envoyer v. tr.
〈Basse Bretagne〉 usuel "conduire, mener qqn ; porter, apporter, emporter, transporter qqc. ; envoyer, expédier
qqc.". Synon. région. porter* (sens I). – Jean a envoyé son petit frère à l’école (LeBerreLeDûBret 1985, 18). Il a envoyé sa mère à la messe (GallenBÎle 1997, 8).
1. La Noël nous donnait aussi l’occasion de raconter des histoires de famille. Mon père
nous rapportait celles de ses aïeux : la nuit de Noël, prétendaient-ils, les chevaux
se parlent de l’un à l’autre. Mais pour savoir ce qu’ils se disent, il faudrait rester
non loin de leur crèche* à l’heure de la messe de minuit. Mon père raconta qu’un fermier voulut ainsi entendre
parler ses chevaux. Il n’alla point à la messe et se dissimula dans l’ombre d’une
crèche. L’homme entendit alors distinctement une jument demander à sa voisine ce qu’elle
comptait faire le lendemain. « Demain, répondit l’autre jument, j’ai l’intention d’envoyer mon maître au cimetière. » / Epouvanté, le paysan fut saisi d’un coup de sang, ce qu’on appelle aujourd’hui
une crise cardiaque. Quand les membres de sa famille revinrent de la messe, ils durent
le chercher partout et le retrouvèrent mort dans la crèche. On l’enterra le lendemain.
La jument avait envoyé son maître au cimetière ! (J. Ropars, Au Pays d’Yvonne, 1993 [1991], 84.)
2. – Oui, mais je vous connais tous les deux ! A Paris, après la réunion, je sais très
bien que vous irez bordèler là-bas. À Pigalle, hein ? Vous avez intérêt à envoyer des protections avec vous ! (L. Poënot, Ch. Kerivel, Douarn’ Stories, 2000, 30.)
□ En emploi métalinguistique.
3. Kas ne doit pas se traduire uniformément par envoyer, comme on le fait souvent en Bretagne, mais par différents verbes suivant les cas :
[…] quand il s’agit de gens ou d’animaux, par : conduire, mener (avec gand : emmener) […] s’il s’agit d’objets inanimés, par porter, ou transporter (avec gand : emporter) […] quand il signifie : adresser à un destinataire éloigné, par envoyer ou expédier […]. (J. Gros, Le Trésor du breton parlé (Eléments de stylistique trégorroise). Deuxième partie,
Dictionnaire breton-français des expressions figurées, 1970, 241.)
4. Par ailleurs, personne ne nous fera comprendre avant longtemps pourquoi des phrases
comme celles-ci ne sont pas correctes : du café il y aura* chez moi demain – j’ai envoyé des pommes avec* moi […]. (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 208.)
5. Il n’est pas rare d’entendre tel de nos étudiants brestois déclarer : « je n’ai pas envoyé mon livre avec moi » pour dire : « je n’ai pas apporté mon livre » sans que ses camarades s’en émeuvent outre mesure. (Y. Le Berre et J. Le Dû, Anthologie des expressions de basse Bretagne, 1985, 10.)
6. Je vais t’envoyer à la maison […] signifie « Je vais te conduire chez toi ». (Y. Le Berre et J. Le Dû, Anthologie des expressions de Basse Bretagne, 1985, 165-166.)
7. […] on entendra aussi bien Il a envoyé sa mère à la gare que Elle a amené son frère à la gare. Ces tournures sont probablement, après l’usage curieux de la préposition avec*, ce qui frappe le plus les nouveaux venus en basse Bretagne. (Y. Le Berre et J. Le
Dû, Anthologie des expressions de Basse Bretagne, 1985, 170.)
■ remarques. « En breton, il n’existe que deux verbes pour couvrir l’ensemble du champ sémantique
constitué en français par conduire, emmener, mener, amener, porter, apporter, envoyer, expédier, etc. […] La plus grande confusion règne dans le français de basse Bretagne dans ce
domaine : tous les mots français sont implicitement considérés comme synonymes, et
on ne garde même plus l’opposition entre mouvement de rapprochement ou d’éloignement
par rapport à celui qui parle. Le verbe qui jouit de la plus grande faveur est envoyer » (LeBerreLeDûBret 1985, 169).
◆◆ commentaire. Ce calque de breton kas (ou de son dérivé digas) est attesté en français de Bretagne dep. 1819 (« envoyer […] on emploie encore ce verbe par abus pour “amener, apporter, & c.”. Venez nous voir à la campagne, envoyez votre fils avec vous et qu’il n’oublie pas
d’envoyer avec lui son cerf-volant » Le Gonidec) ; 1910 à Quimper (« envoyer : apporter […]. D’une façon générale, on peut dire que ce verbe est généralement
employé pour apporter, emporter, emmener, conduire, expédier » Kervarec 616, qui donne comme exemples : j’ai envoyé mon livre avec moi ; envoyer le cheval à l’écurie). Il est absent des dictionnaires généraux contemporains.
◇◇ bibliographie. LeGonidecBret 1819 ; BullFinistère 1897, 432, je n’ai pas envoyé mon livre avec moi ; KervarecQuimper 1910, repris dans FEW ; C. Pitolet, Le Mercure de France, 1er janvier 1924, 286 (v. HLF 1914-1945, 695, n. 50) ; EsnaultMétaph 1925 « Envoyer la chandelle est synonyme d’Approchez la bougie dès l’instant qu’on est entre Brestois » ; BuléonBBret 1927 envoie du beurre avec toi, envoie les bestiaux à la prairie ; Mitterand FrMod 22, 219 envoyer "emporter" (1951-1952) ; LeBerreLeDûBret 1985 ; GallenBÎle 1997, 8, 9, 10 ; FEW 4, 796b, inviare.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Finistère, Morbihan, 100 % ; Côtes-d’Armor, 65 %.
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