gast ! interj.
〈Basse Bretagne〉 fam. "(pour marquer une pointe d’exaspération, une légère déception, ou simple exclamation
à valeur phatique)".
1. Peut-être le grand-père s’était-il évanoui. Il le souffleta sur une joue, puis sur
l’autre, à tout hasard il lui prit la barbe, mais le vieux demeurait silencieux et
immobile. « Gast ! » grogna-t-il. (H. Queffélec, Un recteur de l’île de Sein, 1944, 174.)
2. Au lycée de Quimper, les petits bretonnants que nous sommes seront moqués par les
externes de la ville qui parlent un affreux quimpertin et transforment tous les r en a : feame la poate donc ! Meade aloa ! Nous parlons tout de même aussi bien que ceux-là*, gast ! (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 217.)
3. – Vous voulez encore du café ?
– Non merci, dit Mary. La patronne de l’hôtel du port [sic, sans majuscule] posa la main contre la boule de verre : – Gast, il est froid (J. Failler, Boucaille sur Douarnenez, 1996 [1995], 85.) 4. Il lui montra une chaise :
– Assieds-toi, donc Gast ! on parlera aussi bien assis ! (J. Failler, On a volé la Belle Étoile , 1996, 139.) 5. – Sept heures Gast !, il est temps que j’aille mettre mon souper* en train. (J. Failler, Mort d’une rombière, 1997, 146.)
— Dans une loc. interj.
6. – Tanguy, dis-moi, Larzul, il aimait Marie ?
– S’il l’aimait ? Oh gast ! Trop, Monsieur le recteur*. (R . Madec, L’Abbé Garrec et le rouge à lèvres, 1956, 192.) 7. Voilà le loup, vorace comme y a pas, qui approche de la jument et de ses sabots ;
au même moment, la jument lui envoie un grand coup de pied qui le balance dans le
canal. Ah « ben gast », le pauvre loup était fichu, et le renard rigolait et n’arrêtait pas de s’en moquer
avant de disparaître. (A. Poulain, Contes et Légendes de Haute Bretagne, 1995, 245.)
8. – […] On a grandi ensemble. Oh gast ! qu’est-ce qu’on a pas fait comme conneries tous les deux (C. Le Quemen, Comme un parfum de pommes, 1998, 66.)
V. encore s.v. bord, ex. 8.
□ En emploi métalinguistique ou autonymique.
9. […] l’exclamation gacht, si employée en Bretagne, qui équivaut à « putain ». Pourtant ce sens originel, comme bien d’autres, ne s’est-il pas perdu en route ?
Reste la sonore interjection. (A. Pollier, Femmes de Groix ou la laisse de mer, 1983, 124, n. 1.)
10. Gast est aujourd’hui utilisé dans le sud de la basse Bretagne comme une simple exclamation
sans valeur interjective [sic], comme le « putain » provençal. (Y. Le Berre et J. Le Dû, Anthologie des expressions de Basse Bretagne, 1985, 114.)
11. Pourvu que ma grand-mère ne m’ait pas vue, pourvu qu’elle ne m’ait pas entendue ;
gacht est un mot défendu. Elle me traiterait d’enfant-diable, me crierait dessus, je me
ferais incendier en breton avec les mots de la honte […]. (I. Frain, La Maison de la source, 2000, 336.)
■ prononciation. La graphie des ex. 9 et 11 indique une prononciation [gaʃt].
◆◆ commentaire. Emprunt au breton, de même forme et de même valeur atténuée par rapport à son sens
originel "femme de mauvaise vie" (Troude 1876 ; Ernault 1904), lui-même emprunté par le breton au français (cf. ca 1190 pucelle gaste "jeune fille violée" Raoul de Cambrai ; v. FEW 14, 203a, vastare et DEAF G 356 ; attestation isolée, mais gaster "violer" est attesté au 13e siècle et degaster "id." au 15e siècle, v. DEAF G 370). Le cheminement est comparable à fr. putain, aujourd’hui en usage dans deux emplois : (i) péjoratif et vulgaire "prostituée" (ii) interj. pop. ou fam. On notera certains emplois intermédiaires, en breton : « Gast prostituée […] ; il y a aussi des locutions grossières comme honnez e eur c’hast amzer, litt. "celle-ci est une garce de température" (= en voilà un fichu temps ) » (« Glossaire cryptologique du breton, 2e supplément », dans Kryptadia, t. 6, 1889 ? [réimpr. 1899], 18). L’emprunt est attesté dep. 1918 : « “Oh gast ! jura Ploadec en se tournant vers le fermier, regarde donc dans ta poche
si tu n’as rien ?” – “Rien ! ” répondit l’autre. – “Oh ! gast ! prions encore… mais… ma doué… je sens quelque chose ! ” » Pierre Mac Orlan, Les Bourreurs de crâne, Paris, La Renaissance du livre, 94).
◇◇ bibliographie. PicquenardQuimper 1911 « particulièrement usité dans le pays de Pont-Aven » ; LeBerreLeDûBret 1985, 114 ; PichavantDouarnenez 1978-1996.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Finistère et Morbihan, 100 % ; Côtes-d’Armor, 65 %.
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