crèche n. f.
〈Haute Bretagne (peu fréquent), Basse Bretagne (usuel)〉 rural
1. "bâtiment ou abri pour le logement des animaux domestiques".
1. Moi je vais vous soigner, pour deux cents écus chacune. – Les mène dans une crèche et leur fait subir sa volonté. Il les laisse dans la crèche, les pieds entravés. Elles crient. (Les Contes de Luzel, t. 3, 1996, 339.)
2. Nous pourrons donc nous introduire facilement et subtiliser l’oiseau d’or que l’on
a mis dans une crèche, à droite dans la cour. (A. Jacq, Légendes de Bretagne, 1996, 119.)
3. Jean-Marie Cadiou, qui avait connu le confort citadin, avait aménagé une salle de
bains rustique à Koz Kastell. Dans une petite pièce, une ancienne crèche communiquant avec l’habitation, il avait fait installer un énorme baquet de bois
et un brasero. (C. Vlérick, Le Brodeur de Pont-l’Abbé, 2000 [1999], 230.)
— Au pl. "ensemble des bâtiments d’une ferme pour le logement des animaux domestiques". Quand elle nettoyait les crèches, je faisais mon possible pour l’aider (J. Ropars, Au Pays d’Yvonne, 1993 [1991], 49).
4. Or, nous savons déjà, pour être allés chez eux [les maîtres des fermes], qu’ils vivent
à peu près comme nous, sauf qu’ils ont des hectares de terre autour d’eux, des troupeaux
de vaches, des cochons plein leurs crèches, de la volaille en basse-cour et de l’argent chez le notaire, ce personnage mystérieux
dont nous ne savons rien sinon qu’il garde les papiers et garantit les gros sous.
(P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 331.)
5. Le père disait qu’il ne convenait pas de consacrer toute la touffe de buis [des Rameaux]
à la seule maison. Une partie du bouquet revenait aux champs, une autre aux crèches, placée à un endroit où les animaux ne pouvaient l’atteindre. (J. Ropars, Au Pays d’Yvonne, 1993 [1991], 61.)
6. La femme mourut, peu de temps après, et on la voyait toutes les nuits autour de la
maison et des crêches [sic], un fouet de feu autour du cou, et elle criait :
– Enlevez-moi ce fouet ! (Les Contes de Luzel, 1996, t. 3, 389.) 2. Par restr.
— "bâtiment pour le logement des bovins". Stand. étable. Synon. région. écurie*.
7. Moi, j’attends mon grand-père qui s’attarde toujours trop avec sa vache, dans sa crèche. (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 79.)
8. La crèche, l’écurie, le hangar, la charretterie étaient aussi des ateliers. (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 307.)
9. Ils contournèrent le champ et allèrent dans la petite étable, la crèche à veaux, dont Marcel se servait, avant la retraite, quand les vaches étaient nombreuses,
pleines, profondes, gonflées. / […] je les ai vus entrer dans la crèche vide, le sol encore couvert de bouse séchée […]. (J.-B. Pouy, Larchmütz 5632, 1999, 193-194.)
— "bâtiment pour le logement des moutons". Stand. bergerie.
10. Le renard a été avec le loup près d’une crèche où il y avait des moutons. Le renard a crié :
– Le loup est avec les brebis. On a crié, des gens sont accourus. Le renard a pu se sauver de la crèche, mais le loup n’a pas pu : c’est lui qui a été battu. (G. Massignon, Récits et Contes populaires de Bretagne, 1981 [1953], 55.) — "bâtiment pour le logement des chevaux". Stand. écurie.
11. Quand le cheval a senti cela sur lui, il a cru avoir un cent de blé sur son dos !
il a trotté jusqu’au moulin, en faisant hen han…
Et le meunier a crié à son commis : – Lève-toi donc ! et mène-le à sa crèche. J’entends qu’il est arrivé au portail. (G. Massignon, Récits et Contes populaires de Bretagne, 1981 [1954], 148.) 12. Dans la cour il alluma une petite lanterne et s’avança vers les écuries. Dès qu’il
en ouvrit la porte, le maigre pinceau de son lumignon accrocha l’argent de la bride
et l’or de la selle suspendues près du cheval le plus rapide du monde et illuminèrent
la crèche. (A. Jacq, Légendes de Bretagne, 1996, 120.)
V. encore s.v. envoyer, ex. 1.
— Souvent dans le syntagme crèche à cochon(s) "bâtiment pour le logement des porcs". Stand. porcherie. Synon. région. écurie* des cochons.
13. Il n’est plus possible de gagner sa vie avec le travail de la bêche ou de la houe.
Mes parents ont vidé une dernière fois la crèche à cochons, ils ont vendu la vache, remis à leurs propriétaires les deux champs et le bout de
prairie, ma mère est devenue ouvrière à l’usine de conserves d’Anatole Guichaoua.
(P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 497.)
14. – […] Elle et moi, nous avons assez d’argent pour agrandir la maison, ajouter une
crèche pour deux cochons. (P.-J. Hélias, L’Herbe d’or, 1982, 164.)
15. Même les personnes les plus pauvres avaient une crèche à cochon au bout du penty* et tuaient un cochon par an. (Fr. Buisson, « Le kig ha farz », dans J. Csergo, Pot-au-feu, 1999, 112.)
— Souvent dans le syntagme crèche à lapins "cage pour le logement des lapins". Stand. clapier. Synon. région. écurie* à/des lapins.
16. Après avoir joué chez lui aux dominos avec sa bande, il amena ses amis voir ses crèches à lapins. Il y avait là une importante quantité d’animaux prêts à la vente. […] Le samedi matin,
il se dirigea vers ses crèches. En ouvrant les portes, il eut la surprise de constater qu’il ne restait plus un seul
lapin. (J. Ropars, Au Pays d’Yvonne, 1993 [1991], 157.)
◆◆ commentaire. Emploi spécifique du français crèche, attesté dans le français de Bretagne dep. 1829 (« Une ferme de cette nature est composée d’une maison d’habitation dont les dépendances
sont ordinairement : trois crèches, l’une pour les vaches, l’autre pour les jeunes
bestiaux à élever, et enfin une autre pour les animaux destinés au labourage […] » L. Martret-Préville, Observations sur l’état des habitations rurales dans le département du Finistère […], dans Fr. Pacqueteau, Architecture et Vie traditionnelle en Bretagne, 1979, 37), utilisé dans la métalangue de Troude 1876 (s.v. kraou) et noté, avant la période considérée, dans diverses applications, aux sens de "étable" (1897, A. Le Braz, Magies de la Bretagne, éd. Lacassin, t. 1, 1994, 593), "porcherie" (1897, ibid., 673), "écurie" (1922, ibid., 167), "écurie d’un âne" (1897, ibid. 455, 457), ou dans des comparaisons (1897, ibid. 480, 565) et des métaphores à partir du sens de "logement pour les animaux" (« c’est pas une chambre, c’est une crèche » ; « nos bureaux sont de véritables crèches » Basse Bretagne 1880-1922, EsnaultMétaph 1925, 203). On en a signalé deux équivalents
dialectaux en domaine galloroman, dans les Vosges (Raon [krɔʃ] "logement pour les animaux domestiques" Horning 107, cf. FEW 16, 391a, *krippia) et en Gironde ([krɛiʃə] "étable" ALF 451 pt 653 ; [ˈkreʃœ] "id." ALG 402 pt 635NO, où ce sont des emprunts au français). Ces trois localisations sont
évidemment indépendantes les unes des autres. Les deux dernières pourraient représenter
des sens métonymiques à partir de fr. crèche "mangeoire pour les bestiaux installée le long du mur de l’étable, de l’écurie ou de
la bergerie", qui est connu dans les deux zones (cf. ALLR 442 ; ALG 1174), mais qui ne paraît
pas avoir été très diffusé dans le français de Basse Bretagne. D’autre part les exemples
assurés de métonymies tels que Canada crèche "mangeoire du cheval ; stalle du cheval" (ALEC 385), qui s’expliquent par le fait que le cheval a soit sa propre mangeoire
soit sa place attitrée devant la crèche à l’intérieur de l’écurie, ne vont pas jusqu’à
dénommer le bâtiment entier.
Les sens secondaires de fr. crèche attestés en français ("berceau", "lieu d’accueil pour les jeunes enfants") ou en argot ("couche garnie d’une paillasse", "gîte misérable", "chambre de caserne", "maison", v. EsnaultArg 1965) ou dialectalement (bmanc. [krœʃ] "mauvais lit" FEW 16, 391a) prennent leur point de départ dans l’emploi de la langue religieuse "mangeoire pour animaux dans laquelle, selon l’Évangile, fut déposé l’enfant Jésus
après sa naissance" (dep. 1223, TLF). Il est vraisemblable que le sens de "logement pour les animaux" a, dans les trois zones où il a été relevé, une source comparable dans fr. crèche "représentation de l’étable de la Nativité" (dep. 1803, TLF). En Bretagne la polyvalence de bret. kraou n. m. "étable ; écurie ; bergerie ; poulailler ; crèche aux cochons" (Troude 1876) aura facilité l’extension sémantique à tous les bâtiments pour le logement
des animaux domestiques.
◇◇ bibliographie. RLiR 42 (1978), 167 ; BlanWalHBret 1999 « peu fréquent, rural, partout ».
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (tous emplois confondus) Finistère, 100 % ; Côtes-d’Armor,
65 % ; Morbihan, 60 %.
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