pigner1 v. intr.
1. 〈Basse-Normandie, Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire〉 fam. "pleurer, en part. d’un enfant ou comme un enfant". Le cœur gros, prêt à pigner comme un enfant qui perd ses jouets (H. Bazin, L’Huile sur le feu, 1954, 305). Une voix de petite fille prête à pigner (L. Guilloux, Salido, 1976, 63).
1. S’apercevant que Marion était habillée, le vieux visage se plissa, on eût dit qu’elle
allait pigner – mais, au contraire, d’une voix violente, elle l’accusa d’avoir voulu profiter de
son sommeil pour la quitter. (L. Guilloux, Le Jeu de patience, 1949, 508.)
2. Elle me considère avec un effroi aussi visible que doit l’être la fureur qui me déchire.
Qu’elle se rassure ! Je ne lui dirai rien. Personne ne saura jamais rien de cette
histoire. Et je ne vais pas tomber en syncope. Je ne pignerai même pas devant elle […]. (H. Bazin, Lève-toi et marche, 1952, 238.)
3. Moi je me suis mise à pigner, mais, tu sais, à pigner comme si tout mon corps se tournait en eau. (H. Grégoire, Poignée de terre, 1979 [1964], 201.)
4. Eh bien ! si une bêtasse de fille me calottait, je lui rendais toujours plus que son
dû. Je la calottais jusqu’à ce qu’elle pigne, parce que quand elle pignait, j’étais guérie des calottes que j’avais reçues. (H. Grégoire, Poignée de terre, 1979 [1964], 221.)
5. Le vieux visage partout ridé de Miss Newell faisait peine à voir. Ses lèvres frémissaient,
on aurait dit qu’elle allait se mettre à pigner comme un enfant. (L. Guilloux, L’Herbe d’oubli, 1984 [av. 1980], 199.)
6. Le lendemain, on me ressert de la purée, on se risque à y glisser du jus de viande.
Mais j’ai vu la manœuvre. Je réveille aussitôt toutes les puissances du « non ». Je repousse mon assiette et pigne une fois de plus : « J’ veux pas ! » (I. Frain, La Maison de la source, 2000, 148.)
— Avec compl. d’obj. interne.
7. Un de mes yeux en effet ne m’a pas obéi, a pigné cette larme de crocodile qui glisse lentement vers l’aile du nez. (H. Bazin, Lève-toi et marche, 1952, 239.)
2. 〈Haute Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire〉 "se plaindre sur un ton geignard".
8. Ener Dalenn, qui avait franchi le pont le premier, coupa à travers le marécage. Dans
le jeu qu’il dirigeait, personne ne devait prendre le chemin frayé. Jili Mourrou était
sur ses talons ; en arrière Marjep Guéo pignait dans les ronces. (A. de Tourville, Jabadao, 1951, 36.)
9. Le Pierre, les dettes c’est un mine-monde ! Regarde-moi ça, de quoi qu’on a l’air.
La maman fait semblant de causer comme si de rien n’était. L’Adrien en est malade
d’aller pigner pour sa pouliche. Toi, t’es obligé de t’ laisser manger les pattes par tes souliers
sans rien dire, tout ça à cause des dettes ! (H. Grégoire, Poignée de terre, 1979 [1964], 175.)
3. 〈Haute Bretagne, Mayenne〉 "grincer, produire un bruit de frottement". Stand. fam. couiner.
10. En descendant l’échelle de meunier, les souliers de Guerny se mirent à « pigner ». […] Maintenant, ce n’étaient plus les chaussures qui geignaient, mais une lame de
parquet, près du piano. (P. Lebois, La Flache aux écureuils, 1971, 80 et 82.)
11. Parvenu au pied du brabant je mettais avec la burette un peu d’huile sur le moyeu
des roues pour ne pas qu’elles pignent, sur la glissière aussi pour faciliter le changement d’ancrage à chaque tournée. (J.-L. Trassard,
Des cours d’eau peu considérables, 1981, 194.)
■ dérivés.
1. pignoux, ‑ouse adj. 〈Haute Bretagne, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire〉 fam. "pleurnicheur, geignard". « C’est la Bretagne d’Hélias ! La mort du petit cheval ! Honteuse d’elle-même, complice
de la politique des Réserves. Voici la Bretagne pignouse et qui biniouse ! » (X. Grall, Le Cheval couché, 1977, 84). Emploi subst. « Après le “catéchisme” des garçons […] avait lieu celui des filles, arrosé des déluges de larmes des deux
“pignouses” habituelles, que le recteur avait eu l’imprudence d’interroger » (R. Madec, L’Abbé Garrec contre Carabassen, 1957, 19) ; « […] les petits oiseaux, y voulaient pas s’en aller et ils se sont mis à pigner* […]. Mais le bon Dieu leur a dit : “Allez, les oiseaux, pas de rouspétance ! […] Qu’est-ce qui m’a fichu des pignous pareils ! A votre âge vous n’avez pas honte ?” » (H. Grégoire, Poignée de terre, 1979 [1964], 84).
△△ EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Ille-et-Vilaine, Sarthe, 100 % ; Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, 80 %. 2. pignousse adj. épicène. 〈Basse Bretagne〉 fam. "pleurnicheur (d’un enfant)". « Il est venu* pignouze depuis qu’il a des vers ! » (PichavantDouarnenez 1978, 147)a ; « Moi la troisième, la petite – la petite dernière, comme ils disent aussi. / Ou la
pignousse, la pissouse, comme ils s’écrient les jours où j’en fais vraiment trop, quand je les
fatigue de pleurs, colères, caprices, jérémiades » (I. Frain, La Maison de la source, 2000, 22).
△△ EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Finistère, 75 % ; Côtes-d’Armor, 65 % ; Morbihan, 50 %. 3. pignouser v. intr. 〈Basse Bretagne〉 fam. "pleurnicher (d’un enfant)". « Arrêtez de pignouzer, autrement j’appelle Marie Tampod et vous serez plus avancé ! Elle vous envoira [sic] dans son sac ! » (PichavantDouarnenez 1978, 147).
△△ EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Finistère, 95 % ; Morbihan, 85 % ; Côtes-d’Armor, 65 %. 4. pigneries n. f. pl. 〈Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Mayenne〉 fam. "pleurnicheries". « Et voilà que je me mets à pigner* pour des riens. Je me rends bien compte que les pigneries usent mes forces sans porter remède. […] Si seulement je savais ce qui m’a arrêtée,
je tâcherais de m’en débarrasser pour une autre fois. C’est pas de l’avoir vu pleurer,
tout de même ! Je pigne* assez pour ne point me laisser prendre à des pigneries ! » (H. Grégoire, Poignée de terre, 1979 [1964], 197 et 207) ; « Elle fit grands cris de rage, en vint aux “pigneries” [en note : pleurs], en versant force larmes auprès de sa mère, qui la consola » (A. Poulain, Contes et Légendes de Haute Bretagne, 1995, 76).
a La graphie pignouze est due à la neutralisation de sonorité en finale absolue fréquente chez les bilingues.
◆◆ commentaire. Enregistré par les dictionnaires du français contemporain comme régionalisme de l’Ouest
et du Centre avec deux exemples (H. Bazin et de La Varende, TLF 13, 314b, s.v. piauler) ou bien sans localisation et défini fautivement "crier, s’agiter de façon désagréable, sans raison" à partir d’un exemple mal interprété de Jarry (Rob 1985), ce verbe d’origine onomatopéique
n’est pratiquement pas sorti de l’Ouest. Il est attesté de façon isolée au sens de
"pleurer" dans la première moitié du 13e s. en Touraine (PGat, TL) et plus tardivement au sens de "grincer" (Paluau [Indre ? Vendée ? Charente ?] 1482, Gdf 6, 156 ; 1520/1530, H. Lemaître et
H. Clouzot, Trente Noëls poitevins du 15e au 18e siècles, Niort 1908, 72). Aux 19e et 20e s. il est répandu, essentiellement au sens de "pleurer bruyamment", dans les parlers dialectaux de Basse-Normandie, Haute Bretagne, Maine, Anjou, Poitou,
Vendômois, Sologne (FEW 8, 417, PI-), où il est en concurrence avec les équivalents dialectaux de crier, braire, brailler, etc. (ALF 1033). Dès le 19e s., le verbe est relevé en Haute Bretagne dans le français des milieux populaires
citadins : pigner v.n. "pleurer, pleurnicher. Se dit aussi d’une personne maladive, d’une santé délicate,
qui se plaint" (CoulabinRennes 1891), pigner v.n. "gémir" (EudelNantes 1884), de même que les dérivés : pignard n. m. "homme qui gronde pour la moindre chose", pignasse n. f. "femme qui gronde pour la moindre chose", pigner [n. m. ?] "grognon, qui gronde pour rien" (tous LeMièreRennes 1824, mal classés FEW 8, 107b, pectinare), pignard adj. "pleureur, pleurnicheur", pignette adj. f., pignoux adj., pignoche adj. (tous CoulabinRennes 1891). Pour pigner v. intr., v. aussi LepelleyBasseNorm 1989, LepelleyNormandie 1993, BrasseurNantes
1993, TuaillonRézRégion 1983 (Normandie, Mayenne, Sarthe), BlanWalHBret 1999 « se dit quasi exclusivement des jeunes enfants. Usuel à très fréquent partout ». De là le verbe est passé dans le français de Saint-Pierre et Miquelon (BrassChauvSPM
1990, 517 pigner v. intr. "se plaindre") et de Basse Bretagne où il peut être homophone de pigner v. "monter", là où celui-ci, de bret. pignat, est attesté (PichavantDouarnenez 1978, 147), et où il est attesté dep. le début du
siècle (Quimper 1909, ABret 25, 618).
L’adjectif pignoux, avec la forme dialectale du suffixe correspondant à ‑eux (< -osu), répandu dans les parlers dialectaux de Haute Bretagne et du Maine (FEW 8, 417b), est attesté dans le français des milieux populaires citadins au 19e s. (dep. CoulabinRennes 1891, v. ci-dessus) ; de là il est passé dans le français
de Basse Bretagne avec l’adaptation du suffixe sur le modèle des emprunts plus anciens
au roman : bret. tagnous "teigneux ; grincheux", grignous "pleurnicheur ; hargneux", d’où pignousse et les dérivés propres au français de Basse Bretagne pignouser et pignouserie (v. TLF 13, 364b où ces régionalismes sont localisés en Bretagne et dans le Maine
d’après des citations d’H. Queffélec). Le dérivé verbal doit être attesté antérieurement
par bretfr. pignoufer "pleurer, pleurnicher" (Quimper 1909, ABret 25, 618), probable cacographie. On a la même suffixation que
dans ce dernier cas dans pignerie, relevé antérieurement dans quelques parlers dialectaux d’Ille-et-Vilaine, de Loire-Atlantique
et de la région d’Alençon et dans le français de la région nantaise (v. BrasseurNantes
1993). Cette famille lexicale doit sa fortune à sa forme expressive : le verbe est
parfois explicitement rapproché de trépigner (A. Lagarde et L. Michard, xxe siècle, Paris, Bordas, 1962, 78 ; PichavantDouarnenez 1978, 147).
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96. Taux de reconnaissance : Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Sarthe,
100 % ; Finistère, 95 % ; Morbihan, 85 % ; Basse-Normandie, 80 % ; Côtes-d’Armor,
65 %.
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