entraver (s') v. pron.
〈Allier, Ain, Rhône, Loire (Forez), Gard, Ardèche, Auvergne, Limousin, Dordogne, Gironde
(Bordeaux)〉 usuel "se prendre les pieds dans un obstacle". Stand. s'embarrasser. Synon. région. s'embroncher*, s'empierger*. – Typiquement construit avec dans + syntagme nominal. Fais attention de ne pas t'entraver dans les souches (R. Langlois, Les Raisins de la passion, 1996, 232) ; s'entraver dans le tapis ; s'entraver dans des cordages.
1. La voiture nous dépassa et les deux gamins s'élancèrent. Le Sugère seul réussit à
empoigner le marchepied arrière. […] / Alors, ce fut le drame, inattendu. À vingt
pas de moi, le Vieux roulait sous la voiture et le Sugère, qui n'avait rien vu[,]
s'entravait dans le corps que le véhicule venait d'escalader en cahotant. (A. Sylvère, Toinou. Le cri d'un enfant auvergnat, 1980 [av. 1963], 70.)
2. Il r'ouvre la porte en vitesse et cette fois-ci ne prenant pas le temps d'allumer
la bougie veut se diriger tout droit vers la chèvre en danger… Hélas pour lui, il
s'entrave dans une « selle » [= tabouret] à traire et s'allonge de tout son long dans le fumier !… il se relève
en maugréant tandis qu'il voit s'enfuir une ombre par la porte laissée entr'ouverte…
(H. Verdier, « Une enfance à Taulhac au début de ce siècle », Per lous chamis 52, 1988, 14.)
3. Les porcs sortent la langue, essoufflés, les hommes écument de rage, s'entravent dans les voies, parviennent parfois à en saisir un par la queue et se font tirer ainsi
jusqu'à la limite de l'épuisement ! (R. Limouzin, Les Moissons de l'hiver, 1995, 35.)
● Avec compl. d'obj. dir. interne. S'entraver les pieds dans qqc.
● Except. construit avec avec.
4. [Un chien parle :] « Vous pensez, une laisse pour sortir de cet enfer, j'en avais pas besoin. Ma maîtresse
que les deux autres [personnes] n'arrêtent pas de tancer, se trompe de porte, s'entrave avec moi, s'étale dans la cour… Enfin la Bérézina… » (La Galipote n° 82, automne 1995, 55 [lettre d'un lecteur de Riom].)
— Emploi abs. Attention, tu vas t'entraver !
5. L'idée lui [au petit garçon] vient de marcher à reculons : et voilà que tout à coup
il s'entrave et tombe sur le dos. Les vaches continuent à avancer. Le papa a poussé un cri ; la
maman accourt, une main sur le corsage. Le petit garçon voit, au-dessus de sa poitrine,
le lourd sabot ferré de la Grive : il va l'écraser… (H. Devedeux, « Des vaches et des Auvergnats – Variations » [Prondines, Puy-de-Dôme], Bïzà Neirà 18, 1978, 13.)
6. On avait entendu le père Courgoule, revenant à minuit passé d'une cave qui lui avait
fait perdre le sens de l'orientation, pester en s'entravant dans son cuvage* (il n'y avait évidemment pas d'éclairage électrique) et, à bout de ressources, interroger
d'en bas sa femme : « Aitte ! Aitte ! Qu'es-t-ce foué de l'icholeï ? » (Nanette ! Qu'as-tu fait de l'escalier ?). (R. Eckert, Jeantou Supaud, manant auvergnat, 1995, 55.)
— Emploi récipr. "se bousculer, s'embarrasser mutuellement".
7. Ils [cochon, truie, porcelets] accouraient aussitôt, les petits s'entravant les uns dans les autres, derrière les lourdes tétines de leur mère. (J. Anglade,
La Soupe à la fourchette, 1996 [1994], 153.)
— Par métaph.
8. Maman s'est mise à chantonner. / Mozart ou Mike Brant ? Peu importait, un rayon de
soleil avait dû s'entraver dans sa cuisine. On l'entendait chantonner du jardin. (V. Andrieux, dans Magazine Centre France, 2 novembre 1997, Supplément, 6.)
◆◆ commentaire. Diatopisme sémantique et syntaxique ancien (cf. déjà Montaigne, en emploi figuré,
v. Rob 1985), largement répandu et d'usage général sur son airea, mais qui n'a pas été repéré jusqu'ici en tant que tel ni par la lexicographie généraleb ni par la lexicographie régionale – ce qui témoigne d'un usage dont la légitimité
sociale est entière, appartenant pleinement à la norme spontanée (supra-)régionale
implicitec. Première attestation non figurée en 1879 dans la métalangue de VayssierAveyr pour
gloser aveyr. s'entrobá (« s'entraver, s'embarrasser » ; glose évitée par Mistral ; 1890, PuitspeluPatLyon pour traduire inchafeto/einchafeto ; PuyD. 1929, Jars 118, pour traduire Thiolières s'entravá). Fr. entraver (dep. ca 1480 au propre, TLF) est lui-même un méridionalisme diachronique (< occ. entravar, dep. ca 1220 ; FEW 13/2, 138a et 139a, trabs ; BlWb ; TLF ; GebhardtOkzLehngut 1974, 69, 348) : l'acception secondaire décrite
ci-dessusd, parallèle à celle que connaît s'empêtrer (TLF)e, est restée confinée à la zone d'origine du motf, quoique l'aire française ne se superpose pas à l'aire du type dialectal (pour cette
dernière, v. FEW 13/2, 138a, et ALF 1551). Le fait que entraver ait été accueilli, dans le sens de base, dans la norme nationale, a, bien entendu,
constitué un puissant facteur de légitimation de l'emploi diatopiquement restreint.
La vitalité actuelle est patente, mais on manque un peu d'exemples parce que ce particularisme
n'attire pas la stigmatisation, ni, en conséquence, l'attention des glossairistes ;
peut-être aussi parce que cet emploi est senti comme légèrement familier par les locuteurs
cultivés.
a Employé par tous les témoins de l'enq. 1994-96 dans le Puy-de-Dôme et le Brivadois ;
employé par sept témoins sur neuf dans le Cantal et connu des deux autres.
b TLF (sans marque) citant Pourrat (= Ambert 1931) ; Rob 1985 (sans marque) citant Montaigne.
L'acception "s'embarrasser dans un vêtement", plus proche du sens de base de s'entraver, n'est pas distinguée par TLF : à l'exemple de Giono (1931) qu'il cite, on en ajoutera
un de Loti (Ramuntcho, 1897, 67, frantext) et un de Pourrat (1922, Gaspard des Montagnes, cf. impr. 1966, basée sur l'impr. 1948, 20) ; TLF cite également un emploi figuré
chez Mauriac (1937). La localisation méridionale de ces auteurs paraît suggestive.
– Emploi figuré probable dans « Les voitures vont vite et ne s'entravent pas ; les mouvements des jambes, les gestes des bras s'ordonnent souplement dans
la foule qui marche » (J. Romains [né à St-Julien-de-Chapteuil, HLoire], La Vie unanime, 1908, 249, frantext).
c Cf. encore FréchetAnnonay 1995, dans la métalangue (s.v. entrabler), et RoquilleVurpas, dans la métalangue (s.v. einchafete), pour lesquelles s'entraver représente visiblement la norme (supra-régionale). L'exemple de Fréchet témoigne
bien là de l'emboîtement d'une norme sub-régionale (s'entrabler) et d'une norme supra-régionale, la vigueur de cette dernière bloquant l'accès du
descripteur et des locuteurs à la norme dite nationale.
d Cf. occ. s'entravá "s'embarrasser les jambes, faire un faux pas, chopper contre un obstacle, s'empêtrer" Mistral, rhod. s'entravá li pèd "s'empêtrer les pieds" (Fr. Mistral, Lou Pouèmo dóu Rose xxxii, 22), aveyr. s'entrobá "s'entraver, s'embarrasser" Vayssier, Par. s'entrabá "heurter avec les pieds" (FEW 13/2, 138a), Thiolières s'entravá "se prendre les pieds dans un obstacle" (Jars 118), Aran endrabá-se "trébucher ; entrebancar-se" (FEW ibid. ; CoromAran).
e Cf. aussi le parallèle fourni par s'entrabler "s'embarrasser les pieds" dans le français de l'Ardèche (FréchetAnnonay 1995 ; MazaMariac 1992) ; sur le type
occitan d'extension limitée, v. en dernier lieu Chambon RLiR 60, 78-79, 96.
f Cf. aussi le sens secondaire "embarrasser (qqn)" dont la première attestation est chez Montaigne (FEW 13/2, 138a ; TLF).
◇◇ bibliographie. GononPoncins 1947 [1935-1943], 16 dans la métalangue ; GononPoncins 1984 dans la métalangue
s.v. s'enganer ; DufaudLLouvesc 1986 (dans la métalangue pour gloser occ. s'entrablar) ; FaraçaVans 1992, 184 (dans la métalangue pour gloser occ. s'entrabar), 462 (index français) ; DufaudLLouvesc 1998 s.v. entraver « s'entraver, trébucher : s'entrablar » ; FréchetMartAin 1978 dans l'ex. s.v. grobe ; ChambonÉtudes 1999, 119 (Pourrat, Gaspard des montagnes) ; Brochard enq. ; Chambon enq.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Cantal, Haute-Loire, (nord-ouest), Puy-de-Dôme, 100 %.
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