languir v.
〈Allier (sud), Isère (La Mure), Drôme, Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Aude,
Pyrénées-Orientales, Ariège, Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne, Lot, Aveyron, Lozère,
Ardèche (Mariac), Haute-Loire (Velay), Puy-de-Dôme, Corrèze, Dordogne, Gers, Pyrénées-Atlantiques
(Béarn), Landes〉 usuel
I. "attendre quelque chose ou quelqu’un avec impatience".
1. Emploi intr.
— En constr. factitive. Je te le rends, sinon je te ferais languir (QuesnelPuy 1998).
1. – Montre-nous, ne nous fais pas languir, dit Séraphine. (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 361.)
2. Emploi tr. indir. languir de + prop. à l’inf. Elle [un bébé qui fait ses premiers pas] languit de marcher (QuesnelPuy 1998). Je languis d’arriver au week-end (ibid.).
2. Un pâtissier comme Numa c’était rare. Quand il arrivait à la foire de Florac au petit
jour avec ses corbeilles de gâteaux, les autres pâtissiers languissaient de le voir partir. À midi tout était vendu et ils pouvaient alors à leur tour vendre
leurs pâtisseries. (R.-A. Rey, Augustine Rouvière, Cévenole, 1977, 71.)
3. – Mon chez moi, c’est là-bas… avec ceux qui « languissent » de me revoir […]. (M. Donadille, Pasteur en Cévennes, 1989, 143.)
4. Mais ça me trottait toujours dans la tête, je languissais d’avoir un cheval à moi. (L. Merlo, J.-N. Pelen, Jours de Provence, 1995, 106.)
V. encore s.v. dîner, ex. 3.
3. Emploi tr. Qu’est-ce que je languis les vacances ! (DucMure 1990).
— Emploi pron. réfl. se languir.
5. – […] y te faudra guère attendre pour accoucher, je crois ?
– Hé non, je dis, un deux mois je serai délivrée. – Tu dois te languir ? y me dit, y me semble que pour les femmes, ça doit être pénible un poids pareil ? (Th. Monnier, Madame Roman, 1998 [1957], 38.) ● suivi d’un compl. d’obj. direct. Je me languis les vacances (TennevinProv 1972).
● suivi d’une prop. complétive. Je me languis que ce soit les fêtes (BouvierMars 1986). Je me languis qu’il revienne (MazodierAlès 1996).
6. Dans la famille, depuis sa naissance, ils étaient tous à la « bader »* comme s’il n’y avait eu qu’elle sur cette terre. Et tous, tant qu’ils étaient, s’étaient,
au moins une fois, fait la réflexion suivante :
– Je me languis qu’elle parle. – Eh bien maintenant, elle parlait. Même trop. Une vraie bazarette*. (P. Roux, Contes pour un caganis, 1983 [1978], 57.) 7. – Je me languis que ce jour-là arrive ! (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 198.)
● se languir de + prop. à l’inf.
8. Après avoir passé huit heures sur une décharge, on n’est pas propre, on se languit d’aller à la douche et de mettre des vêtements propres […] ! (L. Merlo, J.-N. Pelen,
Jours de Provence, 1995, 299.)
V. encore ici ex. 18.
II. "ressentir l’absence d’une personne ; regretter de ne pas être quelque part (notamment
chez soi)".
1. Emploi tr. Il languit son frère (MichelCarcassonne 1949). Il languissait son maître (TennevinProv 1972). Tu languis ta maman ? (QuesnelPuy 1998).
— Emploi tr. indir.
● qqn1 (ou animé) languit de qqn2/de qqc. Je languis de ma maman (QuesnelPuy 1998).
9. L’autre jour, elle a passé sur la route […]. J’avais envie de l’appeler, mais j’ai
pas osé. Elle s’en serait vantée et aurait pensé que je languis d’elle. (G. de Lanauve, Anaïs Monribot, 1995 [1951], 172.)
10. – On voit bien que les enfants ne sont plus là, soupirait la grand’mère. On criait
toujours après eux, mais à présent on languit de ces garnements. (R.-A. Rey, La Passerelle, 1976, 75.)
11. Les chiens truffiers attendaient […]. Certains gémissaient, languissant déjà de leurs maîtres. D’autres jappaient, se répondant les uns les autres dans une conversation
amicale de bêtes heureuses. (P. Sogno, Le Serre aux truffes, 1997 [1993], 10.)
● qqc. languit à qqn1.
12. « […] – Ça ne te languit pas, le chez-toi ? » Costaro haussa les épaules, indifférent. (J.-P. Demure, Fin de chasse, 1998, 169.)
2. Emploi intr. Quand il part comme ça, seul sur les routes, je languis (MazaMariac 1992).
13. Je languissais [en note : je trouvais le temps long] quand je ne voyais pas mes montagnes, mes châtaigniers.
(J.-P. Chabrol, La Cévenne par ses gens, 1976, 184.)
3. Emploi pron. réfl. se languir de qqn/de qqc. Elle se languit de quelqu’un (R. Escarpit, Les Voyages d’Hazembat. Marin de Gascogne (1789-1801), 1984, 248). Je me languis de voir le ciel de chez nous (Les Carnets de guerre de Gustave Folcher, 2000 [1981], 239).
14. – Tu veux revenir à Saint-Libéral, n’est-ce pas ? Elle acquiesça d’un sourire et il
nota que le seul fait d’évoquer son pays natal la rajeunissait.
– Tu t’es toujours languie de ton pays, poursuivit-il, pourtant tu vis ici depuis plus de quarante ans, tu aurais eu le temps de t’habituer ! (Cl. Michelet, Les Palombes ne passeront plus, 1980, 402.) 15. À la fin [de la lettre] elle écrivait : « […] Voilà, à bientôt, tout le monde se languit de vous. » (M. Donadille, Pasteur en Cévennes, 1989, 143.)
16. Méhu [le cafetier] bricole son perco. Il paraît ravi de me voir :
– Je me languissais de toi, Katy, parole. Alors, tu nous apportes le printemps ? (Cl. Courchay, Quelqu’un, dans la vallée…, 1998 [1997], 275.) 17. Papa et Maman se languissaient de nous ; notre mère, surtout, qui ne nous avait pas vus depuis plus d’un an. (J. Roger,
Le Fils du curé, 1998, 215.)
□ En emploi métalinguistique.
18. Le verbe qui a le plus de succès c’est « se languir » […] qu’on retrouve régulièrement toutes les fois qu’il s’agit d’exprimer qu’un désir
tarde à se réaliser. […] Aucun verbe français ne peut rendre pour une âme méridionale
l’idée de douce nostalgie ou d’impatience légitime que fait ressortir l’emploi transitif
du verbe languir. Un maître au courant de ces finesses fera une comparaison entre l’emploi français :
« la princesse prisonnière languissait dans la tour », c’est-à-dire s’étiolait, mourait de consomption, et l’usage journalier du même verbe
en Provence où on « se languit » de voir arriver l’autobus sans se porter beaucoup plus mal pour cela. (J.-P. Tennevin,
« Le provençalisme dans les devoirs d’élèves », dans Le Français aujourd’hui 19 (1972), 51.)
III. Emploi pron. "trouver le temps long". Stand. s’ennuyer.
19. – Bonjour Stéphanette, tu as fait bon voyage ?
– Bonjour Damien, j’espère que tu t’es bien langui cette semaine ! – Je me suis tellement langui que j’ai passé mes journées assis sur mon banc, à bombarder les fourmis avec du gravier. (N. Ciravégna, Le Pavé d’amour, 1978 [1975], 41.) 20. Et puis cet homme qu’elle aimait n’avait pas l’esprit du commun : il se languirait au milieu des autres, et toujours elle vivrait sous la menace qu’un jour, ou une
nuit, il ne disparaisse au détour d’une route […]. (R. Boussinot, Vie et mort de Jean Chalosse, moutonnier des Landes, 1976, 151.)
21. – […] il [le Pépé] a voulu la télé, dit sa fille, parce qu’il ne sort plus et qu’il
se languissait toute la journée. Il n’y a rien à cette heure, mais il attend que ça recommence et
il guette la pendule. (J. Jaussely, Deux saisons en paradis, 1979, 83.)
V. encore s.v. couillon, ex. 19.
■ remarques. fam. languissant, ‑ante adj. "qui fait trouver le temps long ; où l’on s’ennuie". « D’une manière générale il était admis dans le village que Colombières était l’endroit
le plus beau de la vallée […]. J’ai toujours entendu dire : “Bédarieux, c’est encaissé, ce n’est pas beau.” Ou bien encore, d’un autre endroit “C’est triste, c’est languissant” » (J.-Cl. Carrière, Le Vin bourru, 2000, 272).
◆◆ commentaire. Fr. languir est attesté dep. ca 1130 "être abattu par une peine épuisante, affaiblissant le corps et l’esprit, spécialement
souffrir les tourments de l’amour", dep. ca 1465 languir de + inf. "désirer avec impatience", dep. 1690 "s’étioler (en parlant de végétaux)", tous les trois dans TLF. Si ces attestations témoignent d’une appartenance ancienne
du verbe au français central, on observe toutefois dans le Midi de la France, de la
Provence aux Landes, (i) que ce verbe semble particulièrement fréquent même dans des emplois réputés standard
(comme ici sous I.1), mais qui n’apparaissent cependant guère à l’oral dans la France
septentrionale, (ii) et surtout, que malgré les offensives des puristes depuis Vaugelas et encore tout
au long du 19e siècle, languir s’emploie toujours spontanément (v. ici ex. 18) dans de nombreuses constructions
et dans des emplois variés, dont les dictionnaires généraux du français contemporain
sont loin de rendre compte : pour GLLF, Rob 1985 et NPR 1993-2000, seul se languir est marqué diatopiquement, et si TLF est plus attentif à donner diverses constructions
illustrant le fait régional, leur exemplification et l’indication de leur aire géographique
(« Provence, Savoie ») demeurent bien en deçà de la réalité.
◇◇ bibliographie. VaugelasRem 1647, 136 « Ceux du Languedoc après avoir esté plusieurs années à Paris, ne sçauroient s’empescher
de dire, vous languissez, pour dire, vous vous ennuyez, parce que languir, est un mot François, qui est fort bon, pour signifier une autre chose ; mais qui
ne vaut rien pour signifier cela » ; Sauvages 1756 « s’ennuyer, s’impatienter, & non languir […] je sêche d’ennui, & non je languis » ; Féraud 1761 « Languir ne signifie point s’ennuyer. C’est un sens qu’on lui donne dans les Provinces méridionales ;
& une faute qu’il faut éviter » ; DesgrToulouse 1766 ; ca 1770 à Agde (LagueunièreAgde) ; Féraud 1787 ; VillaGasc 1802 ; RollandGap 1810 ;
ReynierMars 1829-1878 ; PomierHLoire 1834, 217 ; PomierHLoire 1835 ; GabrielliProv
1836 ; PépinGasc 1895 ; FertiaultVerdChal 1896 ; LambertBayonne 1904-1928 ; MichelDaudet ;
BrunMars 1931 ; MichelCarcassonne 1949, 21 ; TennevinProv 1972 ; TuaillonRézRégion
1983 ; BouvierMars 1986 ; MartelProv 1988 ; BlanchetProv 1991 ; CampsRoussillon 1991 ;
BoisgontierMidiPyr 1992 « régionalisme typique » ; GrevisseGoosse 1993, § 280 d 5° « languir qqn est un méridionalisme » et § 749 R. 3 « languir est souvent rangé parmi les provençalismes ; pourtant des auteurs d’origines très
diverses l’emploient » ; Hanse 1994 « surtout dans le Midi » ; Lengert 1994 ; CovèsSète 1995 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme 1997 ; QuesnelPuy
1998 ; BouisMars 1999 ; MoreuxRToulouse 2000 « régionalisme inconscient » ; « Gers et Béarn », comm. de B. Moreux ; FEW 5, 161b, languere.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Hautes-Alpes, Ariège, Aude, Aveyron, Gard, Haute-Garonne,
Lot, Lozère, Pyrénées-Orientales, Tarn-et-Garonne, 100 % ; Alpes-Maritimes, Hérault,Tarn,
90 % ; Var, 65 % ; Bouches-du-Rhône, 60 % ; Alpes-de-Haute-Provence, Vaucluse, 50 %.
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