fermer v. tr.
〈Allier, Saône-et-Loire, Doubs, Ain, Rhône, Isère (spor.), Provence, Gard, Hérault, Aude, Haute-Garonne (Toulouse), Ardèche, Haute-Loire, Cantal,
Puy-de-Dôme, Limousin, Dordogne, Pyrénées-Atlantiques (est), Landes, Gironde〉 usuel
1. [L’obj. désigne un animé, le plus souvent un animal]
1.1. rural "mettre en un lieu clos d’où il est impossible de sortir par soi-même". Stand. enfermer. – Va fermer les vaches (M. Peyramaure, L’Orange de Noël, 1996 [1982], 114).
1. – Le taureau s’est précipité sur une de mes génisses, raconte Mme Chabod […].
On arrivait à l’étable, les dernières bêtes rentraient lorsque Chabod, rapidement mis au courant par sa femme, lui cria : – Ferme-le ! Ferme-le ! / Et barrant la retraite au taurillon, il le poussa à l’intérieur avec son bâton […]. (P. Bonte, Histoires de mon village, 1985 [1982], 9-10 [La scène se passe près de Pontarlier, Doubs].) 2. On « ferme » les bœufs dans une étable voisine […]. (G. Laporte-Castède, Pain de seigle et vin de grives, 1989, 110.)
3. […] comme ce jour où elle eut douze ans et où le père la trouva endormie contre le
tronc d’un hêtre et la réveilla pour lui dire que les cochons étaient rentrés tout
seuls, qu’il les avait nourris et fermés, et qu’ils avaient maintenant le temps […]. (R. Millet, L’Amour des trois sœurs Piale, 1997, 56-57.)
V. encore s.v. panière, ex. 8.
— Souvent dans le syntagme fermer les poules "enfermer les poules dans le poulailler pour la nuit, afin de les soustraire au renard
ou aux maraudeurs". Ferme les poules (M.-A. Laurent, Lou Païs 216, 1976, 5). Tu as fermé les poules ? (G. J. Arnaud, Les Moulins à nuages, 1988, 266 ; H. Noullet, La Destalounade, 1998, 32). Fermer les poules à la nuit (R. Chabaud, Un si petit village, 1990, 115). Va fermer les poules, la nuit tombe (FréchetMartVelay 1993). File fermer les poules, puis tu mettras la table (Cl. Vincent, Fossoyeurs d’étoiles, 1999, 81).
4. – Où tu vas, Alain ?
– Chut ! Je crois que j’ai oublié de fermer les poules. Si le renard venait, il les mangerait toutes. (R. Sabatier, Les Enfants de l’été, 1986 [1978], 230.) 5. Lorsque je revins, Alice avait allumé la lampe à pétrole et la mère, qui revenait
de fermer les poules pour la nuit, remuait ses casseroles. (M. Peyramaure, L’Orange de Noël, 1996 [1982], 108.)
6. Alors que l’Oreste fermait les poules, un doux bruissement envahit le ciel ; fine poussière blanche dans le soir, la neige
s’était mise à tomber. (P. Arnoux, Les Loups de la Mal’Côte, 1991, 69.)
7. Les poules savent se mettre à couvert sous la futaie, mais les poulets[,] plus insouciants
du danger venu du ciel, s’éparpillent dans les prés et les champs. Il arrive qu’un
autour ou un milan, se sentant une petite faim, ne puisse pas résister à une proie
si facile à capturer. La Louise est parfois obligée de fermer les vagabonds pour sauver sa couvée ! (S. Lavisse-Serre, Les Locatiers de Beauvoir, 1998, 43.)
V. encore s.v. donner, ex. 12.
● Au part. passé.
8. – Tu n’entends pas les cochons de Noirac qui crient ? Ses poules fermées ? (G. Bordes, L’Angélus de minuit, 1997 [1989], 165.)
— moins usuel, à propos d’une personne.
● Au part. passé/adj.
9. Un joli matin de décembre qui donne envie d’être dehors. Pierre Garnouillet […] a
tout de suite eu l’idée d’aller faire le bois par ce beau temps. Le paysan n’aime
pas rester fermé. Il lui en coûte d’être dans la maison par mauvais temps. Dès qu’il peut, il attrape
le chemin des terres et se sauve. (L. Pralus, Mon Village, 1978, 75.)
1.2. Dans des loc. verb.
— fermer dedans "id.". Stand. enfermer.
10. C’est ainsi qu’un jour, la femme d’un vigneron n’était pas contente de voir tous ces
hommes dans la cave en train de chanter, de rire et… de boire. Elle se dit :
– Je vais les fermer dedans… (F. Lapraz, Beaujolaiseries, 1979, 110.) ● Au part. passé. Quelle honte ! elle est partie se promener en laissant ses enfants fermés dedans (PotteAuvThiers 1993).
— fermer dehors "empêcher de pénétrer dans un lieu clos, que l’on a fermé (à clé)"a. Ils ont fait exprès de me fermer dehors (FréchetMartAin 1998).
a Bien connue dans le fr. pop. de Clermont-Ferrand dans les années 1960 (témoignage
de J.-P. Chambon), la locution y connaît le plus souvent un usage distancié, voire
ce qui est sans doute le cas dans bien d’autres régions.
● Emploi pron. Elle a une serrure qui déconne, elle s’est fermée dehors à deux reprises (G. B., né à Lyon en 1935, 1er octobre 1999).
11. – Jean-Pierre ? C’est Michèle, je me suis fermée dehors.
– Je vous ouvre, je vous ouvre. (Clermont-Ferrand, 13 octobre 2000, 14 h 30 ; Michèle, env. 60 ans, secrétaire originaire de Clermont-Ferrand.) ● Dans un tour à sens passif.
12. […] la chatte s’est laissé « fermer dehors », […] elle gratte très fort et essaie de manœuvrer la poignée de la porte d’entrée
[…]. (Panazô, La Françoise, 1996, 174.)
● Souvent au part. passé. J’avais oublié ma clé, je suis resté fermé dehors (SabourinAubusson 1983). J’ai oublié de prendre mes clés et maintenant je me trouve fermé déhorsa (VurpasMichelBeauj 1992).
a Variante de dehors, relevée notamment dans le français du Rhône et de la Loire, ainsi que dans le français
du Québec.
□ En emploi métalinguistique.
13. Lorsque je me rendis pour la première fois à Lyon, M. Taupin m’avertit :
« Attention… la société lyonnaise est très fermée… Mais prenez patience, quand on vous connaîtra un peu, vous serez reçu partout ! » […] / […] L’essentiel, avec ces sociétés très fermées, c’est de commencer à entrer. Il ne faut pas, comme disent les Limousins qui ont oublié leur clef, rester fermé dehors. (P. Daninos, Les Carnets du Major Thompson, 1954, 98 et 101.) 14. […] si l’on a oublié sa clef pour ouvrir la porte[,] on dit : « Je suis fermé dehors ! » (F. Dupuy, L’Albine, 1978, 24, n. 1.)
15. Un détenu, qui était en permission, et qui revenait pénardement [sic] pour réintégrer sa cellule à la prison de Nice, s’est vu opposer un refus d’entrer,
poli, mais net, par les gardiens en piquet de grève […]. Fermé dehors comme on dit parfois chez nous. (Le Progrès de Lyon, 21 septembre 1992, cité dans ValMontceau 1997.)
● Par métaph.
16. Les volets avaient « fermé la nuit dehors » […]. (Th. Bresson, Le Vent feuillaret. Une enfance ardéchoise, 1980, 31.)
1.3. Emploi pron. se fermer (dans un lieu) "fermer la porte sur soi pour s’isoler dans un lieu". Stand. s’enfermer.
17. – Je sais, dit Jacqueline, il faut que je me cache. Je me fermerai dans ma chambre et n’en sortirai que lorsqu’elle sera repartie. (Panazô, Le Cafirou ou la connerie humaine, 1997, 153.)
2. [L’obj. désigne un inanimé concret] "mettre dans un lieu clos (pour ranger, abriter, protéger)". Stand. enfermer. Synon. région. serrer*.
18. Ils [des Parisiens regagnant Paris sous l’Occupation] avaient mis dans les valises,
au milieu de leur linge, tout ce qu’ils avaient pu en ravitaillement, jusqu’à un poulet
qui avait été bourré de beurre après avoir été vidé. Ils l’avaient bien fermé dans une ancienne boîte à biscuits métallique pour éviter que le beurre ne fonde
sous la chaleur de ce mois d’août. (R. Langlois, Les Raisins de la passion, 1996, 187.)
— Au part. passé/adj.
19. Les [des pommes de terre] voilà chez les hommes, détachées de cette terre qu’elles
aimaient, mises les unes sur les autres, fermées au fond d’une cave. (L. Pralus, Mon village sous l’hiver, 1978, 56.)
◆◆ commentaire. L’emploi de fermer pour "enfermer" est un archaïsme du français moderne général, documenté au 16e s. (Calvin, A. d’Aubigné, tous les deux dans Huguet ; fermer qqn dehors, Amyot, Palsgr, ibid.), qui a disparu de l’usage classique (Ø Cayrou et DuboisLag 1960). Encore relevé
dans le français populaire de Paris en 1835 (Platt dans FEW 3, 572b, firmare), il est stigmatisé dès Desgrouais 1766. Les dictionnaires généraux contemporains
rendent plus ou moins compte de cet usage (GLLF « fam. », avec un exemple de J. Renard ; TLF « littér. et région. », avec des exemples de J. Renard 1900, Pourrat 1922, Audiberti 1947 ; Rob 1985 et
NPR 1993-2000 « pop. », citant J. Renard 1900). Son aire actuelle de retrait se situe au sud d’une diagonale
qui va de Bordeaux à Besançon et comprend notamment la Provence, la région lyonnaise,
l’Auvergne (où il est attesté dep. 1564 se fermer), l’Ardèche (dep. 1565), le Limousin et la région bordelaisea.
a Cf. ce passage d’une lettre non localisée (région de Castres, Tarn), de 1918 : « La femme d’Urbainou elle criait au secours il me tue […] et puis il les a fermés dehors la femme et la fille », dans G. Bacconnier et al., La Plume au fusil, 1985, 317).
◇◇ bibliographie. DesgrToulouse 1766 ; RézSchnFéraud [1787-88] ; AnonymeHippolyteF ca 1800 « comme dit le languedocien et le lyonnais » ; VillaGasc 1802 ; ChambonVayssier 1879 s.v. barrer ; MolardLyon 1803-1810 « Fermer quelqu’un dans sa chambre est encore une expression vicieuse ; dites, enfermer. Fermer dedans, fermer dehors sont deux locutions très-usitées à Lyon. […] J’avoue qu’il est difficile de
remplacer ces façons de parler » ; RollandGap 1810 ; RollandLyon 1813 ; SajusLescar 1821 ; JBLGironde 1823 fermer, fermer qqn dehors ; SaugerPrLim 1825 ; ReynierMars 1829-1878 fermer (dedans/dehors) ; BreghotLyon 1831, 65-66 ; GabrielliProv 1836 fermer (dedans/dehors) ; SievracToulouse 1836, 184-185 ; AnonymeToulouse 1875 fermer (dedans/dehors) ; OffnerGrenoble 1894 ; Mâcon 1903-1926 fermé déhors ; VachetLyon 1907 fermer (dehors) ; « si les Boches s’apercevaient que nous sommes en cet endroit nous serions arrosés par
les marmites [= obus] alors on reste fermés » (10 mars 1915, VandrandPuyD, 81) ; LambertBayonne 1928 ; BrunMars 1931 fermer (dehors) ; SéguyToulouse 1950 se fermer ; MoussarieAurillac 1965 fermer dehors ; LouradourCreusois 1968 fermer les poules ; BonnaudAuv 1976 fermer dehors ; GonthiéBordeaux 1979, fermé dehors, in fine p. B ; SabourinAubusson 1983 et 1998 fermer dehors ; ArmanetVienne 1989 fermé dehors ; VurpasMichelBeauj 1992 fermer déhors, dans l’exemple s.v. déhors ; BlancVilleneuveM 1993 être fermé dehors ; FréchetMartVelay 1993 « usuel à partir de 60 ans, attesté au-dessous » ; PotteAuvThiers 1993 ; LaloyIsère 1995 être fermé dehors ; SalmonLyon 1995 avec un exemple de 1925 ; ValMontceau 1997 fermer avec/dans/dehors « emplois très fréquents […] à tous âges » ; FréchetMartAin 1998 fermer dehors « usuel à partir de 40 ans, connu au-dessous » ; MichelRoanne 1998 fermer, être fermé dehors « bien connu » ; PlaineEpGaga 1998 fermer, être fermé dehors « très fréquent » ; RoubaudMars 1998, 48 ; MoreuxRToulouse 2000 « semble en perte de vitesse » ; ChambonMatAuv 1994, 31-32 ; Chambon MélVarFr II, 49 ; ChambonÉtudes 1999, 122-123
(Pourrat, Gaspard des montagnes).
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (fermer) Haute-Vienne, 100 % ; Creuse, 90 % ; Corrèze, 80 % ; Dordogne, 60 %. (fermer dedans) Dordogne, Haute-Vienne, 100 % ; Corrèze, 90 % ; Creuse, 70 %. (fermer dehors) Cantal, Corrèze, Dordogne, Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Haute-Vienne, 100 % ; Creuse,
90 %. EnqCompl. 1999. : Taux de reconnaissance : (fermer dedans) Alpes-de-Haute-Provence : 65 %.
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