lever v. tr.
I. Emploi tr.
1. 〈Surtout Provence, Gard, Hérault, Aude, Aveyron, Lozère〉 [L'obj. désigne un inanimé concret]
1.1. usuel "faire qu'une chose ne soit plus à un endroit donné, en la déplaçant". Stand. enlever, ôter. – Lève tes affaires de là, elles dérangent (MoreuxRToulouse 2000).
1. – Tu scieras du bois, tu lèveras le fumier de la vache. Bientôt il va faire besoin*… (P. Magnan, L'Aube insolite, 1998 [1946], 344.)
2. Là-dessus, les jours passent. Tu lèves tous les matins un des feuillets du calendrier et Noël t'arrive dessus que tu t'en
es pas aperçue. (Th. Monnier, Madame Roman, 1998 [1957], 134.)
— lever la poussière "dépoussiérer" (Hérault, comm. de Chr. Camps).
— lever de quelque part.
3. Lève ce livre du milieu. (Copie d'élève, dans J.-P. Tenenvin, « Le Provençalisme dans les devoirs d'élèves », Le Français aujourd'hui 19 (1972), 51.)
4. – Il [un poussin] est estropié de naissance, dit l'Ermite. Je l'ai levé du poulailler : les autres l'auraient tué. Je lui donne sa chance. (H. Abert, Le Saut-du-Diable, 1993, 68.)
— Au fig. emploi pron. se lever le pain (ou mot du même paradigme) de la bouche loc. verb. "se sacrifier". Stand. fam. se saigner aux quatre veines.
5. – Sans cœur, ils meurent de faim, ces petits ! criait-elle à mémé Za qui suffoquait
d'indignation.
– Sans cœur ? moi qui me lève le manger de la bouche pour te le donner ! (N. Ciravégna, Le Pavé d'amour, 1978 [1975], 37.) ● se lever la peau*.
1.2. usuel [L'obj. désigne un vêtement, une pièce d'habillement] Stand. quitter. – Lever la veste. Lève ton pull, il fait chaud au soleil ! (CovèsSète 1995).
6. – Lève ton veston, lève ta chemise. Fous-toi à poil ! (P. Magnan, La Maison assassinée, 1985 [1984], 38.)
7. – Tu veux le café au lait ?
– Un café simplement à cause… – Tu auras le café au lait parce que le café pur ça t'énerve. Et puis lève ton manteau. (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 192.) 8. […] ma mère était piémontaise, elle venait de la campagne. Alors quand il faisait
si froid l'hiver, elle nous mettait dans les chaussettes de la farine de moutarde
pour pas qu'on ait froid aux pieds, parce que, c'est moi qui vous le dis, la moutarde
ça fait chauffer. Mais quand on arrivait le soir à la maison, qu'on levait les chaussettes, mon Dieu ! les bains de pied qu'on prenait. (A. Roche et M.-C. Terranger,
Celles qui n'ont pas écrit, 1995, 226.)
— Avec un datif éthique.
9. – Enfonce ton béret, Frise-Poulet, dit Gaston, avec la vitesse tu risques de le retrouver
à la Gineste.
– Je peux me le lever ? – Lève-le toi mais le perds pas. (P. Cauvin, Rue des Bons-Enfants, 1990, 22.) ● En part. lever sa coiffure (à qqn) "se découvrir devant quelqu'un, par politesse, par respect".
10. Les hommes lèvent le chapeau [devant la croix], les femmes se signent. (N. Calmels, L'Oustal de mon enfance, 1985, 8-9.)
11. Ces gens-là étaient respectés ; on leur donnait du « Monsieur » et on leur levait la casquette, même les paysans moyennement aisés. (L. Chaleil, La Mémoire du village, 1989, 200.)
● Avec un datif éthique. On devrait se lever le chapeau pour parler d'une bouillabaisse (Ch. Blavette, Ma Provence en cuisine, 1984 [1961], 29).
1.3. 〈Jura, Rhône, Loire, Isère, Drôme, Provence, Gard, Hérault, Ariège, Haute-Garonne,
Tarn, Tarn-et-Garonne, Aveyron, Ardèche, Haute-Loire (Velay), Puy-de-Dôme, Landes〉 lever la table / le couvert (ou terme du même paradigme) loc. verb. usuel "enlever de la table les couverts, les assiettes, les plats, après un repas". Stand. débarrasser, desservir. – Dépêche-toi de lever la table, ils vont bientôt arriver (FréchetDrôme 1997).
12. Elle avait déjà levé le couvert et il ne restait plus sur la table que les tasses à café et la boîte de biscuits
[…]. (B. Clavel, Celui qui voulait voir la mer, 1988 [1963], 42.)
13. – Lève la table, me dit mon père. (A. Perry-Bouquet, Un petit cheval et une voiture, 1997 [1966], 153.)a
a Le père de l'auteur est d'origine méridionale.
14. Il absorbait davantage de vin rouge que de nourriture. C'est pourquoi la Bourgeoise,
en levant le couvert, laissait toujours sur la table son verre et la bouteille qu'il vidait complètement
avant d'abandonner sa chaise. (M. Stèque, La Tour de Siagne, 1981, 13.)
15. Le repas [du Gros Souper*] achevé, on n'enlevait pas le couvert. […] Beaucoup ont oublié le sens de cette habitude
et reconnaissent qu'ils l'ont peu à peu abandonnée : « Moi après Noël, je débarrassais, ma mère étant morte je levais le couvert, d'ailleurs on ne faisait plus Noël comme avant. » (A. Bouverot-Rothacker, Le Gros Souper en Provence, 1982, 49.)
16. Elle […] cessa brusquement de discourir, après avoir demandé à la maîtresse de maison
s'il n'était pas temps de lever le couvert. (Ch. Exbrayat, Le Chemin perdu, 1982, 195.)
17. On lève [à la fin du repas] les assiettes, plats et saladiers. (G. Laporte-Castède, Pain de seigle et vin de grives, 1989, 90.)
18. Puis l'homme, précédant sa femme qui lève d'abord le couvert, sort prendre le frais sur le seuil de sa maison. (R. Eckert, Jeantou Supaud, manant auvergnat, 1995, 51.)
19. Nous nous étions mis à table très tard, dehors, comme c'est l'habitude chez moi quand
le temps le permet, sur la terrasse qui surplombe la rivière. Nous étions bien, tellement
que nous n'avions pas pris la peine de lever la table. (J.-P. Chabrol, Colères en Cévenne, 2000, 137.)
□ En emploi métalinguistique. Voir s.v. plier, ex. 11.
1.4. 〈Allier, Doubs, Bouches-du-Rhône, Haute-Loire (Velay), Cantal, Puy-de-Dôme, Creuse,
Corrèze〉 rural, vieillissant [L'obj. désigne une récolte ou une production analogue] "faire la récolte, le ramassage de". Stand. ramasser, récolter. – Une fois la moisson levée, quand je pus aller avec mon troupeau jusqu'au bout des
terres du domaine* (Ph. Valette, Mon Village, 1947, 197). Lever le miel, lever les pignes* (QuesnelPuy 1998). Lever le raisin (J. Durand, André Bouix, gardian de Camargue, 1980, 27).
20. […] dès juillet, les troupeaux s'installaient pour quatre mois dans ces prés divisés
en lots, mais soumis à des usages différents. Dans certains lots – on les appelait
les Mauvinettes – les taureaux pouvaient pâturer sitôt la fauche faite. D'autres,
ceux où maintenant le manadier* Jean Laffont a son mas, n'étaient libres qu'à partir du 1er août, que la récolte soit levée ou pas. (J. Durand, André Bouix, gardian de Camargue, 1980, 36.)
21. Chaque matin, le laitier de Murat levait trois bidons pleins et laissait trois bidons vides. (J. Anglade, La Soupe à la fourchette, 1996 [1994], 149.)
22. On lui a bien dit, à François Debout, un des derniers agriculteurs de la vallée, qu'il
ne doit pas emblaver ses terres cette année parce qu'il ne sera pas sûr de lever sa récolte de céréales l'été prochain, une fois l'exploitation de la carrière […]
commencée. (A. Aucouturier, L'Arthritique de la raison dure, 1999, 47.)
V. encore s.v. finage, ex. 2.
— lever les œufs "ramasser les œufs du jour". Lever les œufs dans le poulailler (J.-Cl. Libourel, Antonin Maillefer, 1997 [1996], 61).
23. Les petits, Alice et Louis, qui n'avaient que cinq et sept ans […] levaient les œufs […] et généralement faisaient ce qu'ils pouvaient pour aider leur mère […]. (Cl. Duneton,
Le Diable sans porte, 1981, 37.)
24. […] il faut savoir attendre […] / qu'Emilienne ait fini de lever les œufs dans la basse-cour ou de donner à boire à ses lapins. Elle arrive traînant la jambe
[…]. (Th. Duret, Albertine au bord des chemins, 1988, 32-33.)
25. – C'est peut-être une poule qui mange ses propres œufs. La chose arrive quelquefois.
Faudra les lever sitôt pondus. (J. Anglade, La Soupe à la fourchette, 1996 [1994], 166.)
26. L'une de ses poules […] s'était, en effet, mise [sic] dans l'idée de pondre dans le fenil de Chanet. Celui-ci, que la probité n'embarrassait
pas, levait les œufs en sachant bien que ce n'était pas les siens. (R. Eckert, Jeantou Supaud, manant auvergnat, 1995, 62.)
27. Avant de fermer le poulailler, elle s'assura qu'il n'y avait pas d'œufs à « lever » dans les nids. (H. Noullet, La Destalounade, 1998, 141.)
28. – Enfin, faites quelque chose. Par exemple, venez m'aider à soigner mes poules et
lever les œufs ! (J. Mallouet, Les Jours chiffrés, 1999, 26.)
● Par analogie (aussi 〈Toulouse, Pyrénées-Atlantiques〉) lever de l'argent "aller chercher de l'argent (à une banque)". Lever de l'argent à la banque (GononPoncins 1984 ; CampsLanguedOr 1991 ; MoreuxRToulouse 2000).
29. – […] j'aurais besoin de lever de l'argent. Il y a bien un bureau de poste dans les parages ? (Panazô, Le Traînard, 1994, 42.)
30. Alors c'est Élise qui financera la mobylette du bac. Elle a levé l'argent nécessaire et l'a confié à Léonard qui ira à Bourganeuf chez Henry Barny, le concessionnaire
exclusif pour toute la région de la maison Peugeot. (P. Louty, Léonard, le dernier coupeur de ronces, 1995, 252.)
1.5. 〈Loire (Pilat), Isère, Drôme, Ardèche, Haute-Loire (Velay)〉 rural "collecter régulièrement (une production) chez le producteur ou chez l'éleveur, pour
revendre". L'expéditeur vient lever les pêches tous les deux jours (TuaillonVourey 1983). Ce marchand lève les cochons sur la moitié du département (ibid.). C'est celui de la coopérative qui nous lève les œufs (ArnouxUpie 1984). Maintenant, c'est un de Gap qui vient lever les œufs (DucMure 1990). Depuis des années, c'est toujours le même boucher qui vient lever les veaux (FréchetDrôme 1997). Lever les œufs toutes les semaines (QuesnelPuy 1998).
■ dérivés. 〈Ardèche, Haute-Loire (Velay)〉 rural leveur n. m. "celui qui collecte une production pour la revendre". « Beurre et fromage étaient vendus le jeudi au marché d'Yssingeaux à des négociants
ordinairement appelés : coquetiers, qui achetaient aussi les œufs. / Sauf exception,
le marchand ou leveur n'achetait pas sans avoir sondé la motte de beurre ou l'avoir flairée » (Jean Delaigue, « La vie rurale », Per lou Chamis 20, 1976, 16) ; « […] des entreprises qui envoyaient chez les agriculteurs des “leveurs” pour acheter les œufs puis les conditionnaient pour la vente » (QuesnelPuy 1998). – Attesté fin 19e s. (dans un emploi ironique chez les Goncourt, v. FEW) et dep. 1882 dans l'Yonne
(Jossier, v. FEW) ; « le coquetier, leveur d'œufs et de beurre » (Pourrat 1922, dans Frantext) ; FréchetMartVelay 1993 ; FréchetAnnonay 1995 ; QuesnelPuy 1998 ; aj. à FEW 5, 280b-281a, levare.
— 〈Haute-Loire (Velay)〉 vx ou t. d'histoire lever la dentelle/les dentelles "collecter la dentelle brodée par les travailleuses à domicile" (QuesnelPuy 1998).
□ Avec un commentaire métalinguistique incident.
31. On y [à la dispersion de la main-d'œuvre] remédie grâce aux leveuses* qui contribuèrent à faciliter les relations entre producteurs et marchands en « levant » les dentelles, c'est-à-dire en récoltant la production d'un ou de plusieurs villages qu'elles livraient
ensuite aux marchands de Craponne ou du Puy. (J. Arsac, « La dentelle au Puy », Per lou Chamis 18, 1976, 20.)
● Emploi abs.
32. Je crois que Madame Jeanne « levait » pour la Maison Pontvianne […]. (M. Fouriscot, Marie la dentellière, 1987, 82.)
■ dérivés. 〈Ardèche, Haute-Loire, Puy-de-Dôme (sud-est)〉 vx ou t. d'histoire leveuse n. f. et (plus rarement) leveur n. m. "celle, celui qui collectait la dentelle brodée à domicile pour le compte des patrons". Les leveurs de dentelle ramassant et payant aux dentellières tant le mètre (M.-H. Reynaud/M. Carlat, dans M. Carlat, L'Ardèche, 1985, 313). Le leveur, au service d'un commerçant du Puy (P. Fournier, « Souvenirs de Saint-Arcons-d'Allier », Bïzà Neirà 85, 1995, 40). « Rares étaient les dentellières du Velay qui n'invoquaient pas saint François Régis
lorsque le modèle de dentelle était trop compliqué, le marchandage avec la leveuse trop âpre, ou lorsqu'il y avait mévente chez le marchand » (M. Fouriscot, Marie la dentellière, 1987, 44) ; « […] une “leveuse” au service du fabricant, qui ne fabriquait rien du tout, se contentant de fournir
les modèles et les fils, contre paiement » (J. Anglade, Un lit d'aubépine, 1995, 79) ; v. encore ci-dessus, ex. 31. Attesté dep. 1902 (« la suppression des leveurs apporterait aussi une grande amélioration », La Haute-Loire, 10 février 1902, cité dans G. Trincal, « Les Denteleuses ». La dentelle et les dentellières en Haute-Loire de 1850 à 1914, Clermont-Ferrand, s.d., 176). – QuesnelPuy 1998 ; emploi absent de FEW 5, 281a, levare.
1.6. 〈Haute-Saône (Champlitte), Doubs, Jura, Ain, Loire, Provence, Gard, Ardèche〉 "faire disparaître (un mal, une douleur)". Synon. région. barrer2*. – Lever une brûlure (GononPoncins 1984). Ils lèvent les brûlures de père en fils (DromardDoubs 1997).
33. Je peux lever tout ça, car je suis barreur*, je le tiens de mon père, qui le tenait de son oncle, car cela se transmet de bouche
à oreille, mais mon grand-père ne pouvant pas barrer [v. barrer2] n'a pas eu les secrets. Je suis barreur, répéta-t-il – barreur et non sorcier – tu
entends ? (P. Arnoux, Afin que rien ne se perde…, 1984, 21-22.)
34. – Elle mange ?
– Trois fois rien. Et des fois, elle déparle*. – Qu'est-ce qu'elle dit ? – Oh ! des bêtises […]. – Tu devrais lui faire boire du millepertuis dans du lait de chèvre, ça lève le mal. (P. Magnan, La Maison assassinée, 1985 [1984], 275.) 35. – Vous levez les brûlures, je le sais.
– Non, je soigne seulement les chevaux, dit Louis, réticent. (G. J. Arnaud, Les Moulins à nuages, 1988, 162.) V. encore s.v. macher, ex. 5.
● Au part. passé/adj.
36. Une de mes amies de la région d'Annonay me transmettait ceci, contre les « coups de soleil » […]. « Le plus fort c'est qu'un moment après, le coup de soleil est levé et l'insolé guérit. » (Ch. Forot, M. Carlat, Le Feu sous la cendre, t. 2, 1979, 876.)
— [Par méton. de l'obj.]
37. Il était couché sur le flanc, et sa respiration rapide était celle d'un chien de chasse
par un jour de grande chaleur. Le visage subitement amaigri, les traits tirés, la
sueur aux tempes. La Piémontaise le flaira, puis elle dit quelques mots à Manon, qui
traduisit :
« Elle dit que c'est le soleil. Le mauvais soleil d'aujourd'hui. […] Elle dit qu'elle va lui “lever le soleil”. Elle dit que si on ne lui lève pas le soleil, il sera mort après-demain. » (M. Pagnol, Jean de Florette, 1995 [1963], 825-826.) 2. [L'obj. désigne un inanimé abstrait]
2.1. "faire disparaître". Stand. effacer, ôter.
38. – Et tu l'as bu [une mixture] ?
– Oui. C'était effroyablement amer. Mais il est vrai que ça m'a levé toute volonté et tout désir. (P. Magnan, L'Aube insolite, 1998 [1946], 276.) 39. O mon Dieu ! Alors jamais je me les lèverai de dedans la mémoire, ces événements ? (Th. Monnier, Madame Roman, 1998 [1957], 84.)
40. – Moi, si j'avais du fric, je m'offrirais le maximum de femmes pour me lever l'envie. (H.-Fr. Blanc, Jeu de massacre, 1993 [1991], 62.)
V. encore s.v. gnac, ex. 5.
2.2 on ne peut pas lui lever que + prop. complétive, loc. verb. fam. "on ne peut lui enlever le mérite que".
41. « […] On a tout cassé pour reconstruire. Bon, un noyau de mecs qui s'y connaissent vraiment
avec une tête, Rachid, et ça on pourra pas lui lever que bon, il a porté les travaux à bouts [sic] de bras, il a tout fait là-dedans. » (Témoignage dans N. Roumestan, Les Supporters de football, 1998, 128.)
2.3. tu me lèves les mots de la bouche loc. phrast. fam. "j'allais le dire".
42. – Tu me lèves les mots de la bouche, dit la voix sombre. (J. Giono, Le Hussard sur le toit, 1951, 100.)
2.4 lever l'âme à qqn loc. verb. fam. "attrister profondément, anéantir".
43. – […] rien que de penser à ma femme au cimetière, ça me lève l'âme ! (J. Ferrandez, Nouvelles du pays, 1986, 28.)
— Emploi pron. se lever l'âme (pour) "se donner beaucoup de mal (pour)". Stand. fam. se crever, fam. se décarcasser. Synon. région. fam. se lever/s'enlever la peau*.
44. J'ai compris qu'elle ne comprenait pas mon idée, et quand mémé Za ne comprend pas
tout de suite, ce n'est pas la peine de se lever l'âme pour lui expliquer les choses. (N. Ciravégna, Chichois de la rue des Mauvestis, 1979, 46.)
45. Le Père Mayen : Et tu saignes avec ça !
Miquèu : Ça me fait mal mais ce qui me fait le plus mal, c'est qu'on se soit levé l'âme pour rien ! (Cl. Frédéric, On piègera la sauvagine, 1984, 6.) 46. – Et vous avez fait quoi après la Libération ?
– Bè, j'ai travaillé… j'ai été maçon, docker occasionnel, j'ai fait un peu de tout, je me suis levé l'âme pour pas grand-chose. (R. Merle, Treize reste raide, 1997, 201.) II. Emploi pron. 〈Hérault, Provence〉 fam. "s'en aller rapidement, partir promptement". Stand. fam. dégager, fam. s'ôter.
47. La sentinelle tenta de lui barrer la route :
– Lève-toi de devant moi, gros* minable, dit-elle […]. (Y. Audouard, Les Contes de ma Provence, 1986, 24.) — Surtout dans la loc. phrast. lève-toi/levez-vous de là ! Lève-toi de là, que* le monde ils peuvent pas passer ! (CovèsSète 1995).
48. – Levez-vous de là ! grogna Séraphin.
– Mais dites ! Vous m'avez bien regardée ! – Oui. Vous êtes la fille de la boulangerie… Levez-vous de là, je vous dis ! – Personne ne m'a jamais parlé sur ce ton ! – Je vous parle comme je sais. (P. Magnan, La Maison assassinée, 1985 [1984], 73.) 49. Il se pencha sur le comptoir, rafla un chapelet de saucisses et le lança dans les
mains de sa mère en criant :
– Attrape maman ! Et lève-toi de là ! (M. Courbou, Les Chapacans, 1994, 160.) ◆◆ commentaire.
I.1. Les premiers emplois de ce verbe considérés comme divergents par rapport au français
de référence sont signalés en 1766 dans le français de Toulouse (« lever pour ramasser ou ôter. Levez cette épingle, ce liard, qui est à terre. Levez cet enfant, qui est tombé » DesgrToulouse 144) ; il semble que le français de référence ait alors rétréci le
champ des emplois de fr. lever au bénéfice notamment de synonymes comme enlever, ôter, ramasser, répartition à laquelle le français de la moitié méridionale de la France est resté
en bonne partie rétif.
I.2. Attesté en français dep. 1766 à Toulouse (« Mon fils, il faut lever le chapeau quand tu entres », DesgrToulouse, 144), dep. ca 1800 dans le Gard (AnonymeHippolyteF), dep. 1802 à Montpellier (Villa) ; lever sa coiffure à qqn figure dans TLF sans marque, avec un exemple du Manceau Vercel, et Frantext en donne une occurrence du Vosgien Daniel-Rops, 1934 : ces deux exemples sont des
indices en faveur d'un archaïsme, qui a pu se maintenir dans le Midi à la faveur des
autres emplois du verbe.
I.3. lever la table est attesté dep. le 16e siècle (Rabelais 1546) et accueilli dans les dictionnaires jusqu'à la fin du 18e siècle (Trév 1771, v. FEW 5, 278b, levare), date à laquelle il disparaît du français central (on le relève sporadiquement au
19e siècle, ainsi dans Erckmann-Chatrian, Frantext) et lever le couvert est attesté en 1731 (Abbé Prévost, Frantext) ; cet usage s'est toutefois maintenu jusqu'aujourd'hui dans quelques aires, notamment
dans le quart sud-est de la France. Les dictionnaires généraux contemporains n'en
rendent pas compte (Ø GLLF, Rob 1985, NPR 1993-2000) ou le donnent sans marque (TLF,
mais avec un seul exemple de HumbGen 1852).
I.4. attesté dep. l'afr. (Coutumes de Beaumanoir, v. FEW) et pris en considération par les dictionnaires généraux de Hulsius 1607 à
DG 1896 (v. FEW), semble aujourd'hui un archaïsme qui ne subsiste que dans quelques
aires dispersées (FEW 5, 280b, levare ; PohlBelg 1950 « dial. »)a ; cf. lever le miel (Pourrat 1925 et Ramuz 1926, dans Frantext).
I.5. attesté dep. 1695 dans le français du commerce (FEW 5, 280b, levare), n'est plus aujourd'hui en usage que dans une aire homogène, au sud de Lyon ; cf. lever des œufs et du beurre (Pourrat 1925, dans Frantext).
I.6. Attesté dans les dictionnaires du Savoyard Monet 1636 et du Lyonnais Pomey 1715 (FEW),
mais absent des dictionnaires généraux contemporains, ce sens semble localisé aujourd'hui
principalement dans quelques aires de l'est et du sud-est de la France (FEW 5, 278b, levare).
II. Attesté dep. l'afr. et encore enregistré dans les dictionnaires à la fin du 18e siècle (Trév 1771 ; FEW 5, 278a, levare), cet emploi n'est aujourd'hui en usage qu'en Provence et dans le Languedoc oriental.
a Faute de connaître l'origine géographique de l'auteur, on n'a pas fait entrer ici
en ligne de compte l'exemple suivant (dans un jeu de mots) : « L'hiver approchant, on lève les cultures et on relève les cols » (Elian Da Silva « Villefranche-de-Rouergue, bastide modèle », dans Le Monde, 19 octobre 2000, 31).
◇◇ bibliographie. DesgrToulouse 1766, 144 et 1768, 279 ; Féraud 1788 « Dans certaines Provinces, on dit lever pour ôter. Pourriez-vous lever cette tache ? Levez votre chapeau. Lever n'a ce sens que dans le figuré » ; AnonymeHippolyteF ca 1800 s.v. joc « lever ne signifie pas ôter » ; VillaGasc 1802 ; RollandGap 1810 "ramasser ; ôter (le chapeau)" ; ReynierMars 1829 « On ne peut dire lever pour ôter que quand il s'agit d'un objet matériel, d'un objet qu'on puisse réellement lever,
c'est-à-dire hausser » ; PomierHLoire 1835 ; GabrielliProv 1836 ; ReynierMars 1878 ; CollinetPontarlier
1925 lever les légumes (de la marmite) ; BrunMars 1931 ; RostaingPagnol 1942, 126 lever la veste ; NouvelAveyr 1978 ; RLiR 42 (1978), 176 ; BonnaudAuv 1979 lever la table ; OlivierMauriacois 1981 lever les œufs "ramasser les œufs" ; TuaillonVourey 1983 lever une production « très courant » ; ArnouxUpie 1984 « connu de tous les témoins […] sans concurrent » ; GononPoncins 1984 (plusieurs sens) ; DuraffHJura 1986 lever les brûlures « très usuel » ; MartelProv 1988 ; MartinPilat 1989 ; DucMure 1990 ; BlanchetProv 1991 ; CampsLanguedOr
1991 ; DromardDoubs 1991 lever le fumier et 1997 lever le fumier, lever les brûlures ; BoisgontierMidiPyr 1992 lever la table ; DuchSFrComt 1993 « guérir » ; FréchetMartVelay 1993 « bien connu à partir de 20 ans » ; GagnySavoie 1993 ; FréchetAnnonay 1995 « globalement bien connu » ; FréchetDrôme 1997 ; ArmKasMars 1998, 177 ; FréchetMartAin 1998 "conjurer" ; QuesnelPuy 1998 ; MoreuxRToulouse 2000.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : ("enlever, ôter") Gard, 100 % ; Hérault, 90 % ; Lozère, 85 % ; Aude, 75 %. – (plusieurs sens confondus)
Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Var, 80 % ; Hautes-Alpes, 75 % ; Vaucluse, 65 % ;
Alpes-de-Haute-Provence, 50 %. – ("ramasser, récolter") Dordogne (nord), 100 % ; Creuse, 35 %. – (lever les œufs) Dordogne, 90 % ; Corrèze, 80 % ; Creuse, 75 % ; Haute-Vienne, 45 %. – (lever la table) Ardèche, Ariège, Aveyron, Drôme, Loire, Lot, Tarn, 100 % ; Haute-Garonne, 75 % ;
Rhône, Tarn-et-Garonne, 65 % ; Isère, 40 % ; Ain, 0 %.
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