déprofiter v.
1. Emploi tr. 〈Loire, Drôme, Ardèche (Annonay), Haute-Garonne (Toulouse vieilli), Haute-Loire (Velay), Puy-de-Dôme (est)〉 "dépenser inutilement (qqc.) ; tirer un mauvais parti de (qqc.) ; laisser perdre (qqc.)". Stand. gaspiller, laisser perdre. Synon. région. débiter*, périr*. – Déprofiter de la nourriture ou un tissu (DornaLyotGaga 1953). C’est pas de notre temps […] qu’on aurait déprofité le pain comme ils font maintenant (GononPoncins 1984). Venez ramasser mes ballons [= groseilles à maquereau], je ne voudrais pas les déprofiter (FréchetAnnonay 1995).
1. La Raymonde, elle se dit bonne cuisinière : alors je lui avais apporté quelques bons
produits : des truites que mon beau-frère avait été pêcher dans le Lignon d’en-haut
[…] et un beau gigot d’agneau, en pensant qu’elle allait nous régaler. Eh ben ! non
seulement son repas était guère fameux, mais elle a trouvé le moyen d’en déprofiter la moitié. (MeunierForez 1984, 85.)
2. La femme du Tonin […] détourna la tête puis sortant son porte-monnaie de la poche
de son tablier, elle donna la pièce au Phonse pour faire le garçon.
– Et surtout déprofite-les pas, mets-les de côté pour quand c’est que tu reviendras. (A. Cuisinier, La Cuvée de Saint-Antoine, 1988, 56-57.) 3. – Augustine, vous trouverez une terrine de pâte à crêpes au coin de la cuisinière…
Vous en ferez pour vos petits… Il n’est pas question de la déprofiter […]. (M. Exbrayat, Maria de Queyrière, 1990, t. 1, 101.)
V. encore s.v. faire, ex. 6.
2.
2.1. Emploi pron. ou intr. 〈Loire, Haute-Loire (Velay)〉 [Le sujet désigne un inanimé] "s’altérer, dépérir, se perdre". Mange ça avant que ça se déprofite (QuesnelPuy 1994 [doc. 1972]).
4. La moisson ? On s’arrangerait, on s’aiderait les uns les autres : pas un grain de
blé ne serait déprofité… (M. Exbrayat, Maria de Queyrières, 1990, t. 1, 154.)
— Au part. passé/adj.
5. Le voisin dit qu’il faudrait les greffer, ces poiriers. Être là au printemps. Va te
faire foutre, sinon. Personne ne s’en occupe au printemps, et pépé, l’été, il hérite
des poires qui pullulent. Ça lui fait regret*, il dit, tous ces fruits déprofités. (J.-N. Blanc, Esperluette et compagnie, 1991, 107-108.)
— Dans le tour à valeur passive laisser se déprofiter. Tous ces mots sont affectifs […]. Employons-les, ne les laissons pas se déprofiter (ChartronStÉtienne 1987, 95).
2.2. Emploi intr. 〈Haute-Loire (Velay), Puy-de-Dôme.〉 [Le sujet désigne une personne, un animal, un végétal] "mal se développer, mal grandir ; perdre du poids (stand. maigrir)". – T’as déprofité (QuesnelPuy 1994). L’arbre qu’on a planté n’a pas pris, il a plutôt déprofité (MichelRoanne 1998).
3. 〈Pyrénées-Orientales, Haute-Garonne (Toulouse vieilli)〉 "abîmer (qqn ou qqc.), détériorer (qqc.)". Ne lui laisse rien entre les mains, il déprofite tout (CampsRoussillon 1991).
◆◆ commentaire. Le particularisme morphologique et sémantique 1 et 2 forme une petite aire compacte autour de Saint-Étienne (à l’exception de l’aire d’emploi
toulousaine dont le traitement est à rattacher à 3) et il paraît d’introduction trop récente dans le parler dialectal pour que celui-ci
ait eu un rôle dans sa formation (Ø StrakaPoèmesStÉt 1964 ; Ø Straka, Poème contre une mission prêchée à Saint-Étienne en 1821 ; Ø VeÿStÉtienne, Ø Le Ballet en langage forézien (1603), éd. Escoffier, Ø Les Œuvres de Marguerite d’Oingt, éd. Duraffour et al. ; mais GononPoncins dépròfitå "gaspiller quelque chose (parce qu’on ne sait pas s’en servir) ; dépérir (d’une personne,
d’un animal) ; se rétrécir à la cuisson (du lard, de la viande)", (1947) DufaudLLouvesc deiprofitar "gaspiller, ne pas savoir tirer profit d’une chose", Haute-Loire diprufita, deiprufita "gaspiller" (ALMC 1124). Particulièrement vivant dans la Loire, mais sans tradition locale ancienne
(dep. PomierHLoire 1834 pour le Velay voisin), il ne peut pas non plus être issu,
en l’absence de jalons intermédiaires, d’un ancien emploi du français général (malgré
mfr. desproufitable adj. "dont on ne tire aucun profit", 1530, Gdf ; Ø bases MF et Frantext) ; il s’agit vraisemblablement d’une création antonymique de profiter*, bien vivant dans l’aire où se développe déprofiter. Ce particularisme récent, typiquement forézien-stéphanois (Lyon est exclu), illustre
le rôle de centre diffuseur de Saint-Étienne, ville industrielle très active à la
fin du 19e s. et au début du 20e s., sur les régions proches, où elle puise la main-d’œuvre, ou plus lointaines en
suivant des axes d’échanges commerciaux caractéristiques (par ex., Thiers, ville coutelière,
a multiplié les échanges avec Saint-Étienne plutôt qu’avec Lyon). Le traitement de
3., peu représenté, circonscrit au Roussillon et à la région de Toulouse, est peut-être
à dissocier (cf. lang. desproufitá "gâter, perdre, dissiper" dep. 1638, DoujatToulouse), malgré frm. déprofiter "gâter, perdre, dissiper, mal employer, dépenser inutilement" (VillaGasc 1802)a. On observera toutefois que desprofitar n’est connu qu’en cat. du Roussillonnais (AlcM ; BotetVocRoss 1997) et l’hypothèse
d’un francisme n’est pas à exclure.
a Les sens indiqués par Villa ne sont, en effet, que la copie intégrale de la traduction
française de lang. dësproufita (Sauvages 1785 ; Ø Sauvages 1756).
◇◇ bibliographie. FEW 9, 428 a-b, profectus. – 1 et 2. VillaGasc 1802 ; PomierHLoire 1834, 221 ; PomierHLoire 1835 ; MègeClermF 1861 Cet enfant ne fait que déprofiter depuis qu’il ne va plus à l’école ; BaronRiveGier 1939 ; ParizotJarez [1930-40] ; SéguyToulouse 1950 ; FaureYssingelais
1973 ; RLiR 42 (1978) : Loire, Sud-Ouest ; GononPoncins 1984 « très courant » ; MeunierForez 1984 ; ChartronStÉtienne 1987 ; QuestThiers 1987 ; MartinPilat 1989
« bien connu à partir de 60 ans, en déclin au-dessous » ; FréchetMartVelay 1993 « usuel à partir de 20 ans, connu au-dessous » ; QuesnelPuy 1994 ; FréchetAnnonay 1995 « globalement attesté » ; FréchetDrôme 1997 « très peu vivant » ; MichelRoanne 1998 ; PlaineEpGaga 1998 « très fréquent » ; RoubaudMars 1998, 53 ; MoreuxRToulouse 2000. 3. Villa 1802 ; MègeClermF 1861 ; SéguyToulouse 1950 ; EspallBernisToulouse 1979 « employé essentiellement par les plus de 40 ans » ; CampsRoussillon 1991 ; MoreuxRToulouse 2000 « surtout connu des plus de 60 ans ».
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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