dîner v. intr. ; n. m.
〈Nord, Pas-de-Calais, Picardie, Normandie, Bretagne, Sarthe, Maine-et-Loire, Bourgogne,
Champagne, Ardennes, Lorraine, Franche-Comté, Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire,
Isère, Drôme, Hautes-Alpes, Provence, Languedoc, Ardèche, Haute-Loire, Auvergne (spor.), Limousin, Aquitaine〉 Souvent vieilli ou vieillissant.
1. V. intr. "prendre le repas de midi, le second repas de la journée". Stand. déjeuner. – Souvent mon cousin restait dîner [en note : déjeuner] à la maison (R. Vincent, L’Adieu aux champs, 1989 [1987], 61).
1. J’ai fait la daube aujourd’hui. Raphaël vient dîner avec Sacra. Aussi, tu me mets le couvert tout de suite avant de partir au marché.
(N. Ciravégna, Le Pavé d’amour, 1978 [1975], 66.)
2. – Silence ! Pain sec pour demain midi ! Tu préviendras ta famille qu’elle ne t’attende
pas pour dîner ! (J. Anglade, Le Tour du doigt, 1980 [1977], 48.)
3. La soupe, tout était prêt, et je portais la soupière, la cruche, le vin et le pain.
Ils m’attendaient, ils languissaient* de dîner. Alors ils se mettaient à l’ombre sous les arbres et mangeaient tranquilles, et ce
temps gagné leur permettait de faire un peu la sieste. (Eva Tufféry, née en 1903,
dans L. Chaleil, La Mémoire du village, 1989 [1977], 26.)
4. Elles [deux vieilles demoiselles] menaient une vie bien particulière, prenaient leurs
repas à des heures indues, dînant à dix heures du matin et soupant* à cinq heures de l’après-midi, comme dans les hôpitaux. (Th. Bresson, Le Vent feuillaret. Une enfance ardéchoise, 1980, 173.)
5. Les étangs gelés nous attiraient à la sortie de l’école ; à onze heures et demie,
nous avions un petit moment libre avant d’aller dîner […]. (Th. Bresson, L’Enfant des bords du Rhône, 1990, 121.)
6. Les charretiers, qui ont dîné en hâte avant de partir, somnolent, assis sur le brancard, jambes pendantes, les
guides tenus mollement car les chevaux qui vont au foin n’ont pas besoin qu’on les
conduise. Et le soleil de midi, associé aux cahots de la route, vient à bout des hommes
les plus résistants. (L. Lebourdais, Les Choses qui se donnent…, 1995, 238.)
V. encore s.v. ça, ex. 1 ; déjeuner, ex. 2 ; heure, ex. 19 ; mettre, ex. 7 ; porter, ex. 22 ; sembler, ex. 1 ; serve, ex. 4 ; souci, ex. 2 ; tonne, ex. 3.
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
7. Dix heures n’ont pas encore sonné au clocher de Saint-Bernard. S’il vient pour dîner, comme nous disons en province, il lui reste encore deux bonnes heures. (Cl. Bourgendre,
Le Tablier de sapeur, 1979, 14.)
V. encore s.v. souper, ex. 9.
□ En emploi métalinguistique.
2. N. m. "repas de midi, second repas de la journée". Stand. déjeuner.
9. Il arriva à la Borie vers deux heures de l’après-midi. Ils avaient tous achevé leur
dîner […].
– Je t’ai gardé ton dîner au chaud, Jean. (R.-A. Rey, La Passerelle, 1976, 50.) 10. Le dîner était le repas le plus complet de la journée : s’ils n’achetaient guère de viande
de boucherie, les Laforgue possédaient un cochon qu’ils tuaient au début de chaque
année au cours d’une véritable fête. Ils mangeaient donc un peu de porc au repas de
midi accompagné de légumes secs. (Chr. Signol, Antonin Laforgue, 1981, 36.)
11. On quittait les sous-bois vers midi et l’on rentrait rapidement chez soi. Le dîner était vite avalé […]. (G. Boutet, Les Gagne-misère, 1985, t. 1, 184.)
12. C’est pas la peine de rien faire pour votre dîner [en note : le repas de midi]. Ce midi, je fais le jau [= coq] au vin. Il y en aura cinq fois
trop pour nous deux* ma grand-mère. Vous viendrez nous aider. (H. Vincenot, Le Maître des abeilles, 1992 [1987], 125.)
13. À 10 h, à 16 h, la maîtresse de maison apportait à boire et parfois, selon les habitudes,
une collation. Elle aussi était à l’ouvrage : elle devait nourrir tout le personnel
au dîner comme au souper*. (J.-L. Clade, La Vie des paysans franc-comtois dans les années 50, 1988, 42.)
14. Lorsque l’angélus de midi sonna, d’instinct, il sortit sa montre […] : l’heure du
« dîner » était arrivée. (L. Costel, Bonnes Gens de mon pays, 1994, 76.)
V. encore s.v. crique, ex. 1 ; cruchade, ex. 5 ; déjeuner, ex. 9 ; eau bouillie, ex. 1 ; millas, ex. 4 ; plier, ex. 28 ; porter, ex. 4.
□ En emploi métalinguistique ou autonymique.
15. Il appelait ses neveux pour le repas de midi qu’on nommait dîner, et l’on mangeait des mets succulents comme le mouton aux pommes de terre à la brayaude
ou le salé aux lentilles du Puy… (R. Sabatier, Les Fillettes chantantes, 1980, 274.)
16. Le dimanche, après le dîner (le déjeuner des Parisiens), Sophie va se promener avec sa mère et quelques-unes
des vieilles amies de celle-ci. (H. Pollès, Sophie de Tréguier, 1983, 162.)
17. Selon le langage encore utilisé à la campagne, il [le berger] n’était donc chez lui
que pour le dîner, qui était le repas principal du milieu de la journée […]. (G. Féquant, Le Ciel des bergers, 1985, 110.)
18. [le dimanche à la campagne, dans les années 1950] On assiste obligatoirement à la
messe en famille et, pendant que les hommes généralement vont au café, les femmes
préparent la table pour le déjeuner (qu’on appelle souvent dîner) […]. (La Mémoire de la terre au Pays du Sânon, 1996, 294.)
19. Les horaires des dîners et soupers*, comme on dit ici, ont été, une bonne fois pour toutes, établis à midi et sept heures,
avec une marge de tolérance qui n’excède pas dix minutes […]. (J. Roger, Le Fils du curé, 1998, 39.)
— Par méton. "mets, aliments composant ce repas".
20. Je portais aussi le dîner à mon frère et à mon père quand ils labouraient les terres éloignées […]. (L. Chaleil,
La Mémoire du village, 1989 [1977], 26.)
21. On partait le matin, bon matin, avec son dîner, et puis on revenait le soir. (J.-Cl. Bouvier, La Mémoire partagée, 1980, 52.)
22. La Félicie : Es-tu bientôt prête, Titine ?
La Titine : Oui, je mets mon dîner dans le cabas. (P. Jeune, « La Félicie cause au Milo », Barbizier, Bulletin de liaison de folklore comtois, n° 19, n.s., oct. 1992, 241.) 23. Laurent ouvre les portes et les volets d’où s’évaporent des promesses de dîner. […] Il est dix heures. […] Midi embrase les Landes. Et là, à l’ombre de la salle
à manger, Charlotte me livre sa recette de merveilles*. (Chr. Seguin, Le Tour des jours en quatre-vingts mots, 1997, 62-63.)
■ remarques. La conscience du caractère non standard de l’emploi a pu entraîner chez certains auteurs
l’apparition de syntagmes dans lesquels l’heure du repas est précisée ainsi dîner de midi un quart (v. déjeuner, sens 2, Rem., ex. de Sabatier).
◆◆ commentaire. Archaïsme ; maintien dans plusieurs régions de France d’un emploi général en français
jusqu’à la Révolution. La fin du 18e s. vit les Parisiens repousser de plus en plus tard en fin d’après-midi l’heure du
repas du milieu de la journée, si bien qu’en 1804 on peut lire dans l’Almanach des Gourmands : « Depuis qu’on dîne à six heures du soir, l’on n’y goûte plus [à Paris] » (cité par Höfler Z 84, 304). Ce déplacement eut plusieurs conséquences sur l’organisation
du système des repas et de leurs dénominations : 1° l’éclatement en deux repas bien
distincts de ce qui n’en était auparavant qu’un seul, à savoir le déjeuner (v. ce mot à la nomenclature) ; 2° la disparition du goûter (qui réapparaîtra plus tard) ; 3° la relégation du souper
très tard en fin de soirée (v. souper à la nomenclature). L’évolution accélérée que connut le micro-champ lexical des noms de repas en français
parisien à la fin du 18e s. ne fut pas suivie dans les autres pays francophones, ni dans plusieurs villes
et régions de France. En effet, le mot dîner désigne encore pour plusieurs millions de locuteurs français le repas du midi, et
ce, en dépit du fait que le système parisien se soit imposé comme seul emploi non
marqué en français de référence.
Dans les relevés de régionalismes, le mot apparaît à la nomenclature d’un très grand
nombre d’ouvrages, souvent accompagné de précieuses marques d’usage : DauzatVinz 1915,
§ 1825 ; MiègeLyon 1937 ; MichelCarcassonne 1949, 11 « l’emploi parisien serait une affectation » ; MartMontceau ca 1950 ; DuprazSaxel 1975, 60 ; JamotChaponost 1975, 58 ; GrandMignovillard 1977 ;
NouvelAveyr 1978 « très courant » ; BichetRougemont 1979 ; MédélicePrivas 1981 s.v. souper ; RouffiangeMagny 1983 ; WolfFischerAlsace 1983 [cite Suiter 1920] ; CanadRom 1,
36 (Br. Horiot sur l’usage lyonnais, v. supra s.v. déjeuner, n. e) ; BouvierMars 1986 ; DuraffHJura 1986 « régionalisme inconscient » ; JaffeuxMoissat 1987, 23 (tout différent du patois) ; MartinPellMeyrieu 1987 ; LepelleyBasseNorm
1989 ; MartinPilat 1989 « usuel » ; RouffiangeAymé 1989 ; BrasseurNorm 1990 ; DucMure 1990 ; LanherLitLorr 1990 ; CartonPouletNord
1991 ; DromardDoubs 1991 ; BlanchetProv 1991 ; BoisgontierAquit 1991 « usuel, rural » ; TavBourg 1991 « usuel dans toute la région » ; BoisgontierMidiPyr 1992 « fam. » ; TamineArdennes 1992 ; VurpasMichelBeauj 1992 « usuel » ; BlancVilleneuveM 1993 « usuel » ; FréchetMartVelay 1993 « usuel, bien connu » ; LepelleyNormandie 1993 ; MartinVosges 1993 ; PotteAuvThiers 1993 ; TamineChampagne
1993 ; VurpasLyonnais 1993 « usuel » ; MichelNancy 1994 « connu » ; M. de Certeau et al., L’invention du quotidien, 1994, t. 2, 377 « parler populaire de la région lyonnaise » ; QuesnelPuy 1994 ; FréchetAnnonay 1995 « usuel » ; LaloyIsère 1995 ; RobezMorez 1995 ; SalmonLyon 1995 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme
1997 « usuel » ; FréchetMartAin 1998 « usuel » ; RoubaudMars 1998, 53 ; SchortzSenneville 1998 ; BlanWalHBret 1999 « surtout rural, vieilli » ; BouisMars 1999 ; ChambonÉtudes 1999, 22, 61 ; LesigneBassignyVôge 1999 ; MoreuxRToulouse
2000 « régionalisme général, y compris chez nos informateurs jeunes, qui déclarent l’utiliser
en alternance avec le mot standard déjeuner ».
Devant un si grand nombre d’attestations (auxquelles s’ajoutent les résultats des
enquêtes DRF), il s’avère en fait plus court d’énumérer les régions pour lesquelles
nous n’avons absolument aucune donnée récente. Il s’agit de la grande région parisienne
(influence de la capitale)a, de l’Alsace (implantation de la norme nationale après 1918), du Berry et du Bourbonnais,
de la Lozère, du Roussillon et de Poitou-Charentes (régions où l’absence de données
est plus difficile à interpréter). Le mot (dans cet emploi) semble donc, à tout le
moins en dehors des grandes villes, jouir d’une assez bonne vitalité sur une très
grande partie du territoire français. Parmi les grands centres urbains de l’Hexagone
toutefois, seul Lyon semble encore tenir quelque peu à l’usage ancien. Ce dernier
a aussi cours en Belgique (PohlBelg 1950 ; BaetensBruxelles 1971 ; MassionBelg 1987 ;
Belg 1994 ; DelcourtBelg 1998 ; LeboucBelg 1998), en Afrique (IFA 1983-1988 « Zaïre » ; JouannetRwanda 1984), en Suisse (Pierreh ; GPSR 5, 719b-724a ; Lengert 1994 ; DSR
1997) et partout en Amérique du Nord francophone (DitchyLouisiane 1932 ; MassignonAcad
1962 ; ALEC, q. 179 ; DFPlus 1988 ; BrassChauvSPM 1990 ; DQA 1992). La représentation
de l’extension diatopique du mot dans la lexicographie générale est plutôt floue et
insuffisante. Lar 1900 constate que l’usage ancien a toujours cours « dans la plupart des départements français », ce qui devient « en province » dans Lar 1929 et « dans certaines régions ; langue class. » dans Lar 1961, puis « class. et dialect. [sic] » dans GLLF. Le TLF note « vx, région. ». Rob 1985 précise « vx ou régional (France, exceptionnellement [sic] ; Belgique, Canada) » ; PLI 1989 (et éd. suivantes) donne « vx ou régional (Suisse, Belgique, Canada, Zaïre) » ; NPR 1993-2000 est largement insuffisant avec « vx ou régional (Canada, Belgique) » ; Lar 2000 s’en tient à « région. ou Belgique, Québec, Suisse ».
a Mais l’ALIFOms a recueilli cet usage dans une quarantaine de points (surtout OrneE,
Eure-et-Loir, Loir-et-CherNO), ainsi : pt 5 (près de Pontoise) « Pour Pâques, on faisait un bon dîner », pt 20 (Perche) « Ils sont à dîner en famille » [= mes enfants déjeunent aujourd’hui en famille] (1985), pt 56 (Perche) « Ici, on dit toujours déjeuner, dîner, souper, comme au Québec » (1989).
◇◇ bibliographie. FEW 3, 94b-95a, disjejunare I 2 ; A. Dauzat, MélHuguet 1940, 59-66 et Vie et Langage 1952, 3-5 ; M. Höfler, Z 84 (1968), 301-8 ; GoosseDîner 1989 ; Å. Grafström, RLiR 55
(1991), 139-140 ; ThibQuébHelv 1996, 340.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Ain, Hautes-Alpes, Aquitaine, Ardèche, Ardennes, Ariège,
Aube, Aveyron, Drôme, Franche-Comté, Haute-Garonne, Isère, Haute-Loire (Velay), Meuse
(nord), Nord, Pas-de-Calais, Sarthe, Savoie, Haute-Savoie, Tarn, Tarn-et-Garonne,
Yonne, 100 % ; Alpes-Maritimes, Cantal, Marne, Puy-de-Dôme, 90 % ; Loire, Haute-Loire
(nord-ouest) ; Loire-Atlantique, Oise, 80 % ; Finistère, Ille-et-Vilaine, Haute-Marne,
75 % ; Côte-d’Or, Nièvre, Saône-et-Loire, Haute-Vienne, 70 % ; Bassse-Normandie, 60 % ;
Corrèze, Côtes-d’Armor, Dordogne, Rhône, Somme, Var, 65 % ; Bouches-du-Rhône, Morbihan,
60 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse, 50 % ; Creuse, 35 % ; Maine-et-Loire, 15 %.
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