empéguer v. tr.
1. 〈Rhône, Loire, Isère, Drôme, Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Aude, Lozère, Ardèche,
Haute-Loire (Velay)〉 fam. ou pop.
1.1. [Le sujet désigne une matière gluante, poisseuse] "couvrir, salir". Le sirop a empégué tout le carrelage de la cuisine (MédélicePrivas 1981).
1. J’ai trouvé la CX [une automobile] garée sous le mûrier. […] les mûres vont l’empéguer. (Cl. Courchay, Quelque part, tout près du cœur de l’amour, 1987 [1985], 229.)
— Au part. passé/adj. empégué (de). La petite a les mains empéguées de confiture (MédélicePrivas 1981).
2. […] rien que pour se laisser éplucher, la pêche demande une agilité de doigts que
je n’ai jamais eue, même avant mes premières crises de rhumatismes. Je sortis de cette
épreuve les mains empéguées mais intactes. (Y. Audouard, Lettres de mon pigeonnier, 1991, 189.)
3. […] un semi-remorque d’un autre siècle empégué d’une affiche pour un spectacle de cascadeurs […]. (Ph. Carrese, Tue-les, à chaque fois, 1999, 31.)
1.2. Emploi pron. réfl. s’empéguer (à/avec/de qqc.) "se couvrir, se salir d’une matière gluante". Je peux pas coller un bout de chatterton sans m’empéguer avec (DucMure 1990). J’avais pas vu que la peinture était fraîche, je me suis empégué (GermiChampsaur 1996). On s’empègue avec cette résine (FréchetDrôme 1997).
4. D’un coup de menton, Gaston montra le sang qui maculait sa chemise.
– Attention à ton costume, tu vas t’en empèguer [sic] partout […]. Il se recula et contempla, désolé, le revers sanglant de la veste de son ami. – Tu vois, c’est ce que j’avais dit : tu t’en es empègué partout. (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 84.) — Avec un obj. second désignant la partie du corps atteinte. Je me suis tout empégué les doigts, en renversant ce pot de colle (TuaillonVourey 1983).
5. On accrochait aussi des rouleaux tue-mouches, assez hauts pour que personne ne s’y empéguât les cheveux. (J. Anglade, La Soupe à la fourchette, 1996 [1994], 125.)
— Au fig. 〈Isère (La Mure), Provence, Ardèche, Haute-Loire (Velay)〉 s’empéguer (dans qqc.) "s’engager dans une situation embarrassante, difficile, douteuse". Stand. s’empêtrer. – Il est allé s’empéguer dans je ne sais pas quelle histoire avec cette bonne femme (DucMure 1990). Tu t’es empégué dans une sale affaire (MoreuxRToulouse 2000).
● Dans un tour à valeur passive. N’écoute pas ce qu’elle raconte, tu vas encore te faire empéguer (MédélicePrivas 1981).
● Au part. passé/adj. "embarrassé, empêtré". Le pauvre, il est empégué dans une sale affaire (BouvierMars 1986).
2. Par anal. 〈Provence, Gard, Hérault, Lozère〉 fam. ou pop..
2.1. "atteindre (lors d’une poursuite, d’une chasse)". Stand. fam. attraper. – D’un coup de fronde, le petit a empégué un merle (LangloisSète 1991).
2.2. En part. [Le sujet désigne une autorité] "réprimander ; arrêter, prendre". Stand. fam. attraper, épingler, piquer, pop. poisser. Synon. région. crocher*. – Mèfi*, si les gendarmes t’empèguent (MazodierAlès 1996). Si le garde t’empègue… (P. Magnan, Le Parme convient à Laviolette, 2000, 200).
6. […] c’est la fin du mois, les gendarmes ont besoin de faire quelques procès-verbaux.
Ils « n’empègueraient » pas le pasteur, bien sûr – c’est pas des choses qui se font – mais mieux vaut ne
pas se donner l’air de profiter. (M. Donadille, Pasteur en Cévennes, 1989, 8.)
— Dans un tour à valeur passive. Se faire empéguer par les flics (CovèsSète 1995).
7. Miquèu : On aurait dû attendre le plein de la nuit !
Le Père Mayen : Ne pas prendre de lampe surtout ! Vous ne vous seriez pas fait empéguer ! Miquèu : Sans les chiens, ils ne m’auraient pas rattrapé ! (Cl. Frédéric, On piègera la sauvagine, 1984, 5.) 8. La départementale passe au mitan du bled. Ils ont posé un panneau, limitation à 45
km/h. Cause toujours, les voitures déboulent à 80, bon poids, en plein virage, visibilité
nulle. […]
– Alors, arrange-toi avec les flics. Ils s’embusquent, ils verbalisent, ça refroidira les Fangios. – Pas bête. On peut toujours essayer. Donc, Tinche, le maire, alerte la police, et qui c’est qui se fait empéguer d’entrée ? Yvon. (Cl. Courchay, Quelqu’un, dans la vallée…, 1998 [1997], 266-267.) 3. Au fig. 〈Hautes-Alpes, Provence, Gard, Hérault, Aude, Ariège, Lozère〉 "rendre ivre". Stand. enivrer, fam. soûler.
9. Ce vin des Costières, même mauvais, il finit par « empéguer » [en note : rendre saoul]. (J. Durand, André Bouix, gardian de Camargue, 1980, 18.)
— Emploi pron. réfl. "devenir ivre". Stand. s’enivrer, fam. se soûler. Synon. région. se mâchurer*. – Samedi soir, ils ont fait la tournée des bistrots, ils se sont empégués (GermiLucciGap 1985).
10. Avec des bious [= taureaux], de la musique, de la saucisse pour les déjeuners au pré et un peu de
monnaie pour boire et « s’empéguer », la fête mettait le village en transe. (J. Durand, André Bouix, gardian de Camargue, 1980, 89.)
11. Quand on rit ensemble, il n’y a ni pauvres ni cocus. Quand on se raconte des histoires
on ne leur demande pas d’être vraies. Tout ce qu’on veut c’est qu’elles soient bien
racontées. On ne vient pas ici [au café] pour revendiquer ou pour étaler ses misères.
On ne vient pas non plus pour s’empéguer. On boit juste ce qu’il faut pour se délier la langue et décoller un peu de la réalité.
Pour l’embellir ou[,] du moins, pour la rendre supportable. (Y. Audouard, La Clémence d’Auguste, 1986 [1985], 128.)
12. – Eh ! Roger, remets-nous ça !
– Non merci, pas pour moi, dit Geneviève, mais toi, comme tu y vas ! – Bof ! Pour m’empéguer il m’en faut plus que ça ! (P. Sogno, Le Serre aux truffes, 1997 [1993], 124.) 13. « […] y avait à bouffer, on pouvait “s’empéguer”, […] c’était le top […]. » (Témoignage dans N. Roumestan, Les Supporters de football, 1998, 102.)
— Au part. passé/adj. 〈Aussi Puy-de-Dôme (Thiers).〉 Synon. région. mâchuré*. – Il est empégué du matin au soir (P.-J. Vuillemin, Les Contes du pastis, 1988, 103).
14. À l’avant, le chauffeur et le brancardier, réveillés, se sont remis à picoler et,
empégués à mort, hurlent de l’opéra. (A. Bastiani, Le Grand Embouteillage, 1974, 161.)
15. […] mon mari rentrait du marché à moitié empégué, il mangeait même pas pour aller piquer un roupillon. (G. Ginoux, Dernier labour au Mas des Pialons, 1994, 125.)
16. – […] L’autre soir, au moment de fermer les volets, j’ai vu dans le ciel une grande
lueur jaune. J’ai regardé, pardi. Elle a stationné un moment, juste au-dessus de l’église.
Je voyais pas bien de quoi il pouvait d’agir. D’un coup, elle a filé en laissant une
traînée blanche. Qu’est-ce que vous en dites ?
– Que tu étais empégué […]. (Cl. Courchay, Quelqu’un, dans la vallée…, 1998 [1997], 34-35.) 17. Mais le pinard et le pastis mélangés, ça fait vite effet […]. Marcel […] trop empégué, […] est pris de vertige et se retrouve le cul par terre. (M. Albertini, Les Merdicoles, 1998, 148.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
18. Puis j’ai appelé Louise et à nous deux on s’est enfilé la bouteille. Nous étions complètement
« empéguées » (ivres) […]. (P. Brun, Raimu mon père, 1980, 131.)
□ En emploi métalinguistique. Voir s.v. péguer, ex. 5.
4. Au part. passé adj. Souvent comme terme d’adresse "idiot, imbécile". Stand. fam. crétin, pop. connard, enfoiré, vulg. enculé.
19. Charif conduisait comme un dingue […]. Il faillit rentrer dans une voiture qui descendait
tous feux éteints.
– Empégué ! Connard ! Va niquer ta mère ! hurla-t-il. (Fr. Thomazeau, Qui a tué Monsieur Cul ?, 1998 [1997], 62.) ■ variantes.
1. 〈Ardèche (Annonay), Haute-Loire (Velay)〉 s’empeguer (FréchetMartVelay 1993 ; FréchetAnnonay 1995). Au fig., dans un tour à valeur passive.
Tu t’es laissé empeguer par ce beau parleur (FréchetMartVelay 1993).
2. 〈Allier (sud-est), Haute-Loire (Velay), Puy-de-Dôme〉 empejer « Le sapin, quand tu le coupes, ça empèje les mains » (PotteAuvThiers 1993). Au part. passé/adj. empegé "englué, dans le pétrin" (BonnaudAuv 1976). – BonninLangy 1981 ; QuestThiers 1987.
◆◆ commentaire. Ce type lexical, attesté dans le sud de la France – aocc. empegar "poisser, coller" (dep. 1481 "oindre de poix", Pans) et pr. s’empega "s’enivrer" (Mistral), de très faible expansion vers le nord au plan dialectal –, en Isère, Provence, Languedoc, Cantal, Sud-Ouest (FEW), a été emprunté, par le français
de Carcassonne aux 16e-17e siècles, dans son sens strict (enpégué "enduit de poix" CaylaLanguedoc) et par le français de Provence dep. 1908 (« Je crois vraiment que la bravade, aidée de la course espagnole, aidée de l’aïguarden
de Saulnier, m’ont un peu empégué… Je me raconte, étant couché, des histoires à dormir
debout » J. Aicard, L’Illustre Maurin, Paris, 317). Il s’est diffusé vers le nord dans des départements où il ne peut être
endogène : Rhône, Loire, Isère, Hautes-Alpes, Haute-Loire (Velay) et presque toute
l’Ardèche. Malgré un usage largement établi dans le quart sud-est de la France, on
n’en trouve aucun exemple dans Frantext et empéguer n’est pas enregistré par la lexicographie générale.
◇◇ bibliographie. JoblotNîmes 1924 empêgué ; BrunMars 1931 ; Mitterand FrMod 22, 219 empéguer "gratifier d’une punition ; prendre en faute", empégué "enivré" (E.O.R. Sète 1951-1952) ; GrimaudBoules 1968 ; KnoppSchülArg 1979, 127 se faire empéguer "avoir une retenue" (Avignon) ; MédélicePrivas 1981 « très familier » ; TuaillonRézRégion 1983 (Privas, Provence) ; TuaillonVourey 1983 « usuel » ; GermiLucciGap 1985 « expressif usuel » ; BouvierMars 1986 ; MartelProv 1988 ; MazzellaPiedNoir 1989 empégué "collé" ; DucMure 1990 « tout à fait usuel » ; BlanchetProv 1991 ; LangloisSète 1991 ; CouCévennes 1992 ; ArmanetBRhône 1993 ;
FréchetMartVelay 1993 « globalement connu » ; PotteAuvThiers 1993 empégué "ivre" ; CovèsSète 1995 ; LaloyIsère 1995 ; GermiChampsaur 1996 ; MazodierAlès 1996 ; FréchetDrôme
1997 « usuel » ; ArmKasMars 1998 ; MartelBoules 1998 « très répandu dans de multiples contextes, dont celui des boules, dans toute la Provence » ; RoubaudMars 1998, 53 ; BouisMars 1999 « très utilisé » ; MoreuxRToulouse 2000 « paraît surtout utilisé par les jeunes » ; FEW 8, 426a, picare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance (1) : Alpes-Maritimes, Ardèche, Aude, Bouches-du-Rhône, Drôme, Gard, Hérault, Haute-Loire,
Lozère, 100 % ; Var, 80 % ; Hautes-Alpes, 75 % ; Rhône, 65 % ; Alpes-de-Haute-Provence,
Vaucluse, 50 % ; Loire, 40 % ; Isère, 20 % ; Ain, 0 %.
|