fort1, forte adj. et n. m.
I. Adj.
1. 〈Haute Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Vendée, Puy-de-Dôme (Clermont-Ferrand)〉 être fort sur qqc. loc. verb. fam. "aimer particulièrement manger ou boire qqc.". Stand. fam. forcer sur. – Je ne suis pas fort sur le gigot (A.-R. C.).
1. Elle ouvrit le colis et trouva une peau de lion. […] c’était une femme aussi peu questionneuse
que possible, et calme comme un étang. Mais, remarquant combien cette bête avait la
dent solide et pointue, crochue et luisante, elle se souvint comme les lions passent
pour être « forts sur la nourriture » et rêva à ce qu’il avait dû manger pour devenir aussi grand. (A. de Tourville, Les Gens de par ici, 1981, 83-84.)
2. 〈Hérault, Aude, Haute-Garonne (Toulouse), Dordogne〉 être fort à qqc. loc. verb. fam. "id.". – Vous aimez la soupe ? – J’y suis pas fort(e) (MoreuxRToulouse 2000).
II. N. m. 〈Basse Bretagne〉 usuel "boisson alcoolique forte (eau-de-vie, cognac, calvados, etc.)". Stand. alcool. – Une bouteille de fort (H. Jaouen, L’Adieu aux îles, 1999 [1986], 85).
2. […] trois bouteilles […], à savoir le blanc, le rouge et le « fort ». (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 135.)
3. Je sais que la voisine a une bouteille de « fort » dans le pli de sa robe. Du cognac trois étoiles qui s’appelle Fidelig. Elle vient demander à mon père de la déboucher […]. (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 168.)
— Par oppos. à doux.
4. Il s’agit du panier noir nécessaire à toute demande en mariage et qui doit contenir
deux bouteilles, l’une de fort, l’autre de doux, sans préjudice de quelques provisions de choix. Tout cela sera débouché ou entamé
quand la demande aura été reçue favorablement, mais pas avant. (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 442-443.)
5. Le fort pur est réservé aux hommes, mais autrefois tout le monde pouvait en mettre dans le
café […]. Le doux, souvent un vin cuit, se sert le plus souvent en apéritif, donc
avant les principaux repas, mais aussi, exceptionnellement avant le goûter de quatre
heures ou entre femmes, avant le café, à n’importe quelle heure du jour. (Y. Le Berre
et J. Le Dû, Anthologie des expressions de basse Bretagne, 1985, 165.)
— Dans le syntagme un coup de fort "une certaine quantité d’alcool versée pour boire".
6. L’homme était tout pâle et hagard, incapable de parler d’abord. On s’empressa de lui
offrir un coup de fort à boire. (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 150.)
7. – Soyez tranquille[,] commissaire, si indiscrétion il y a, elle ne viendra pas de
chez nous. Allez, venez donc jusqu’à mon bureau, on va se jeter un petit coup de fort. Après cette soirée, ça ne sera pas du luxe. (J. Failler, Les Bruines de Lanester, 1996 [1992], 138.)
8. Corentin Mével, sans même se lever de table, avait saisi une bouteille sur le buffet
derrière lui et versait un « petit coup de fort » dans le fond des tasses de café. (J. Failler, Boucaille sur Douarnenez, 1996 [1995], 83.)
9. Marie-Thérèse remplit [de café] les deux bols. Fanch couvrit le sien de ses deux mains.
– Pas de crème. Laisse une place pour un coup de fort. Marie-Thérèse balaya la table du regard. La bouteille de lambic* ne s’y trouvait pas. – J’irai la chercher moi-même. Pose ton cul, tu me donnes le tournis. (H. Jaouen, L’Allumeuse d’étoiles, 1997 [1996], 73.) ◆◆ commentaire.
I.1.
Emploi particulier de fr. être fort sur qqc. "avoir du goût, de la prédisposition (pour une activité)" (TLF, Rob 1985), également en usage à Saint-Pierre et Miquelon et au Québec. Non
pris en compte par la lexicographie générale et très peu relevé dans la lexicographie
régionale, cet emploi connaît une aire plus large que celle où il a fait l’objet d’enquêtes :
c’est ainsi qu’il est attesté en Vendée et à Clermont-Ferrand (communication de J.-P. Chambon).
Seule une enquête d’ensemble permettrait de situer cet usage, probablement ancien
dans la mesure où il est attesté dans le français d’Amérique du Nord (« courant au Québec », TLFQ) et où il est calqué en breton trégorrois (kreñv war "fort, porté sur" (Gros 1970) . 2. Relevé seulement dans MoreuxRToulouse 2000, qui le donne comme « régionalisme inconscient » et en usage aussi dans l’Aude, la Dordogne et le Béarn.
II. Fr. fort "qui a beaucoup d’alcool (d’une boisson)" (dep. ca 1220, en parlant d’un vin, v. TLF) a été enregistré en emploi subst. dans certains
dictionnaires anciens ("absinthe" Est 1543-Cresp 1637) et a survécu dans les dialectes ("armoise"), selon FEW 3, 735a, fortis. Le sens générique "eau-de-vie" n’est pris en compte dans les dictionnaires généraux contemporains que par TLF, qui
donne un exemple de Labiche 1861 ; il semble aujourd’hui particulièrement en usage
en Bretagne (et au Québec, v. Dionne 1909 ; DQA 1992), où il s’oppose à doux "vin cuit ; liqueur faiblement alcoolisée" (dep. Lar 1870, FEW 3, 174b, dulcis ; sans marque dans Rob 1985 et TLF), dont l’usage ne semble pas marqué diatopiquement
malgré quelques relevés régionaux sporadiques (FertiaultVerdChal 1896 ; FréchetMartAin
1998).
◇◇ bibliographie. (I.1.) VerrOnillAnjou 1908 ; SPM 1990 (et cr d’A. Thibault Vox 49/50, 547) ; aj. à FEW 3, 733b, fortis, où cet emploi n’est pas dégagé. – (II) LeBerreLeDûBret 1985, 165 ; aj. à FEW, loc. cit.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Ille-et-Vilaine, Sarthe, 100 % ; Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, 80 %. (II) Côtes-d’Armor, 65 % ; Finistère, 40 % ; Morbihan, 25 %.
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