dévarier v. tr.
I. 〈Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Aude, Lozère.〉 fam.
1. "causer une vive émotion, un trouble profond à qqn". Stand. bouleverser, fam. déboussoler, perturber. – Mon petit a été collé au Brevet. L’examinateur, avec ses questions, il l’avait tout
dévarié (LangloisSète 1991). Arrête un peu de parler, tu me dévaries, je ne sais plus ce que je fais (CovèsSète 1995).
1. Un mot dont je n’arrive plus à me débarrasser. Un mot qui m’enlève le sommeil… Un
mot qui me dévarie de fond en comble. (Y. Audouard, La Clémence d’Auguste, 1986 [1985], 156.)
2. À mon âge on récupère vite, mais la mort d’Augustin m’a tellement « dévarié » que j’ai besoin du secours immédiat de ma tante […]. (Y. Audouard, Le Sabre de mon père, 1999, 107.)
— Au part. passé/adj. Stand. fam. sens dessus dessous. – Depuis qu’elle a perdu son homme, elle est toute dévariée (GermiChampsaur 1996).
3. Toute dévariée, les yeux défaits, elle lève les bras au ciel…
– Miséricorde, mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? (M. Albertini, Les Merdicoles, 1998, 103.) 2. "faire perdre la raison à qqn".
4. Vous avez été les témoins de la vie que je menais depuis quinze jours. Elle [une belle
étrangère] m’avait complètement « dévarié ». Je n’étais plus moi-même. Je flottais dans un univers à plusieurs dimensions dans
lequel l’illusoire faisait partie de la réalité. (Y. Audouard, Lettres de mon pigeonnier, 1991, 98-99.)
— Par méton. de l’obj.
5. – Pour moi, disait l’un, ce sont les bombardements qui lui ont dévarié le système nerveux.
– Pour moi, disait l’autre, ça lui sera venu à la suite d’une grosse* peur. (Y. Audouard, Les Contes de ma Provence, 1986, 87.) — Au part. passé / adj.
6. Elle [la mère] est bien restée quelque temps, elle avait un peu perdu la tête, dirent
plus tard les gens en se souvenant. Et lui [le père] aussi, le pauvre, il était tout
« dévarié ». Vous pensez, un tel malheur [l’annonce d’un fils gravement blessé à la guerre] !
(S. Pesquiès-Courbier, La Cendre et le feu, 1984, 64.)
□ En emploi métalinguistique.
7. Je suis tout dévarié. Je vois immédiatement les images qui correspondent à ce mot. Un individu dévarié est comme une toupie qui a perdu tout équilibre. Il va ici et là, il tourne en rond,
il s’affole, il ne sait que faire. (J.-Cl. Carrière, Le Vin bourru, 2000, 276.)
● En emploi subst.
8. – […] Je reste.
– Pourquoi ? Tu as fait un vœu à la Bonne Mère* ? – J’ai que le pastis me rend méchant. Si j’en bois un de plus, je vais être obligé de te tuer. Je l’ai regardé fixement. Il a reculé. – C’est qu’il vous ferait peur, ce dévarié… (Cl. Courchay, Quelque part, tout près du cœur de l’amour, 1987 [1985], 30.) V. encore s.v. calu, ex. 8.
— Par analogie [En parlant d’un animal]
9. – […] Les dobermans, ça n’existe pas. C’est une race artificielle fabriquée, de toutes
pièces, par les hommes. Alors, forcément, deux sur trois sont complètement dévariés. (P.-J. Vuillemin, Les Contes du pastis, 1988, 107.)
II. 〈Aveyron (Saint-Affrique)〉 fam. "causer de la fatigue à qqn". Stand. épuiser, fam. tuer. – Cet enfant, qu’il est pénible, il me dévarie (NouvelAveyr 1978).
◆◆ commentaire. Le même type lexical est attesté dès l’afr. devarier "modifier, rendre inégal" (hapax 12e s.) et aocc. divariar (ca 1270) et, au part. passé/adj., aocc. devariat "différent" (ca 1270) et mfr. devarié "désordonné" (1545, chez le Poitevin Jean Bouchet) ; cf. aussi en 1551 dans le français de l’Aude
« et aultre audit testament n’a esté recité pour cause que ledit N… cest débarié ne
faysant que parler causant sa maladie » (CaylaLanguedoc). Ce type semble avoir été quasiment limité à la France du sud :
ses avancées les plus septentrionales sont attestées au 16e s. chez Bouchet et, à l’époque moderne, dans les patois du Pays nantais, de l’Anjou
et du Poitou (FEW ; Chauveau Z 102, 116). Il n’est en usage de nos jours en français que dans une aire compacte
du Sud-Est (dep. 1802) où il est emprunté à l’occitan. Il n’est pas pris en compte
par les dictionnaires généraux contemporains.
◇◇ bibliographie. VillaGasc 1802 dévarié ; VerrOnillAnjou 1908 ; BrunMars 1931 dévarié ; NouvelAveyr 1978 ; BouvierMars 1986 ; BlanchetProv 1991 dévarié ; CampsLanguedOr 1991 ; LangloisSète 1991 « Nombreux sont les sétois [sic] qui pensent que ce verbe est français [standard] » ; CouCévennes 1992 ; CovèsSète 1995 ; MazodierAlès 1996 ; RoubaudMars 1998, 83 ;
BouisMars 1999 ; FEW 14, 178a-b, varius.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Aude, Gard, Hérault, Lozère, 100 % ; Bouches-du-Rhône, 60 % ;
Hautes-Alpes, Vaucluse, 50 % ; Alpes-de-Haute-Provence, 30 % ; Var, 15 % ; Alpes-Maritimes,
5 %.
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