens affaibli de "gaspiller" (dep. 1900, DupuisMontluçon). Dans les dialectes, la forme est empruntée au français
régional : Indre et Cher dbité "gâcher" (forme dominante dial. (dé)garsiyé, ALCe 1018), Puy-de-Dôme deibita "abîmer" (BonnaudAuv 1978 ; on n’y relève pas le type debitá pour "gaspiller" dans ALAL 1061*), Creuse (Flayat) debitá "abîmer" (M. Cognéras, Ethnologia 13, printemps 1980, 54).
◇◇ bibliographie. FEW 15/1, 122b, biti ; JaubertBerry 1838 ; Pierquin de Gembloux, Notices historiques […] sur Bourges et le département du Cher, Bourges, 1840 "gâter, détériorer" ; JaubertCentre 1864 "id., déchirer, souiller" ; DupuisMontluçon 1900 debiter "abîmer, gaspiller" ; DumontBourbonn 1935 d’biter "gâcher, perdre, gaspiller" ; BrunetFranchesse 1937 il a d’bité son jeu "il n’en a pas tiré parti", repris dans BrunetFrBourbonn 1964 ; GagnonBourbonn 1972 ; RLiR 1978, 168, Allier
"gaspiller des aliments, des matériaux en les réduisant en charpie" ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ; dans la métalangue de LagardeCérilly 1984, s.v. gaspiller ; DesrichardSouvigny 1989, 500 « dans toute l’aire [de Moulins à Charroux] » "gâter, gâcher, gaspiller qqc." sa récolte est débitée, il a debité son argent ; LuronCentreBerry 1997 débiter, "abîmer".
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Allier, 80 % ; Cher, 60 % ; Indre, Loir-et-Cher, 0 %.
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