fois n. f.
Dans des loc. adv.
I. 〈Moselle (est), Alsace〉 usuel une fois "(renforcement du verbe, le plus souvent à valeur emphatique ou exhortative)". Stand. donc, un peu. – Regarde une fois ; viens une fois ; essaie une fois cette paire de chaussures ; arrête
une fois ; montre-moi une fois ta poupée ; goûte une fois (Relevés de 1974, dans WolfFischerAlsace 1983). [Le boucher montrant les côtes de veau à une cliente] Je vous en coupe une fois deux ? (Strasbourg, Marché du boulevard de la Marne, 9 janvier 1999).
1. […] et elle crie joyeusement : « Ecoute une fois, Marikele, j’ai demandé à maman de t’inviter à notre arbre de Noël, et elle veut bien. » (L. Rauzier-Fontayne, Marikele, 1946, 21.)
2. – Alors, grand-père, il paraît que vous forcez un peu sur le schnaps*, ce n’est pas bon pour la santé, à ce rythme-là, vous n’atteindrez jamais soixante-dix
ans !
– Sachez[,] mon bon jeune homme[,] que j’ai dépassé les quatre-vingts ans depuis plusieurs mois, et si vous voulez une fois atteindre mon âge, alors je vous invite à une petite mirabelle, ce qui vaudra bien mieux que les saloperies en belles bouteilles que vous[,] les jeunes, buvez de nos jours. (E. Wermelinger, Géni, 1998, 173.) II. 〈Lorraine〉 usuel la fois-ci/la fois-là "cette fois".
— [renvoyant au passé] La fois-là tu n’avais pas raison (LanherLitLorr 1989).
3. – Dis donc, Emile, en passant chez toi, l’autre jour, j’ai remarqué que tu avais encore
cette vache noire que je t’ai vendue… Oh ! il y a bien près de quatre ans…
– C’est possîpe [sic], la fois-là… – Tu devrais la changer. (J. Desgênes, La Grange du Hazard, 1949, 23-24.) — [renvoyant au présent ou au futur] Stand. maintenant, à présent. – La fois-là, ça suffit ! (LanherLitLorr 1989). La fois-ci, tu vas l’ mettre ton habit du dimanche (LesigneBassignyVôge 1999).
4. – Tiens Paul, tu vas à Nancy en observation ?
– On devient vieux la fois-là, mes douleurs me reprennent de plus belle et à un autre endroit. (G. Remy, En cueillant les brimbelles, 1986, 92.) III. 〈Saône-et-Loire (Montceau), Lorraine, Haute-Savoie, Savoie, Ain, Rhône, Loire, Isère,
Haute-Garonne (Toulouse)〉 vieillissant les autrefois/les autres fois "dans le passé". Stand. autrefois. – Les autrefois on était moins riche, mais on était plus heureux (MartinPilat 1989 ; VurpasLyonnais 1993).
5. […] le papier tue-mouches est en voie de disparition. Maintenant on se les farcit
au D.D.T., les mouches… Mais les autres fois, il en allait autrement […] ! (San-Antonio, Fais gaffe à tes os, 1972 [1956], 38.)
6. Et nous voilà devant une grande bâtisse en bois décorée de drapeaux de tous les pays.
Une musique folklorique nous accueille. C’est sautillant, enjoué ; je lèverais bien
une jambe pour accompagner le rythme, mais je suis Tante Tonine, et pas la Tonia des autrefois qui dansait la scotiche au bal du Soleil Levant. Restons digne ! (F. Pichon, « Tonine au Canada », Mémoire des pays du Gier 4, 1995, 31.)
V. encore s.v. royaume, ex. 1.
■ graphie. La graphie les autrefois est la plus usuelle.
IV. 〈Ain, Loire (Roanne)〉 assez usuel tout par une fois "soudain, subitement". Stand. tout à coup, tout d’un coup. Synon. région. tout par un coup*. – Tout par une fois, il s’est mis à raconter des bêtises (FréchetMartAin 1998). Tout par une fois j’entends un grand bruit, c’est le toit qui s’effondre (MichelRoanne 1998).
V. 〈Bretagne, Sarthe, Maine-et-Loire, Vendée〉 usuel une fois le temps "de temps en temps". Stand. une fois en passant, de temps en temps. – Thomas, une fois le temps, invite l’oncle Lannuzel, le soir, à manger avec lui (H. Queffélec, Un recteur de l’île de Sein, 1944, 92).
7. – Il n’y a pas eu d’histoire de réparation de voitures entre eux ? Un impayé, un travail
mal fait ?
– Je ne crois pas. Il m’a parlé deux ou trois fois de Noblet, qui s’arrêtait une fois le temps faire le plein, mais rien de plus… (J. Le Clerc de La Herverie et B. Aubin, Porkopolis, 1985, 105.) 8. Le parrain venait une fois le temps voir son filleul [traduction de : ar paëron a deue a wez ann amzer da welet he fillor] et son compère, cela jusqu’à
ce que l’enfant arrive à l’âge de douze ans, ou à peu près. (Les Contes de Luzel, t. 3, 1996, 143.)
◆◆ commentaire.
I. Ce trait caractéristique du français d’Alsace (av. 1852, v. WolfFischer), est également
en usage en Belgique (Hanse 1994), plus particulièrement « à Bruxelles et en pays flamand » (GrevisseGoosse 1993, § 920 e ; MassionBelg 1987 ; FuchsBelg 1988 ; DelcourtBelg 1998 ; LeboucBelg 1998), et en Suisse
romande (où il a été relevé dep. le 19e siècle, v. WolfFischer ; LengertAmiel)a, trois régions soumises à l’influence de langues germaniques. Dans le cas de l’Alsace,
il s’agit d’un calque d’als. einmol/enmol, all. (ein)mal (cf. Kommen Sie mal).
II. Dans cette locution, caractéristique du français de Lorraine, on reconnaît un tour
ancien toujours en usage dans cette région : le/la/les + subst. + là, équivalent de fr. standard "ce(t), cette, ces" (dep. DuboisLorr 1775 : « Ne dites donc jamais, l’homme-là, l’enfant-là, la fois-là, la maison-là &c . Il faut dire, cet homme-là, cet enfant-là, cette fois-là, cette maison-là »).
III. La dispersion de ce tour, qui semble particulièrement en usage dans la zone d’influence
de Lyon (où il est passé dans les patois, v. ALJA 13), mais qu’on relève aussi en
Belgique (témoin cheminot, sexagénaire, dans PohlBelg 1950), dans le Sud-Ouest et
à La Réunion (ChaudRéun 1974), indique son caractère d’archaïsme, mais il ne semble
pas avoir été relevé avant le début du 19e siècle. Il est assez mal pris en compte par les dictionnaires généraux (Ø GLLF ;
TLF les autrefois s.v. autrefois « région. », avec un exemple de G. Sand 1844 ; Rob 1985 « Sud-Ouest »).
IV. Analogue à (et peut-être analogique de) tout par un coup*, ce tour a été relevé dans deux petites aires de part et d’autre de Lyon ; il n’est
pas autrement documenté et n’est pas pris en compte par la lexicographie générale.
V. Attesté dep. le début du 20e s. à Nantes (FEW), ce tour est d’usage courant dans le français de l’Ouest. Non pris
en compte par les dictionnaires généraux contemporains et absent des relevés régionaux,
il apparaît sous la plume de Pierre Reverdy (en 1933 et 1936, Frantext) : né à Narbonne en 1889, l’auteur vécut à Solesmes (Sarthe) de 1926 à 1960.
a Il s’entend encore parfois dans les zones limitrophes de l’alémanique (comm. d’A.
Thibault).
◇◇ bibliographie. (I) RLiR 42 (1978), 172 (Alsace ; exemple mal interprété) ; WolfFischerAlsace 1983 ;
SalmonAlsacianismes 1999, 202 ; aj. à FEW 14, 412a, vices. – (II) MichelLorr 1807 s.v. la ; LanherLitLorr 1989 ; LesigneBassignyVôge 1999 ; aj. à FEW, loc. cit. – (III) MolardLyon 1810 « On ne dit pas […] les autrefois, mais simplement autrefois » ; JBLGironde 1823 les autres fois ; ReynierMars 1829-1878 s.v. les autres fois ; GabrielliProv 1836 les autrefois ; SievracToulouse 1836 s.v. fois ; AnonymeToulouse 1875 les autres fois ; PuitspeluLyon 1894 les autres fois ; BrunMars 1931, 73 « sorti de l’usage » ; ParizotJarez [1930-40] ; SéguyToulouse 1950 les autres fois « connu tout Sud-Ouest » ; ChaudRéun 1974, 789 « courant en français populaire en Savoie et en Haute-Savoie » ; EscoffStéph 1976 les autrefois ; TuaillonVourey 1983 « On entend encore assez souvent les autres fois. Mais son équivalent fr. [standard] tend à s’imposer » ; GononPoncins 1984 les autrefois « l’expression tend à être remplacée par autrefois » ; MeunierForez 1984 les autres fois s.v. autrefois ; MartinPellMeyrieu 1987 les autrefois ; MartinPilat 1989 les autrefois « usuel à partir de 40 ans » ; DucMure 1990 les autres fois ; VurpasMichelBeauj 1992 les autrefois « usuel au-dessus de 60 ans » ; BlancVilleneuveM 1993 les autrefois ; VurpasLyonnais 1993 les autrefois « bien connu » ; MichelNancy 1994 les autrefois ; LaLoyIsère 1995 les autres fois (graphié les autrefois dans les exemples) ; SalmonLyon 1995 des autrefois (exemples de 1925-1926), les autrefois ; ValMontceau 1997 les autres fois ; FréchetMartAin 1998 les autrefois « globalement connu » ; MichelRoanne 1998 les autrefois « connu » ; MoreuxRToulouse 2000 les autres fois « cette expression semble connue de la majorité des plus de 40 ans » ; emploi mal dégagé dans FEW 14, 411a, vices. (IV) FréchetMartAin 1998 « usuel à partir de 40 ans, bien connu au-dessous » ; MichelRoanne 1998 « connu » ; aj. à FEW, loc. cit. – (V) BuléonBBretagne 1927 ; FEW 14, 411b, vices.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Moselle (est) ; Bas-Rhin, 100 % ; Haut-Rhin, 90 %. (II) Meurthe-et-Moselle, Meuse, Moselle, Vosges, 100 %. (III) et (IV) Ø. (V) Maine-et-Loire, Sarthe, 100 % ; Ille-et-Vilaine, 75 % ; Loire-Atlantique, 60 %.
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