cuvage n. m.
〈Saône-et-Loire, Rhône (nord), Loire (Forez), Haute-Loire (Velay), Basse Auvergne〉 usuel "local où l’on range les cuves et autre matériel viticole, et où se trouve parfois
le pressoir". Stand. cuvier, cellier. Synon. région. magasin*. – Caves et cuvages typiques des régions de vignobles (Chamina, Balades à pied en Auvergne. Région clermontoise, 1989, 37) ; entrée de cuvage (ibid., 26) ; cellier et cuvage (J. Pestre, Le Vignoble autour du Puy-en-Velay, 1981, 243).
1. Ici [à Billom, Puy-de-Dôme] le bâtiment étroit, vu le peu de bétail, au rez-de-chaussée
servant de cuvage, au toit en auvent sous lequel sècheront les haricots, est bien celui qu’il faut aux
vignerons cultivateurs de légumes. (H. Pourrat, En Auvergne, 1966 [1950], 93.)
2. C’est d’ailleurs là [dans le quartier de Saint-Alyre, à Clermont-Ferrand] que, de
nos jours, on trouve le plus facilement des maisons de vignerons avec leur cuvage et leur escalier extérieur. (A.-G. Manry, Histoire de Clermont-Ferrand, 1975, 195.)
3. La maison elle-même n’avait qu’un étage et un grenier. Au rez-de-chaussée s’ouvrait
sur toute la longueur de la façade, le cuvage, où, au fond, les bacholles* s’entassaient, emboîtées les unes dans les autres, et où, sur les côtés, s’alignaient
les cuves. À l’entrée du cuvage, une trappe à deux battants dont un seul était d’ordinaire relevé, donnait accès à
l’escalier aux marches de pierre qui descendait à une cave spacieuse […]. (A. Mazen,
« Antoinette Sauvanet, fille d’Auvergne », Bulletin de l’Association des Amis du vieux Pont-du-Château 6, 1975, 68.)
4. Sur les coteaux viticoles [de la Limagne], on était exercé à l’art de bien vivre […].
Avec d’étroites maisons contiguës à trois étages, la cave, le cuvage, l’habitation, le village, tassé autour du fort défensif d’autrefois, socialisait
l’existence. C’était la civilisation amène de la vigne. (L. Gachon, dans Guide Bleu. Auvergne, Velay, 1979, 36.)
5. Mais la pente avait ses avantages : elle procurait, dans la partie basse, l’accès
de plain-pied du cuvage, tandis que la façade arrière de la maison, comme les façades latérales, au moins
partiellement, était enterrée […]. (J. Pestre, Le Vignoble autour du Puy-en-Velay, 1981, 235.)
6. Le cuvage ou tinal, où se manipule la vendange, est une pièce spéciale à laquelle on accède aisément
par une vaste porte. (M. Carlat, dans M. Carlat, L’Ardèche, 1985, 164.)
7. Je suis né le 21 avril 1912 à Clermont-Ferrand d’une vieille famille de vignerons
auvergnats. Mon arrière grand-père, le Jei (dzei), était mort au cuvage en enfonçant le chapeau de sa cuve, mon grand-père, Leoui dau Jei, au sortir de sa cave, seul mon père devait mourir à la guerre quelques années plus
tard. (L. Levadoux, « Un tour aux vignes : la vigne, le vigneron, les vignobles du Puy-de-Dôme » [1979], Bïzà Neirà 62, 1989, 5.)
8. Car pendant des siècles le vin a modelé l’habitat aussi bien que l’habitant. Dans
les vieux bourgs* accrochés aux coteaux, Le Broc, Le Crest, Aubière, Gergovie et les villages en at, les maisons avaient leur style propre. En sous-sol, la cave profonde (à moins, comme
à Aubière, qu’elle ne fût hors du bourg, creusée dans le roc). Au rez-de-chaussée,
quelquefois l’étable des vaches ; toujours, le cuvage voûté avec sa cuve, son pressoir, sa porte à plein cintre dont la partie supérieure
indépendante s’ouvrait pour favoriser l’aération. (J. Anglade, Le Pays oublié, 1982, 207.)
9. M. Charles Millon, président du Conseil régional de Bourgogne [sic pour Rhône-Alpes] et Ministre de la Défense, ne pourra être présent lors du dîner au cuvage de Lacenas en Beaujolais. (Soixante-neuvième congrès annuel de l’American Association of Teachers of French, Lyon, 14-19 juillet 1996, « Supplément au program [sic] », 2.)
10. Lors du G 7 [sommet de chefs d’État], on a emmené Madame Clinton visiter le cuvage du Château de la Chause. (Nord du Beaujolais, 1996, Vurpas enq.)
11. Le cuvage obscur sentait le vin, la sueur, l’espérance et la vie. (J.-P. Leclerc et Fr. Panek,
Contes et recettes des pays d’Auvergne et d’Aveyron, 1996, 261.)
12. Maison de bourg* à restaurer, Vieux Royat, compr ancien cuvage, 2 pces au 1er, 2 pces au second. (Notaires d’Auvergne, n° 40, mars 2000, 6 [concerne Royat, banlieue de Clermont-Ferrand].)
— Par méton. 〈Basse Auvergne〉 "pressoir" (comme mot-souvenir dans l’ex.).
13. Le vin coulait à flot. Pas moins de 120 millions de litres seront ainsi tirés des
« cuvages » auvergnats en 1892. (V. Riberolles, dans Massif Central Magazine 5, septembre-octobre 1994, 48.)
◆◆ commentaire. Dérivé au profil français (‑v- intervocalique, au minimum par alignement) sur fr. cuvea, attesté d’abord en Basse Auvergne dep. 1559 (à Ardes-sur-Couze, cuvaige, BullAuv 97, 499 n. 28 ; v. ex. dans ChambonMatAuv 28 ; aj. AlmBrioude 53, 59, 145
et 192 ; 54, 183 ; 66, 57 ; BullAuv 95, 102 et 201 ; Gonfanon 35, 11, 12 ; BullAuv
97, 508 n. 87). Le mot est également employé en Forez (dep. GrasForez 1863 s.v. loge, « dans les vignobles », et s.v. tinailly, dans la métalangue ; PrajouxRoanne 1934 : « Jadis le mot cuvage n’était en usage qu’à la Côte et sur la rive gauche de la Loire, mais depuis un siècle
il a envahi la rive droite où l’endroit réservé aux vases vinaires était autrefois
appelé tinalier »b ; GononVigneForez 1976, 144 [Savigneux, Trelins, Renaison, Tartaras, Chavanay]),
en Velay (dep. 1902, J. Pestre, Le Vignoble autour du Puy-en-Velay, 1981, 282) et dans le nord du Beaujolais (dep. 1950, ALLy 209* ; Vurpas TraLiLi 15,
133 ; Vurpas, comm. pers.) ; il a été relevé dans l’Allier, dans la métalangue de
ConnyBourbR 1852 ; il a aussi été noté, en patois, dans le sud-ouest de la Saône-et-Loire
(ALB 703) et, en français, il est « très vivant dans les environs de Chalon et connu en Charolais » (TavBourg 1991). Malgré son extension assez réduite (liée aux vignobles du Beaujolais,
du Forez, du Puy-en-Velay et de la Limagne – ces derniers autrefois très actifs),
ce régionalisme semble être (ou avoir été) connu à l’articulation des trois grands
domaines dialectaux de la Galloromania. Cette isoglosse lexicale qui relie la Basse
Auvergne à des zones plus orientales rappelle sans doute que « la viticulture auvergnate est tournée vers l’Est » (L. Levadoux, Bïzà Neirà 62, 1989, 13), et que « l’aire de relation des vignobles limagnais [est] essentiellement le Centre et l’Est
médioromans de la France » (P. Bonnaud, Bïzà Neirà 56, 1987, 33). En Basse Auvergne, l’accès à la norme régionale – cuvage est spontanément employé, par exemple, dans la métalangue de DauzatVinz 1915, § 4786
et dans la nomenclature française de BonnaudAuv 1978 – découle de l’emploi du mot,
de longue date, dans l’écrit juridique ; sa vitalité a décrû du fait de la décadence
de la viticulture auvergnate. Mal représenté dans la lexicographie régionaliste (BonnaudAuv
1976), cuvage est, au rebours, un régionalisme caché de la lexicographie générale (dep. Trév 1743)c où son introduction remonte à un exemple du juriste clermontois Domat (1689/1697) ;
pour la critique de la présentation des faits dans TLF (suivi par Rob 1985), v. ChambonMatAuv
28.
a Cf. déjà lat. médiév. cubatgium (ClermF. 1375, FournierNouvRech 162 n. 100) calquant une forme d’ancien occitan et
présentant régulièrement ‑b- comme ClermF. (av. 1689, Laborieux l’aîné, Las Vendegnas, éd. Berriat Saint-Prix 19, 22) et les rares attestations occitanes des 19e et 20e s. : ClermF. tiubadze (1868, Almanach de la Mouche clermontoise 31), Vinz. cy’badzə, Moissat cubage Jaffeux, VoloreM. kybaz ALLy 209 pt 36 (v. encore ALMC 1238 [Brivadois]) ; il est pourtant notable que Moissat
cubage ne présente pas la palatalisation de /k/ contrairement à tchoubo "cuve", tchourá "curé" etc. et même à tchoubè "cuber" ; ce traitement ne peut s’expliquer que par un alignement de l’initiale sur la forme
directrice du français régional. – Pour les attestations dialectales plus à l’ouest
(AllierSE. SaôneLS. Loire), v. ALLy 209*. – Pour la formation collective, cf. Adams
156 ; Ronjat 3, 387 ; Bald 166 sqq.
b Même observation chez un témoin de Vurpas enq. (Beaujolais), au sentiment duquel le
mot n’est pas d’origine patoise : on disait autrefois tinailler.
c Rob 1985 cite un exemple de Louise Michel, mais le passage a trait à l’Auvergne.
◇◇ bibliographie. FEW 2, 1550ab, cupa ; DauzatVinz 1915, § 4786 (dans la métalangue) ; GononVigneForez 1976, 144 ; Vurpas
TraLiLi 15, 133 ; Vurpas enq. ; ChambonMatAuv 1994, 28-29 ; BouillerRoanne 1998, 27 ;
ChambonÉtudes 1999, 43.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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