far n. m.
I. 〈Bretagne〉 usuel
1. "farine de blé noir mise dans un petit sac de matière textile et cuite dans un bouillon
de légumes avec un morceau de lard ; cette préparation est habituellement servie émiettée". Parfois dans le syntagme far noir.
1. Marie-Josèphe démoule le far gris à la surface duquel les fronces créées par la ficelle deviennent des rides en
étoile, pareilles aux traces que laissent sur le sable mouillé des basses eaux les
oiseaux de passage. Et la bonne odeur du blé noir, se fondant avec tous les parfums
du potager, lentement échauffés, affinés sous le couvercle lourd du chaudron, se répand
[…]. Elle coupe des tranches de far. (J. David, Bonsoir Marie-Josèphe, 1993 [1983], 62.)
2. Un curé de campagne, comme il en existait autrefois, c’était imposant et bien fait,
pour ne pas dire gros et gras ; ça cachait, derrière les innombrables replis d’une
soutane noire de jais, une bedaine de gourmand qui appréciait les crêpes, le far de sarrasin, les tripes d’un repas de noces, le lard et le ragoût, les galettes* de blé noir. (Le Monde, 11 août 1990, 20.)
3. On racontait beaucoup d’histoires sur le farz noir, celle-ci par exemple : lorsque les cloches revenaient de Rome le Samedi saint, elles
ramenaient les sacs de farz noir dont on avait été privé pendant le carême. (Fr. Buisson, « Le kig ha farz », dans J. Csergo, Pot-au-feu, 1999, 114.)
4. Précaution importante pour la réussite du farz : il ne faut jamais remplir totalement le sac car la pâte gonfle en cuisant […].
Pour sortir le farz de la soupe, il faut dans un premier temps soulever le sac, l’égoutter, le poser
sur un grand torchon et le recouvrir de ce torchon. On le laisse ainsi tiédir pendant
cinq à dix minutes, puis on roule le sac pour émietter le farz qui est à l’intérieur avant de le servir. (Fr. Buisson, « Le kig ha farz », dans J. Csergo, Pot-au-feu, 1999, 115.)
V. encore s.v. kig-ha-farz, ex. 2 et 4.
— "farine de froment mise dans un petit sac de matière textile et cuite dans du lait ;
cette préparation est habituellement servie en tranches". Souvent dans le syntagme far blanc.
5. Ma mère, quand elle venait, ne manquait pas de nous apporter du far blanc de la maison. Cela effaçait bien des peines. Et je remerciais Jésus d’avoir permis
à maman de nous confectionner de si délicieuses choses. (J. Ropars, Au Pays d’Yvonne, 1993 [1991], 111.)
6. Une cuisinière préparait ensuite un ragoût et un far de froment. Ce genre de repas ne coûtait pas cher, puisque la plupart des produits
provenaient de la maison. Il n’y avait guère que les boissons à payer. Le far blanc, confectionné avec la plus belle farine du moulin, constituait la pièce indispensable
du repas. Sans far, pas de festin possible. Les gamins, dissimulés derrière quelque muraille, venaient
s’assurer que les préparatifs allaient bon train. Ils allaient ensuite proclamer à
la cantonnade les résultats de leur enquête : « Pensez donc, il n’y a pas de far blanc à cette noce ! » On considérait alors le banquet avec un peu de mépris. (J. Ropars, Au Pays d’Yvonne, 1993 [1991], 266.)
■ encyclopédie. Recettes de divers fars dans S. Morand, Cuisine populaire de Bretagne, 1982, 27-29 et dans L’Encyclopédie de la cuisine régionale. La Cuisine bretonne, 1979, 15-16.
2. "flan sucré aux fruits, le plus souvent aux raisins secs ou aux pruneaux". Il y aurait du poulet froid, des fruits, des gâteaux, du far (Ch. Le Quintrec, Chanticocq, 1989 [1986], 110). Fromage, far et café ont couronné le repas (Ouest-France, éd. de Vannes, 19 juillet 1993, 15).
7. Autrefois, la composition du far était différente suivant les régions. Dans le pays de Saint-Pol-de-Léon, il ne comportait
pas de fruits. Mais au fur et à mesure que l’on approchait de la Cornouaille les fruits
faisaient leur apparition. Discrètement tout d’abord avec quelques raisins, puis ensuite
plus abondants avec raisins et pruneaux. Aujourd’hui ces variantes ont pratiquement
disparu mais certaines personnes préparent encore du far sans fruits. (Y. Meynier et J. de Roincé, La Cuisine rustique. Bretagne, Maine, Anjou, 1970, 200.)
8. La douce cuisson traditionnelle sur braises, comme ici, demande plusieurs heures.
Il suffit de sonder à l’aide d’une lame : si elle ressort sèche, le far est cuit. (Pays et gens de France, n° 2, le Finistère, 1er octobre 1982, 39.)
9. Marie me mettait en garde contre toute fatigue inutile, ce que faisait aussi notre
sœur Marie-Jo quand elle pouvait s’échapper de son travail pour m’apporter un flan
ou un far. Elle excellait dans la confection de ce dessert, au-dessus de tout éloge quand elle
y ajoutait des pruneaux d’Agen. (Ch. Le Quintrec, Une enfance bretonne, 2000, 163.)
— Dans le syntagme far breton.
10. Au rayon des desserts seulement, on retrouve aujourd’hui les fars* dits sur les cartes fars bretons. Lait, œufs, farine, raisins de Corinthe ou pruneaux ici, lait, œufs, farine, sucre
vanillé et pommes fruits ailleurs. (La Reynière, dans Le Monde sans visa, 20 août 1988, 11.)
11. […] très différent d’un flan classique, le far breton est élaboré à partir de recettes simples qui peuvent toutefois sensiblement varier
d’une région à l’autre : nature, aux pruneaux, aux raisins, épais ou mince. La grande
majorité des boulangers-pâtissiers et de nombreux charcutiers-traiteurs (tout particulièrement
sur la côte) fabriquent plusieurs fois par semaine du far breton avec ou sans pruneaux. La vente s’effectue généralement à la part. (L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Bretagne, 1994, 107.)
12. Les enfants m’ont souvent demandé des recettes sur ce que je faisais à la cantine :
ils ont trouvé bon « le pain perdu », il a fallu leur donner la recette ; de même pour les crêpes et le far breton. (Chr. Leray et E. Lorand, Dynamique interculturelle et autoformation. Une Histoire de vie en pays gallo, 1995, 309.)
■ graphie. La graphie farz ou fars représente une graphie bretonne (v. ici ex. 3-4 ; s.v. kig-ha-farz, ex. 4 ; S. Morand, Cuisine populaire de Bretagne, 1982, 27 ; R.-J. Courtine, La Cuisine des terroirs, 1989, 158).
■ encyclopédie. Recettes de divers fars dans L’Encyclopédie de la cuisine régionale. La Cuisine bretonne, 1979, 17-18 ; pour le « far breton », v. L’Inventaire du patrimoine culinaire de la France. Bretagne, 1994, 107.
II. 〈Maine-et-Loire, Vendée, Deux-Sèvres, Vienne, Charente-Maritime, Charente (nord), Indre-et-Loire
(nord-est)〉 usuel "préparation à base de légumes verts, fines herbes, crème et œufs (parfois enveloppés
dans des feuilles de chou ou farcissant une volaille et cuits dans un bouillon de
pot-au-feu)". Synon. région. farci* (plus usuel dans le Lot et l’Aveyron). – Far d’oseille/de blettes.
13. Far d’oseille au jambon […] Disposer le far d’herbes au centre d’un plat et le jambon tout autour. (L’Encyclopédie de la cuisine régionale. La Cuisine de Vendée, Poitou, Charentes, 1980, 121.)
□ En emploi métalinguistique.
14. On dit farci* en Poitou mais, dans son ouest et en Vendée, on dit far. (R.-J. Courtine, La Cuisine des terroirs, 1989, 426.)
— Var. fars 〈Lot, Aveyron.〉 Pour nous régaler tous à midi, un gros « fars » (N. Calmels, L’Oustal de mon enfance, 1985, 125).
15. Ces repas champêtres avaient aussi le charme d’une gastronomie particulière. Le jambon,
les pâtés, les cous d’oie, le chou farci, le fars aux herbes et l’omelette en étaient les fleurons. (R. Béteille, Souvenirs d’un enfant du Rouergue, 1984, 146.)
16. Ma mère alla au jardin chercher une énorme botte de verdure [pour l’offrir, avec une
poule, à une cousine citadine] car cette pauvre Julia n’avait pas une branche de persil
sans l’acheter. Rien pour bien farcir une poule. Or elle était comme sevrée de bouillon
et de volaille rehaussée de son fars. Je revois encore cette cousine à la mode de Bretagne, s’empiffrer de poule et de
son moelleux contenu, lorsque de temps à autre elle mangeait chez nous. (R. Béteille,
Souvenirs d’un enfant du Rouergue, 1984, 182.)
■ encyclopédie. Recettes de « Far d’oseille » dans J. Philippe-Levatois, Cuisine traditionnelle de Poitou et de Vendée, 1979 [1976], 189, et de « Far d’oseille au jambon » dans L’Encyclopédie de la cuisine régionale. La Cuisine de Vendée, Poitou, Charentes, 1980, 121.
◆◆ commentaire. D’afr. fars "farci" (dep. le 13e s., d’abord comme part. passé ; de lat. farsus, part. passé de farcire), représenté à l’époque moderne dans diverses régions de France, selon FEW 3, 415a, farcire, au sens de "hachis de viandes ou de légumes, éventuellement utilisé comme farce" (de la Normandie au Sud-Ouest) ou de "mets à base de farine de sarrasin" (Bretagne et Bas-Limousin). Le mot est passé en breton (FEW 3, 416a, n. 2 ; cf. « fars m. "[…] fars [sic] (mets breton) […]" » Hemon 1985).
I.1. Attesté dans le français de Bretagne dep. 1798/1799 (« Les cultivateurs mangent peu de viande : deux fois par semaine ils servent sur leur
table du porc et du far de bled noir » [J. Cambry], Voyage dans le Finistère, dans HöflerRézArtCulin ; repris en 1811 dans J. Peuchet et P.-G. Lanlaire. Description topographique et statistique de la France. Finistère, 26 « Les cultivateurs mangent peu de viande : deux fois par semaine ils servent sur leur
table du porc et du far de blé noir ») ; en 1819 (« far ou fare s. m. "espèce de pâte composée de farine de froment ou de sarrasin, que l’on enferme dans
un sac de toile et que l’on fait cuire dans le bouillon. Le far se cuit aussi au four ou sous un couvercle de tourtière". N’oubliez pas de nous donner du far avec le bouilli. Le far n’est pas encore revenu
du four » LeGonidecBret) ; 1832 dans les actuelles Côtes-d’Armor (« On sert à ces noces des viandes bouillies et des viandes cuites au four, des fars de blé noir et de froment » Habasque, 297). 2. Attesté peut-être dep. 1811 (« Les jours de fêtes, dans les noces, le veau, le bœuf, le far au four, les vins de
toutes espèces […] sont prodigués » J. Peuchet et P.-G. Chanlaire, loc. cit.), 1819 (v. LeGonidecBret ci-dessus) ; dep. 1865 far (Littré) et dep. 1911 far breton (L’Echo de Paris), tous les deux dans HöflerRézArtCulin). En ce sens, far est pris en compte par les dictionnaires généraux contemporains (sauf GLLF), sans
marque diatopique ; il semble, surtout dans la lexie far breton, en voie de dérégionalisation, notamment par la voie du tourisme et de la grande distribution,
mais NPR 1993-2000 considère le référent comme « fabriqué dans le Finistère ».
II. Sens indécidable en 1744 dans le français du Sud-Ouest (« tenez un peu de far (pro) farce »a ; dans DesgrToulouse 1766 (v. ci-dessous s.v. farci), il s’agit vraisemblablement de fars au gras (emploi explicite en Franceb dep. 1836 « fars au gras » SievracToulouse, 183) ; on datera donc far (au maigre) de 1802 (« Ils [les paysans des Deux-Sèvres] font surtout grand usage de fars, espèce de hachis
d’herbes et de mie de pain, mêlé d’œufs et d’épices » Dupin, Statistique du département des Deux-Sèvres) ; JaubertCentre 1864 (« fars, n. m. (prononcez far). Farce d’herbes hachées » ; 1932 far (M. Beguin, Une vieille tradition. La Cuisine en Poitou, dans HöflerRézArtCulin). Le mot se rencontre aujourd’hui dans deux aires distinctes,
et respectivement sous deux formes : far dans le Centre-Ouest et fars dans le Lot et l’Aveyron ; dans ce dernier cas, fars est emprunté à Cahors far "farci, hâchis [sic]" (Lescale, v. référence ici dans le commentaire s.v. farci), aveyr. fars "farce, hachis de viande et d’herbes" (VayssierAveyr 1879). En ce sens, far est pris en compte par Rob 1985 et TLF, qui le donnent comme un régionalisme du Poitou.
a Témoignage recueilli par le Père Potier de la bouche d’un de ses confrères, le Père
A. de La Richardie, auquel P.W. Halford consacre la notice suivante : « Né à Périgueux (Dordogne) en 1686, il entra dans la Compagnie [de Jésus] en 1703 à
Bordeaux. Il étudia dans plusieurs établissements, enseigna à La Rochelle, Luçon,
Saintes et Angoulême […] » (PotierHalford 1994, 315).
b Mais dep. 1810 au Québec (FichierTLFQ).
◇◇ bibliographie. (I.1.) LarGastr 1938 "sorte de flan fait en Bretagne" far breton ; BlanWalHBret 1999 « très fréquent partout ». – (II) SievracToulouse 1836 ; JaubertCentre 1864 ; CormeauMauges 1912 fars à l’oseille ; LarGastr 1938 far poitevin ; RézeauOuest 1984 et 1990 ; BoisgontierMidiPyr 1992 fars ; HöflerRézArtCulin.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : (I.2) Finistère, Morbihan, 100 % ; Côtes-d’Armor, 65 %. (II) Vendée, 100 % ; Vienne, 80 % ; Deux-Sèvres, 75 % ; Charente-Maritime, 50 % ; Charente,
0 %.
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