gras n. m. pl.
I. 〈Basse Bretagne〉 usuel les Gras "la fête du Carnaval, le Mardi gras et les jours précédents (naguère aussi le mercredi
des cendres, appelé mercredi-gras)". Le temps des Gras ; le gâteau des Gras (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 400).
1. Ce pain sacré descendait du ciel – du plafond – par un système de poulie afin d’être
coupé sur la table puis, majestueux, remontait sur son trône sous les solives enfumées.
Dans l’Ile de Sein, un bateau taillé dans l’entame d’une miche, gréé de ficelles et
voilure de papier, restait ainsi suspendu une année durant, à partir du jeudi précédant
le dimanche des Gras. (Y. Meynier et J. de Roincé, La Cuisine rustique, Bretagne, Maine, Anjou, 1970, 42-43.)
2. Comme les Gras s’étalent sur trois jours, il faut tenir le choc. Les bistrots remplissent leur rôle
de gîtes d’étapes et de havres de repos, pour reprendre son souffle et reconstituer
ses forces. (J.-Cl. Boulard, L’Épopée de la sardine, 2000 [1991], 95.)
3. […] la grande fête païenne que les Douarnenistes célèbrent tous les ans : Les Gras, c’était les Gras. Ça commençait le dimanche, et le mercredi il y avait autant de déguisés nuit et jour.
On faisait du boudin, du far*. On vendait du pain à la cannelle. Là, il y avait des Gras ! Maintenant, on voit plus grand-chose dans les rues ! (A.-D. Martin, Les Ouvrières de la mer. Histoire des sardinières du littoral breton, 1994, 74.)
4. – […] qu’est-ce que c’est que cette histoire de Mardi-gras ?
– D’abord, dit Le Meunier, c’est une fête. Que dis-je[,] c’est LA fête. À partir de demain et pendant quatre jours, la ville va être en folie. Pendant les Gras tout le monde se déguise. […] / Pour rien au monde il ne manquerait les Gras, c’est un vrai douarneniste [sic, sans majuscule] ! (J. Failler, Boucaille sur Douarnenez, 1996 [1995], 21.) 5. Les bateaux, hivernant après la saison de la sardine, attendaient la fin des Gras pour reprendre la mer. (PichavantDouarnenez 1996, 31.)
6. Quelques jours plus tard, on fêtait les Gras et Chann avait, comme toutes les Bigoudènes, respecté la tradition du kouign Ened, le gâteau des Gras. Elle préparait toujours autant de brioches qu’il y avait de personnes à son foyer
et, par raffinement, dessinait les initiales de chacun sur le dessus, de sorte qu’elles
apparaissaient ensuite en creux dans la croûte dorée. (C. Vlérick, Le Brodeur de Pont-l’Abbé, 2000 [1999], 106.)
V. encore s.v. main, ex. 22.
II. 〈Haute-Garonne, Aveyron, Dordogne, Lot-et-Garonne, Gers, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques,
Landes, Gironde〉 usuel les gras ou, au sing. à valeur collective, le gras "les oies et les canards engraissés au maïs".
7. Table des recettes traditionnelles […] / soupes […] / poissons-crustacés-mollusques […] / gras […] / viandes et abats […] / volailles et gibiers […] / légumes et garnitures […] / desserts […]. (L’inventaire du patrimoine culinaire de la France. Midi-Pyrénées, 1996, 332-333.)
8. C’était un jour de marché [à Villefranche-de-Rouergue, Aveyron], un jeudi au ciel
brumeux. Pascale avait prêté main-forte à sa mère pour transporter les corbeilles
de gras de la voiture jusqu’aux arcades […]. (D. Crozes, La Fille de La Ramière, 1998, 161.)
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
9. À l’est du Gers, « le gras », résultat de l’engraissement au maïs des canards ou des oies dans un espace confiné,
est une activité qui, bien que vieille de plusieurs siècles, a doublé sa production
en une décennie […]. (D. Coquart et J. Pilleboue, « Le foie gras : un patrimoine régional ? », dans M. Rautenberg, dir., Campagnes de tous nos désirs, 2000, 91.)
■ remarques. C’est sous la rubrique « GRAS » que le journal Sud-Ouest indique les cours des oies et des canards gras sur les marchés de la région.
— Dans les syntagmes marché au/du gras. « Marché du gras » à Dax, un samedi (Légende de photographie, dans E. et J. de Rivoyre, Cuisine landaise, 1980, 49). Aller au marché « au gras » (Le Monde, 21 juillet 1997, 7). Les halles abritant le marché au gras (D. Coquart et J. Pilleboue, « Le foie gras : un patrimoine régional ? », dans M. Rautenberg, dir., Campagnes de tous nos désirs, 2000, 98).
10. […] il reste encore sur la place du Parlement [à Toulouse] un beaumarché au gras (oies, canards, etc.) et les grands marchés du centre-ville connaissent toujours
le même succès et la même ambiance bon enfant. (F. Cousteaux, « L’oie “de la tête au cul” », dans Toulouse, 1991, 136.)
11. Aligné dans des boîtes blanches, après être passés devant les vétérinaires, les foies
de canard […] et d’oie attendent le coup de sifflet pour trouver preneur. Il n’est
pas encore 10 h 30, la vente des carcasses a commencé une heure plus tôt. Samatan
est l’un des cinq beaux marchés au gras du gers. (A. Aviotte, Artichaut, 1996, 69-70.)
12. […] des oies et des canards gavés pour leurs foies écoulés au cœur de l’hiver sur
le marché au gras de Villefranche […]. (D. Crozes, La Fille de La Ramière, 1998, 29.)
◆◆ commentaire. Lexies non prises en compte dans la lexicographie générale du français.
I. Attesté dep. 1905 dans le français de Bretagne (« À l’approche des “gras” surtout, un vent de bombance se déchaînait sur la cité » A. Le Braz, Magies de la Bretagne, éd. Lacassin, 1994, t. 1, 814), cet emploi par ellipse de jours dans mfr. et frm. jours gras (dep. av. 1538, TLF) est aujourd’hui caractéristique du français de la Basse Bretagne.
Il a toutefois été signalé à la fin du 19e siècle dans l’Eure (« les gras » en 1879 dans Robin et al., Dictionnaire du patois normand en usage dans l’Eure), ce qui témoigne peut-être d’une aire autrefois plus vaste en français populaire.
Il est absent des relevés régionaux et de FEW 2, 1278a, crassus.
II. Attesté dep. 1748, en patois limousin ("endroit où se tient le marché des denrées grasses", dans [J.-B. Roby], Virgilo limouzi, Paris, 1899, 40, v. FEW 2, 1279a, crassus), cet emploi est caractéristique du français du Sud-Ouest, mais il semble avoir gagné
récemment d’autres régions, comme la Normandie, notamment dans la lexie marché au grasa.
a Cf. « Apparu il y a seulement quelques années, l’élevage des palmipèdes “gras” s’est bien développé en Normandie. […] D’octobre à décembre, on trouve foies [de
canard] et magrets frais sur les “marchés au gras” qui sont apparus dans l’Eure et en Seine-Maritime. La Normandie va-t-elle finir par
ressembler au Sud-Ouest ? » (D. et M. Lizambard, La Grande Cuisine de Normandie, 1990, 6).
◇◇ bibliographie. BoisgontierAquit 1991 ; aj. à FEW, loc. cit.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I) Finistère, 70 % ; Morbihan 50 % ; Côtes-d’Armor, 30 %. (II) Gers, Landes, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, 100 % ; Gironde, 80 % ; Lot-et-Garonne,
20 %.
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