embroncher v.
〈Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Aude, Aveyron, Lozère〉 usuel
1. Emploi tr. "heurter, buter contre". Embroncher la laisse du chien (Témoignage oral, dans ArmKasMars 1998). Embroncher un coin de table qui dépasse (CovèsSète 1995).
1. – Je vous avais bien assuré que je l’avais vu, déclare-t-elle. Pas quand il est entré,
mais quand il est sorti et il m’a réveillée en embronchant la chaise. (Th. Monnier, La Désirade, 1956, 217.)
2. On marchait, comme ça, le long d’un champ de blé plein et coquelicots […]. Il s’est
arrêté d’un seul coup, même que j’ai failli l’embroncher […]. (P.-J. Vuillemin, Les Contes du pastis, 1988, 144.)
— jeu de boules Attention, au passage, de pas embroncher la sienne ! (Entendu en 1994 à Manosque [Alpes-de-Haute-Provence], dans MartelBoules 1998).
2. Surtout emploi pron. s’embroncher dans qqc. "se prendre les pieds dans un obstacle au risque de tomber". Stand. s’embarrasser. Synon. région. s’empierger*, s’entraver*. – Je me suis embronché dans des ronces (GermiChampsaur 1996).
3. Il ouvrit la porte. Elle donnait dans des jardins […].
– […] la voie est libre. Venez avec moi. Il n’y a qu’à pas s’embroncher dans les échalas. (J. Giono, Le Hussard sur le toit, 1951, 101.) 4. On se méfiait de ses gestes brutaux et mal dégrossis. D’ailleurs, dès qu’il fut entré,
dans les embrassades générales, il commença d’encombrer. À chaque pas on se heurtait
à son ventre, à son gros derrière, à son informe sac de voyage largué au beau milieu
de la pièce. On s’embronchait dans ses brodequins. (P. Magnan, Le Tombeau d’Hélios, 1985 [1980], 23.)
5. Lui, il verrait une liasse de billets de 500 à ses pieds, il ne se baisserait pas.
Il ferait le détour pour ne pas s’embroncher dedans, il n’est pas curieux. (Cl. Courchay, Chronique d’un été, 1990, 23.)
6. Il se dirigeait vers Rose comme un automate, s’embronchant dans le divan. (P. Magnan, Le Mystère de Séraphin Monge, 1990, 370.)
7. Il se releva, se cogna contre les meubles, s’embroncha dans un tapis, et s’écorcha la plante des pieds sur un objet pointu. (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 182.)
8. Il va cogner dans quelque chose, ce n’est pas possible qu’il ne s’embronche pas dans la mallette [= valise], la panière*, n’importe quoi. (Y. Rouquette, La Mallette, 1994, 89.)
— moins usuel s’embroncher à/sur qqc. J’ai embronché au tuyau et je suis tombé (RLiR 42 (1978), 170, Provence). Je me suis embronché au réverbère (BouvierMars 1986). S’embroncher à une chaise (CovèsSète 1995). S’embroncher aux meubles (RoubaudMars 1998, 57).
9. Ils s’embronchèrent sur des morts civils et militaires auxquels ils ne s’arrêtèrent pas, n’ayant besoin de
rien. (P. Magnan, Le Mystère de Séraphin Monge, 1990, 392.)
● jeu de boules Si tu pointes là, tu t’embronches à ma boule à tous les coups… (Entendu en 1992 à Marseille, dans MartelBoules 1998).
— En emploi abs.
10. Il se fouille et il sort un paquet de cartes. […]
– Regarde. Il me fait le coup du bonneteau à toute vitesse. Je rigole. Je sais le faire. Je le laisse un peu se refroidir ; dès que je sens que ses doigts s’embronchent je mets la main sur une carte comme sur un rat. (J. Giono, Les Grands Chemins, 1951, 40.) 11. La ville […] prend chaque jour plus d’importance avec son marché aux légumes. Sans
trêve, les camionnettes, les charrettes, les camions apportent poireaux ou tomates,
les déversent sur la grand-place pour que d’autres viennent les prendre et les transportent
à la gare […]. Tous les jours il y a presse, embouteillage ; les trains de remorques
s’embronchent, les conducteurs protestent et le chaland se plaint : « Il faut moderniser les artères, que diable ! élargir, redresser !… » (M. Mauron, Le Quartier Mortisson, 1967 [1951], 36-37.)
12. – […] elle a reculé, le ruisseau était là contre le dernier des saules, […] elle s’est embronchée[,] elle a reculé, elle est tombée dans le ruisseau […]. (Th. Monnier, Madame Roman, 1998 [1957], 183.)
13. Miquèu : Les chiens me sont tombés dessus quand je me suis embronché. (Cl. Frédéric, On piègera la sauvagine, 1984, 6.)
14. Un cri… Loulou perd l’équilibre. Frédo s’inquiète :
« Tu joues à quoi ? Tu t’es embronché ? – Viens m’aider, imbécile. » (Cl. Courchay, Quelque part, tout près du cœur de l’amour, 1987 [1985], 102.) 15. Elle se dégage, tente de fuir, s’embronche, s’affale. (R. Frégni, Le Voleur d’innocence, 1996 [1994], 134.)
□ En emploi métalinguistique.
16. – Mes enfants, qu’est-ce que cela veut dire « s’embroncher » ?
Les doigts se lèvent, on n’a pas de mal à obtenir une définition : c’est trébucher après avoir heurté des pieds ou des jambes contre un obstacle, sans forcément s’étaler par terre. […] cela vient du provençal s’embrounca. Si nous avons éprouvé le besoin de le faire passer d’une langue à l’autre, c’est que le pronominal s’embroncher contient une nuance que trébucher ne possède pas : on peut trébucher sans avoir rien heurté. Buter donne l’idée d’un arrêt brutal : on vient buter contre une porte, et s’empêtrer suggère des entraves, alors que « s’embroncher » nous laisse au moins au bord d’une chute. (J.-P. Tennevin, « Le Provençalisme dans les devoirs d’élèves », dans Le Français aujourd’hui 19, 1972, 53.) ■ variantes. 〈Gard, Aveyron〉 s’embronquer "id.". Eh bé* mon vieux, j’ai manqué m’embronquer (NouvelAveyr 1978).
◆◆ commentaire. Caractéristique du français de Provence et du Languedoc oriental, s’embroncher est probablement un croisement de frm. broncher (dep. 1648, TLF) avec le préfixal pr. embrouncá (Mistral ; ALFSuppl ‘trébucher’) – lui-même dér. sur pr. aveyr. brounca "buter contre un obstacle" (Mistral). Attesté dans le français de Provence dep. Féraud 1787, il est absent des
dictionnaires généraux du français.
◇◇ bibliographie. RézSchnFéraud ; BrunMars 1931 ; TennevinProv 1972 ; RLiR 42 (1978), 170 (Provence) ;
BlanchetProv 1991 ; CampsLanguedOr 1991 ; LangloisSète 1991 ; CouCévennes 1992 embroncher « mot typiquement nîmois », embronquer ; CovèsSète 1995 ; GermiChampsaur 1996 ; MazodierAlès 1996 ; ArmKasMars 1998 ; MartelBoules
1998 « très courant en Provence […] dans toutes sortes de situations » ; RoubaudMars 1998, 57 ; BouisMars 1999 ; aj. à FEW 1, 564b *bruncus (où ce sens n’apparaît pas).
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Bouches-du-Rhône, Gard, Hérault, 80 % ; Hautes-Alpes, 75 % ;
Lozère, 55 % ; Var, Vaucluse, 65 % ; Alpes-de-Haute-Provence, 50 % ; Alpes-Maritimes,
40 % ; Aude, 25 %.
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