fâcher v. tr.
〈Indre, Cher, Nièvre, Allier, Saône-et-Loire, Haute-Loire (nord-ouest), Cantal, Puy-de-Dôme,
Limousin, Dordogne (nord)〉 fam. "adresser des réprimandes à (le sujet désigne un parent, un instituteur, un maître ;
le compl. d’obj. un enfant, un familier, un animal domestique)". Stand. gronder. Synon. région. calciner*, crier*. – Sa mère l’a fâché ; la maîtresse m’a fâché.
1. Mademoiselle Emilie […] me l’a volé [un vase]. Je l’ai dit à M. le Curé. Il a fâché en confession Mademoiselle Emilie. (G. de Lanauve, Anaïs Monribot, 1995 [1951], 167.)
2. Lorsqu’elle [une fillette] devient vraiment crispante, il m’arrive de la réprimander.
Alors, elle va vers sa mère.
– Papa […] m’a fâchée. (D. Bayon, Le Miroir aux alouettes, 1984, 136.) 3. – Mais non, mais non, il vous fâchera pas, fit Eric en ouvrant la porte, bien qu’en pensée il imaginât déjà Monsieur Estoubetz,
juge suprême, infliger de lourdes punitions aux deux enfants. (G. Georges, Un pays pour grandir, 1991, 33.)
4. Maria : Au fait Augustine… Promettez-moi de ne pas le fâcher ! […] il est jeune et il faut qu’il s’amuse ! (J.-P. Brûlé, Le Petit Piare, 1993, 29-30.)
5. Il n’a pas bougé de place. Il attend. C’est un vagabond et il le sait. Il a tout à
attendre des autres, la charité, l’indulgence, la mansuétude […].
– […] je voudrais entrer à l’auberge, prendre un café ; ne dites pas que je viens de la bergerie, on me fâcherait. (Panazô, Le Traînard, 1994, 17.) 6. – Tu vois, Léonard, ces deux bœufs valent de l’or ! Ils t’obéiront très bien, si tu
sais les prendre par la douceur. Surtout, ne les fâche jamais ! Encourage-les, flatte-les, caresse-les aux joues… Regarde-les, ils te comprendront !
(P. Louty, Léonard, le dernier coupeur de ronces, 1995, 81.)
7. – Ah ! Il [un petit chien] est mignon ! Mais j’ai beau le fâcher, il court après les voitures ! (60 ans, Orcet, Puy-de-Dôme, novembre 1996.)
8. Les remontrances faites par la famille sont les plus efficaces car on fait plus attention
quand c’est quelqu’un de notre famille qui nous fâche plutôt que quand c’est un inconnu. (Copie de lycéen, 16 ans, Clermont-Ferrand, novembre
1996.)
9. Guillaume trembla de peur et se recouvrit de son drap. Il revit la femme de son père
et pensa qu’elle avait le cri de la chouette quand elle le fâchait : « Je te déteste, dit-il, tu es aussi laide que ce lugubre oiseau. » (L. Boulesteix, Le Partage de l’épi, 1997, 12.)
10. Bien sûr, je les comprenais, ils n’étaient pas contents et ils m’ont fâché car il fallait payer les skis. Je leur ai dit que je payerais la moitié de la somme.
(Copie de collégien, 12 ans, Tulle, Corrèze, septembre 1997.)
11. – Vous devez les prendre [médicaments prescrits] ! Je vous soigne comme ma mère !
Elle fait pareil, et je la fâche ! (Médecin traitant, env. 55 ans, Vichy, 10 mars 1997 ; discours rapporté par la
patiente, 83 ans, Vichy 16 mars 1997.)
12. Lorsque, absorbée par mes jeux, j’oubliais de revenir avec mon troupeau à la maison,
pépé Jean allait au-devant de moi pour me protéger et éviter que l’on me fâche. (É. Méallet, Les Quatre Chemins, 1998, 25.)
13. Noëlie fut très surprise que sa fille revînt directement de Saint-Avit chez elle à
une heure où elle aurait dû être à son service […].
– Les demoiselles t’ont « fâchée », lui demanda-t-elle, alarmée ? Pour faire cette tête-là, tu as bien fait quelque bêtise ? (H. Noullet, La Destalounade, 1998, 212-213.) 14. – Mince alors !… Comme vous êtes pessimiste ! Non ! Je ne crois pas qu’il faille dire
cela… Au contraire… Maman parle comme vous aussi, je la fâche un peu car je n’aime pas entendre ces mots tristes […]. (P. Louty, Le Secret de Catherine, 1999, 540.)
15. – Caramel, viens ! On veut* pas te fâcher. (Enfant de 5-6 ans à un chien, Clermont-Ferrand, quartier central, 5 juillet 2000,
13 h 45.)
16. Comme « les grands », nous jouons à la guerre : c’est notre jeu favori ! […] Souvent des vieux nous fâchent, d’autres au contraire nous encouragent […]. (L. Saugues, Mon enfance sous les bombes. Clermont-Ferrand 1939-1944, Clermont-Ferrand, 2000, 248.)
■ remarques. Fâcher un adulte est inusité, sauf entre proches avec une connotation affective ou dans
une relation de dépendance (v. ci-dessus ex. 1, 5, 9, 11, 14).
— se faire fâcher loc. verb. "se faire réprimander, recevoir une semonce". Ne fais pas ça, tu vas te faire fâcher (SabourinAubusson 1983).
17. – Pendant que je tirais la porte, j’ai vu la voiture partir dans la pente. J’ai couru.
Mais je n’ai pas pu la retenir. […] Qu’est-ce que je vais leur dire, au garage ? Et
mon mari ! Je vais me faire fâcher. (J. Ferrieux, Contes et Récits bourbonnais, 1991 [av. 1980], 109.)
18. – On va se faire fâcher par papa, sanglotait-elle, tandis que son frère Pierre, pas plus rassuré, baissait
la tête lamentablement. (G. Georges, Un pays pour grandir, 1991, 33.)
19. – Maria : Que t’arrive-il mon petit Jean ?
– Jean : Je viens de m’amuser avec le gros chien blanc et il m’a déchiré mon gilet ! – Maria : Et tu t’es fait fâcher par Augustine ? – Jean : Non, pas encore, je n’ai pas osé le lui dire, elle va me tirer les oreilles ! (J.-P. Brûlé, Le Petit Piare, 1993, 29.) 20. Quand j’ai vu tout par terre et plein de gens autour de moi, je me suis mise à pleurer
si fort que ma mère et ma sœur sont arrivées… Et là, j’ai pleuré encore plus fort,
rien qu’en pensant comment je me ferai fâcher… Et ça arriva ! (Copie de collégienne, 11 ans, Tulle, Corrèze, septembre 1997.)
21. Mais dans certaines familles, les enfants sont obligés d’aider leurs parents dans
le travail. […] S’ils n’ont pas de bons résultats scolaires ils se font fâcher, s’ils n’aident pas leurs parents, ils se font aussi fâcher. Et c’est pour ça que certains enfants s’en vont de chez [eux] très jeunes […]. (Copie
de lycéen, 17 ans, Clermont-Ferrand, mai 1998.)
◆◆ commentaire. Ce particularisme sémantique et syntaxique n’est pas enregistré par la lexicographie
générale du français (Ø Ac ; Ø Littré ; Ø Lar ; Ø TLF ; Ø Rob 1955-1985). Les données
de la lexicographie régionale sont rares (ChambureMorvan 1878 ; FertiaultVerdChal
1896 ; BonnaudAuv 1976 ; SabourinAubusson 1983 et 1998 ; LagardeCérilly 1984), et
il faut chercher des témoins dans les définitions de dictionnaires patois-français
(fâcher "réprimander" appartient à la métalangue de DhéraldeLim 1885 s.v. croussá ; PommerolLimagne 1897 s.v. corsé ; ChoussyBourbonn 1914 s.v. bourer ; GagnonBourbonn 1972 s.v. astiquer ; JaffeuxMoissat 1987 s.v. pelè) ou français-patois (fâcher v. tr. est à la nomenclature de BoninBourbonn 1984) ; c’est d’ailleurs dans la métalangue
de ConnyBourbR 1852 s.v. bourer, que l’on trouve la plus ancienne attestation de ce sens. Contrastant avec une relative
pauvreté documentaire, les enquêtes DRF 1994-96, en Auvergne, Marche et Limousin,
témoignent d’un usage très vivant. L’aire compacte qui se dessine est à cheval sur
les domaines d’oc et oïl. L’emploi courant, et l’absence de marquage dans la lexicographie,
signalent une variable appartenant à la norme régionale, et dont l’emploi, sauf dans
de rares cas, est tout à fait inconscient.
Le type ⌈ fâcher ⌉, avec ou sans le particularisme sémantique, est attesté dans tous les parlers galloromans
(à l’exception d’aires périphériques : Ø pic., Ø wallon), mais les formes occitanes
fachá, fachar, se dénoncent comme des emprunts au français (v. occit. fastigar). Comme les parlers méridionaux (à l’exception de la frange nord) ne paraissent pas
connaître le sens de "réprimander" pour fachá (Ø Mistral ; Ø Honnorat 1848) et que l’aire d’emploi dialectal du particularisme
sémantique correspond grossièrement à l’aire d’emploi en français (fachá, fatsá "réprimander" jusqu’au nord-est du Cantal et à la Dordogne, fatchè, fèchè, en bordure du Forez (ALMC 1483 ; ALAL 957), on peut en déduire que le sens et la
forme sont l’un et l’autre empruntés au français régional. Le particularisme du centre
d’oïl a débordé sur l’Auvergne et le Limousin.
Les circonstances de la formation du particularisme, et du mot standard lui-même,
ne sont pas élucidées. On relève en 1536, à Genève, faicher "quereller"a ; comme les traces de l’introduction de fr. fâcher sont tardivesb, l’attestation genevoise (et accessoirement son particularisme sémantique) vient
conforter l’hypothèse de Brüch se fondant sur le texte de Martin Le Franc, qui vécut
en Savoie et fut chanoine de Genève, selon laquelle le terme serait d’origine savoyarde
et serait passé, de là, dans la langue généralec ; il est en tout cas notable que l’emploi genevois n’ait laissé aucune postérité
en Suisse romande. L’absence de continuité entre l’attestation genevoise et l’aire
d’emploi moderne de fâcher "réprimander", fait penser à une évolution récente du sémantisme régional (facilitée par des glissements
entre des sens proches et/ou des fusions de constructions fâcher qqn "causer un sentiment pénible" et se fâcher contre qqn "s’emporter contre qqn") et à l’indépendance des deux sources, alors qu’un raccordement des deux aires permettrait
d’envisager l’ancienneté du particularisme sémantique.
a Le lieutenant ha exposé que par pluseurs femmes il est faiché pour le commandement
[qui] a esté faict mettre dehors celles qui hont leurs marys dehors (J. Ahokas, Essai d’un glossaire genevois […], Helsinki, 1959 [XIII, 479, 1536] = GPSR).
b 1442 fachier "dégoûter, lasser, fatiguer" Martin Le Franc, Le Champion des Dames = R 37, 122 = TLF ; milieu 15e s. fachier "indisposer, irriter" MistVielTest 4, 34785 = GdfC = TLF.
c Cette explication n’est pas retenue par TLF, « les premières attestations étant disséminées dans tout le territoire ». Toutefois, cette assertion n’a pu être confirmée car les données recueillies sont
peu éclairantes : facha[nt] "odieux, contrariant" dans une ballade anonyme, non localisable, de la fin du 14e s. (Recueil de galanteries, éd. A. Vitale-Brovarone, Le Moyen français 6, 1980, 132) ; plus tardivement : facherie, André de la Vigne, Le Mystère de saint Martin, 1496 (éd. A. Duplat, Genève, 1979), dont les écrits contiennent des orientalismes
(base MF).
◇◇ bibliographie. FEW 3, 431a, fastidiare ; A. Thomas, R 37, 121-125 ; Gamillscheg, Z 41, 1921, 515 ; Brüch, ZFSL 52, 1929,
406-408 ; JouhandeauGuéret 1955, 166 ; Baldinger MélGardette 1966, 73 ; GPSR 7, 6 ;
TLF 8, 558b ; comm. pers. J.-P. Chambon.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Cantal, Corrèze, Creuse, Puy-de-Dôme, Haute-Vienne, 100 % ;
Haute-Loire (nord-ouest), 80 % ; Dordogne, 75 %.
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