deux adj. num.
1. 〈Surtout Seine-Maritime, Nord, Allier, Ardennes, Lorraine, Franche-Comté〉 fam. nous deux/vous deux + n. pr. (ou pronom. pers.) ou subst. déterminé "moi/toi et (une autre personne)". On a été à Vincennes, nous deux Yvonne (R. Queneau, Pierrot mon ami, 1942, 126). Nous sommes revenus doucement, nous deux mon bébé (Cl. Courchay, Chronique d’un été, 1990, 71). Nous deux ton père on leur a dit […] (M. Quint, Effroyables jardins, 2000, 37).
1. La mère se précipita pour le servir […].
– Je n’ai pas fait de feu, expliqua-t-elle. Nous deux ton père, on mangeait froid, une bricole… Qu’est-ce que tu veux que je te fasse ? (B. Clavel, Celui qui voulait voir la mer, 1988 [1963], 415.) 2. L’évacuation, nous deux Lange, on avait dix ans ? on se rappelle. (A. Stil, Beau comme un homme, 1977 [1968], 97.)
3. […] elle retourne à la villa. Nous deux Yvette, on reste avec celui qui a payé les glaces, on lèche lentement pour faire
durer le plaisir et on bavarde en regardant le soleil glisser petit à petit vers la
mer. (Chr. de Rivoyre, Boy, 1973, 27.)
4. On a descié [= scié], nous deux Juste Auguste [sic, sans trait d’union, alors qu’il s’agit d’un prénom double], trois peupliers et une
charmille* ! (L.-A. Gauthier, Les Fidarchaux de Cabrefontaine, 1978, 198.)
5. Mon garçon, disait la lettre […]. / Tu nous apprends que […] vous prospectez pour découvrir un « centre spécialisé » où placer ton malade pendant que tu seras à l’armée. / Nous deux ton père, on trouve que tu t’en occupes trop tôt. (A. Perry-Bouquet, Des gens comme vous et moi, 1990, 138.)
6. – Vous comprenez, tante Charlotte, qu’il nous est impossible de revenir à la Fontenotte,
dit-il, persuasif. Nous y avons connu des moments trop douloureux.
– C’est aussi votre faute à vous deux le Léon ! (M.-Th. Boiteux, Le Secret de Louise, 1996, 52.) V. encore s.v. dîner, ex. 12.
— nous deux + subst. désignant un animal.
7. Avec sa gueule coincée et sa queue bien droite, nous deux le poisson on navigue en frère. (E. Hemingway, Le Vieil Homme et la mer, trad. de l’anglais par Jean Dutourd, 1965 [1952], 139.)
8. Oh ! grand-père, toi qui usais d’une si belle langue, que dirais-tu si tu revenais
dans notre monde où on cause le français comme nous deux mon chien ? (Fr. Hébrard, Un mari c’est un mari, 1986 [1976], 63.)
2. 〈Belfort, Franche-Comté〉 fam. les deux + n. pr. ou subst. déterminé "id." On courait comme des folles les deux la Paulette (L. Semonin, La Madeleine Proust, 1990, 224). On est allé à la foire les deux le Paul (DromardDoubs 1991, s.v. deux).
9. – Ouais… j’ crois qu’on l’a échappé belle les deux l’ Paul.
– Oh oui, alors ! renchérit Jean, moi j’aime mieux l’Henriette ! (M. Vuillemin, La Mort de Fany, 1994, 82.) — Absol. "tous les deux".
10. Ils [deux apprentis pâtissiers] se lavèrent les mains, grimpèrent se changer et sortirent
les deux bicyclettes.
– Ce sont des pains d’épice à porter faubourg de Chalon. C’est chez Mme Jeunot, surtout, n’entrez pas les deux [un seul devant recevoir le pourboire]. (B. Clavel, La Maison des autres, 1991 [1962], 81.) 11. « Écoute, dit-il […]. Il y a deux-trois bonnes choses que j’ai apportées : on va se
les manger tout seuls les deux ! […] » (A. Gerber, Le Faubourg des Coups-de-Trique, 1982 [1979], 253.)
12. Le Milo : Aussitôt que la première cuite* sera faite, vous « irez les deux » creuser un trou dans le fumier pour mettre les déchets et puis recouvrir avec le
fumier du jour […]. (P. Jeune, « La Félicie cause au Milo », Barbizier, Bulletin de liaison de folklore comtois, n° 19, n.s., octobre 1992, 309.)
13. À Noël, cette année-là, ils s’en étaient allés à la messe de minuit et au retour,
ils s’apprêtaient à réveillonner […] « tout seuls les deux »… (R. Dromard, Comtoiseries, 1999, 162.)
— 〈Saône-et-Loire (Montceau)〉 tous les deux + n. pr. ou subst. déterminé "id." Tous les deux mon mari (ValMontceau 1997).
■ remarques. Le tour nous trois, sur ce modèle, semble beaucoup moins usuel. « Nous trois Philippe Georges on aurait été heureux » (B. Beck, La Décharge, 1988 [1979], 133).
◆◆ commentaire. Attesté dep. 1749 dans la Somme (nous deux vote mere, DDL 19), 1753 en Franche-Comté (« nous deux Jean » BrunFrComté), 1775 en Lorraine (DuboisLorr, repris par MichelLorr 1807), 1778 dans
l’Yonne (« nous deux ma sœur Rose » Rétif de La Bretonne, Frantext) et 1838 dans le Jura (« Les deux, pour nous deux, nous irons les deux » R. Pyot, Statistique générale du Jura, 380). Ce tour, stigmatisé par ses premiers observateurs, absent de Littré, n’est
pas simplement « populaire ou dialectal » (GLLF, qui prescrit « à éviter »), « familier et populaire » (TLF), « populaire » (Rob 1985) ou encore de la « langue parlée (pas seulement populaire) » (GrevisseGoosse 1993, § 259, rem. 3), mais il est d’abord marqué diatopiquement,
comme l’avait établi L. Tesnière à la suite d’une enquête conduite dans les années
20 (BSLP 47, 57-63). L’affirmation de Grevisse selon laquelle « ces tours apparaissent, par écrit, dans la reproduction des dialogues, dans la correspondance
familière ou même chez les auteurs qui pratiquent un style proche de l’oral » est très juste, à cette précision près que les auteurs en question se laissent dans
leur grande majorité circonscrire dans les limites géographiques tracées par L. Tesnière.
Aujourd’hui cependant, le tour semble se maintenir particulièrement dans les Ardennes
(et aussi en Belgique, notamment dans la région de Bastogne ; comm. de M. Francard)
et en Franche-Comté, ainsi qu’en Suisse romande (GPSR 5, 557a ; DSR 1997).
◇◇ bibliographie. CunissetDijon 1889 ; BoillotGrCombe 1929 ; DamPich, 2544 « Certains grammairiens normateurs voudraient proscrire cette tournure sous le prétexte
qu’il est aussi simple de dire “Mon père et moi” que “nous deux mon père” ; mais ils ne s’aperçoivent pas que […] le tour nous deux mon père présente le groupe comme beaucoup plus intimement uni par rapport à la personnalité
du locuteur que ne le fait le tour mon père et moi » ; DuraffHJura 1986 « régionalisme inconscient » ; LanherLitLorr 1990 ; TrouttetHDoubs 1991, 51 ; DuchetSFrComt 1993 ; RézeauChiffres
1993 ; MichelNancy 1994 ; Rézeau, MélLepelley 1995 ; ValMontceau 1997 ; LeboucBelg
1998 ; DelcourtBelg 1999, 187 ; LesigneBassignyVôge 1999 ; Ardennes « constant dans la région », (comm. de M. Tamine) ; aj. à FEW 3, 181a, duo.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Doubs, Haute-Saône, 100 % ; Jura, 65 % ; Territoire-de-Belfort,
30 %.
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