macher ou mâcher v. tr.
1. 〈Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Centre-Ouest, Centre, Lyon, Saint-Étienne,
Languedoc oriental, Languedoc occidental, Auvergne, Limousin, Aquitaine〉 usuel
1.1. "contusionner (une partie du corps d’un être vivant), sans effet grave, mais en laissant
généralement des traces de la contusion".
1. – Je vous mens pas ! Tenez Messieurs, dit le Peillarot* en déficelant les côtés du sac dans lequel cette bétasse [sa femme] s’était laissé
coudre […] Regardez dans quel état il [l’amant supposé] me la met ! Toute piquetée
de petits trous et de bleus ! il me l’a toute machée ! (G. de Lanauve, Les Mémoires d’Anaïs Monribot, 1969, 301.)
2. … j’emporte aussi […] tes sabots !… Pour le cas où tes souliers neufs te mâcheraient les pieds (A. Gaillard, Le Siècle trioulais (1880-1980), t. 1, 1978, 145.)
— Emploi pron. Se mâcher le bras en tombant (PotteAuvThiers 1993).
3. Je me suis mâché le doigt dans cet engin de malheur, gémit-elle en montrant l’ouvre-boîte électrique.
(J.-M. Soyez, Le Créa, 1976, 291.)
4. Il est midi passé quand les quatre ou cinq vaches se retrouveront « chaussées » [= ferrées] de neuf et en mesure de travailler sans courir le risque de se « mâcher » la corne. (R. Limouzin, D’une Toussaint… à l’autre, 1998, 47.)
1.2. Part. passé/adj. maché "contusionné, meurtri (d’une partie du corps)". J’ai les côtes toutes mâchées (SéguyToulouse 1950).
5. Pour lever* le coup, il faut dire […]. / La formule [magique] a plus d’efficacité si, en la récitant,
on applique sur la partie mâchée l’objet avec lequel on s’est blessé. (R. Jalby, Le Folklore du Languedoc, 1971, 250.)
6. […] nous nous amusions à nous coudre les mains […]. Nous piquions l’aiguille dans
la surface insensible de la peau, au bout des doigts et en haut de la paume, et faisions
courir un fil qui paraissait traverser les chairs […]. L’héroïne en gardait le bout
des doigts un peu mâché, comme passé au papier émeri, car avant que le fil ne tienne, il avait fallu piquer
plusieurs fois pour arriver à prendre assez de peau pour faire glisser l’aiguille
et le fil sous un épiderme si mince que le seul passage du fil parfois le déchirait.
(M. Rouanet, Nous les filles, 1990, 292-293.)
7. Les deux gars sont engagés dans une lutte sans merci. […] Les deux garçons se sont
relevés, mâchés, essoufflés, trempés de sueur. (Ch. Briand, La Batteuse, 1991, 52-53.)
V. encore s.v. bouffe, ex. 2.
● 〈Aquitaine〉 "(en parlant d’un visage) très pâle, aux traits altérés (souvent à la suite d’une grande
fatigue, d’une émotion, etc.)". Figure mâchée (BoisgontierAquit 1991).
— Dans des syntagmes et locutions.
● 〈Allier, Puy-de-Dôme (Thiers), Creuse (Aubusson)〉 sang maché "épanchement de sang provoqué par un choc, bien visible sous la peau". Stand. hématome. – Ce n’est pas bien grave, c’est juste du sang maché (SabourinAubusson 1998).
8. Quand Dudus lui montra, en soulevant sa chemise, l’énorme hématome qu’il avait à la
hanche, Tugnot examina gravement la grosse tâche [sic] violacée et, fronçant les sourcils, il fit semblant de se plonger dans une profonde
réflexion […].
– Apportez-moi du lard et du persil, commanda-t-il à Francine, qui, inquiète et un peu troublée, observait la scène. Il n’y a que ça, rajouta-t-il, pour manger tout ce sang mâché. C’est ainsi qu’il désignait l’hématome de Dudus. (R. Langlois, Les Derniers des locatiers, 1994, 43.) ● 〈Allier, Lyon, Aquitaine〉 yeux (tout) machés "yeux creusés de cernes profonds". Ce matin tu as les yeux tout machés (VurpasLyonnais 1993).
● 〈Haute-Loire (Le Puy)〉 Au fig. être maché "se comporter d’une manière déraisonnable ou extravagante". Il est (franc) mâché çui-là (QuesnelPuy 1998).
2. 〈Nantes, Centre-Ouest, Allier, Roussillon, Auvergne, Limousin, Aquitaine.〉
2.1. "écraser en surface, blesser par pression excessive ou par un choc (un fruit)". Stand. taler. – Les jeunes enfants machent les pommes vertes contre une muraille afin de les attendrir
pour les manger (PierdonPérigord 1971, 138). Fais bien attention de ne pas mâcher ces pêches dans ton sac (QuesnelPuy 1998).
— Emploi pron. Les pommes qu’on ramasse, on ne peut pas les conserver, parce qu’elles se sont mâchées
en tombant (PotteAuvThiers 1993).
9. À l’automne, nous avions hâte de cueillir […] les poires d’hiver longues et cuivrées
qu’il fallait prendre à deux mains de peur qu’elles ne tombent et ne se « machent ». (J. Néraud, Ma Rue, 1999, 211.)
2.2. Part. passé/adj. "meurtri (d’un fruit qui a reçu un coup)". Fruits mâchés (QuesnelPuy 1998), poires mâchées (MoreuxRToulouse 2000).
10. Elles [les pommes] ne sont pas calibrées, sont tâchées [sic], à la va-comme-j’te-pousse, de la verte et de la pas mûre, des mâchées, des talées […]. (A. Aucouturier, Le Dénicheur d’enfance, 1996, 181.)
● 〈Charente〉 vieilli "froissé (en parlant d’un vêtement)". Ma robe est toute mâchée (RézeauOuest 1984).
● 〈Vendée〉 spor. "altéré par des pressions, dégradé par de nombreux frottements (en parlant d’un objet
sujet à l’usure et souvent manipulé)".
11. Puis il [l’adjudant] s’est assis en face de moi et a ouvert un dossier en carton où
il y avait ma carte grise que je reconnaissais, toute machée qu’elle était et puis un procès verbal probablement tapé à la machine sur un papier
à en-tête. (J. Syreigeol, Vendetta en Vendée, 1990, 28.)
● 〈Languedoc occidental〉 "légèrement trouble (en parlant de l’eau)". Eau machée (SéguyToulouse 1950 ; MoreuxRToulouse 2000).
— 〈Nantes〉 Emploi subst. m. C’est le maché qui fait pourrir (TuaillonRézRégion 1983). Stand. meurtrissure.
■ graphie et prononciation. Souvent orthographié â pour a, par analogie avec fr. mâcher "écraser avec les dents" ; les précisions sur la prononciation du a « (très) bref » dans certains lexiques régionaux (DuPineauV 1750 ; JaubertCentre 1864 ; VerrOnillAnjou
1908) témoignent du souci de bien marquer la spécificité de ce type.
◆◆ commentaire. On relève le type lexical issu de makk- (attesté dès aocc. macar v. tr. "frapper ; meurtrir", ca 1200 ; apic. maquier "frapper", 1443 ; mfr. macher "meurtrir", 1465), dans une vaste aire dialectale n’excluant que l’Île-de-France et son aire
d’influence (FEW 6, 67a-70b, makk- II). Encore attesté en fr. au 16e s. (fig. ou nostre soulier nous mache, 1547, Marguerite de Navarre, Huguet), cet emploi subit une éclipse dans la lexicographie
du fr. général jusqu’au 19e s. où sont signalés des sens particuliers : fr. maché (part. passé/adj. "(d’une pièce de bois ou d’un cordage) dont les fibres ont été émoussées par un choc
ou le frottement d’un corps dur" (AcC 1840 ; LarSuppl 1953) et, dep. 1873, "user, entamer irrégulièrement" (GLLF 1975, citant A. France ; TLF). Quelques emplois spéciaux "(techn.) couper sans faire une section nette, en déchirant", (méd.) plaie mâchée "(plaie) à bords déchiquetés" sont, à bon droit, rattachés à makk- dans les dictionnaires de la fin du 20e s. (GLLF, TLF) alors qu’un sémantisme proche expliquait sans doute le rattachement
antérieur erroné à masticare (v. DG). TLF signale le sens "meurtrir (se dit de fruits)" sans marque diatopique, mais avec des exemples de Fabre et Giono.
L’aire du régionalisme est en retrait par rapport à l’aire dialectale correspondante
(ALF 1853 ; ALBRAM 320, ALO 283 ; ALP 492) mais couvre cependant une vaste surface
à l’Ouest. Les enquêtes du DRF confirment la densité des emplois pour l’Ouest-Centre
(1 et 2), le Limousin (1 et 2), le Languedoc oriental (1), l’Aquitaine (1 et 2). La
dispersion sémantique reste réduite, ainsi fr. région. les yeux mâchés (dep. PuitspeluLyon 1894) était déjà employé en aocc. (oils macatz "yeux cernés, battus" ca 1228, Jaufré) et est resté assez bien documenté, ce qui traduit une faible autonomie
du régionalisme par rapport au dialectalisme, donc son peu de vitalité. L’extension
et la densité des attestations dialectales et la faible représentation dans la lexicographie
française désignent une origine dialectale ou au moins régionale pour cet emploi dans
la plus grande partie des régions. Les aires lyonnaise et stéphanoise, où la tradition
dialectale fait défaut (v. FEW), incitent à faire l’hypothèse d’un emprunt au fr.
région. d’une région voisine (ce qui est peu convaincant au vu de la documentation
disponible) ou bien au fr. général sous l’influence de mâcher "mastiquer". La démotivation du terme (par perte du sens premier "frapper"), qui en fragilise l’usage, a sans doute joué dans la désaffection pour ce terme
en fr. général ; la graphie â, devenue courante aujourd’hui, peut être le signe d’une remotivation qui pourrait
jouer en faveur de son maintien.
◇◇ bibliographie. FEW 6, 67a-70b, makk- II 1, II 2 g, II 2 j (1) ; ibid. 69a-b, makk- II 2 a (2) ; Montaigne, Essais, éd. 1595, Gdf mascher "(fig.) meurtrir, froisser" ; DuPineauV 1750 les bras machez "bras noircis de coups" « a bref » ; PuitspeluLyon 1894 mâché, yeux mâchés ; ClouzotNiort 1907-1923 macher "serrer fortement en laissant des marques de la pression" ; VachetLyon 1907 yeux machés ; VerrOnillAnjou 1908 macher "froisser, meurtrir, contusionner" « a bref » ; BrunMars 1931 mâcher ; MussetAunSaint 1932 macher, yeux machés ; SéguyToulouse 1950 mâché part. passé/adj. ; PierdonPérigord 1971 « entendu, très usuel » ; GagnonBourbonn 1972 mâcher ; BonnaudAuv 1976 macher ; BridotSioule 1977 macher ; EspallBernisToulouse 1979 mâché « connu et employé par tous » ; Olivier, Bizà Neirà 29, 1981, 11 ; BecquevortArconsat 1981 s.v. maicher ; TuaillonRézRégion 1983 (Haute-Vienne, Nantes, Vendée) ; RézeauOuest 1984 « fréquent au part. passé » ; QuestThiers 1987 sang mâché ; JaffeuxMoissat 1987 ; RézeauOuest 1990 ; E. Nowak, Aguiaine 22 (1990), 216 ; CampsRoussillon 1991 maquer ; BoisgontierAquit 1991 yeux mâchés ; BoisgontierMidiPyr 1992 part. passé/adj. ; PotteAuvThiers 1993 mâcher « régionalisme inconscient » ; VurpasLyonnais 1993 yeux mâchés « attesté » ; SalmonLyon 1995 yeux mâchés ; Coudert, Parlem 44, 1995, 6 ; BoisgontierDocMs [1995] « entendu, très usuel » ; LuronCentreBerry 1997 ; QuesnelPuy 1998 ; PlaineEpGaga 1998 ; SabourinAubusson
1998 ; MoreuxRToulouse 2000 eau mâchée « surtout connu des plus de 60 ans, mais encore courant chez tous les pêcheurs. Régionalisme
inconscient », se mâcher ; SuireBordeaux 2000 mâcher. – Pour le fr. d’Amérique v. Dunn 1880 ; Dionne 1909 ; PoirierAcadG ; GPFC 1930 ;
DitchyLouisiane 1932 ; MassignonAcad 1962 ; MassicotteÎleGrues 1978.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : "meurtrir" Deux-Sèvres, Gers, Gironde, Landes, Haute-Loire, Puy-de-Dôme, Pyrénées-Atlantiques,
Hautes-Pyrénées, Vienne, 100 % ; Corrèze, 90 % ; Loire-Atlantique, 80 % ; Charente,
Dordogne, Vendée, 75 % ; Creuse, 65 % ; Maine-et-Loire, Haute-Vienne, 55 % ; Charente-Maritime,
50 % ; Lot-et-Garonne, 40 % ; Ille-et-Vilaine, 10 % ; Sarthe, 0 %. " écrasé, meurtri" Aude, Dordogne, Lozère, Haute-Vienne, 100 % ; Corrèze, Creuse, Gard, 90 % ; Hérault,
70 %.
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