placitre n. m.
〈Bretagne, Maine-et-Loire, Vienne (sud)〉 "place devant une église". Le placitre couvert d’herbe et planté d’arbres (P. Fénelon, Atlas et géographie des Pays de la Loire, 1978, 287). Placître [sic] d’une chapelle bretonne (H. Jaouen, Pleure pas sur ton biniou, 1985 [1980], 141).
1. Gothique ou classique, la chapelle est toujours entourée d’un placitre [en note : Sur le placitre se dresse un calvaire, beaucoup plus modeste que ceux du Finistère
et à peine plus sculpté que les croix des chemins] […], quelquefois nu, le plus souvent
planté, où, dans la semaine qui précédait la fête, les fermiers voisins, les commerçants
du bourg* installaient leurs barriques, leurs tréteaux et leurs tentes. (H.-F. Buffet, En Bretagne morbihannaise. Coutumes et traditions du Vannetais bretonnant au xixe siècle, 1982 [1947], 234.)
2. […] le placitre irrégulier qui lui [au village breton] sert de centre, souvent envahi par l’herbe,
est un terrain vague plus qu’une place, où parfois affleurent auprès du lavoir les
bossellements nus du granit […]. (J. Gracq, Lettrines, 1988 [1967], 222.)
3. […] les fleurs jaunes qui couvraient les talus, étendaient sur le placitre de la chapelle le plus somptueux tapis de Fête-Dieu. (P.-J. Hélias, Le Cheval d’orgueil, 1975, 175.)
4. Cependant les nouvelles de la région couraient vite, de bouche à oreille, de maison
à maison, de ferme à ferme, de paroisse à paroisse ; il fallait voir les réunions
sur le placitre devant l’église, à la sortie des messes dominicales, et alors, ça débitait, ça débitait…
(J. Boutin, Louis Rougé, le braconnier d’Anjou, 1979, 10.)
5. – […] c’est le pardon* de Sainte-Marie et il y a la fête sur le placître [sic] de l’église. (J. Failler, Les Diamants de l’archiduc, 1996, 143.)
6. Lorsqu’aux aurores, je surprenais le boucher et le boulanger traversant, dans leurs
chaussures de corde tressée, le placitre en direction de la buvette d’en face pour s’offrir la chopine matinale, il me semblait
être le témoin privilégié d’un moment d’exceptionnelle humanité. (Y. Brochet, Le Braco, 1997, 223.)
7. Les riverains de la rue Commandant Lucas [à Brest] souhaiteraient bénéficier de plus
grands bac[s]-poubelles qui pourraient être placés sur le placitre situé au haut des escaliers. (Le Télégramme de Brest et de l’Ouest, éd. Brest, 27 octobre 1997, 11.)
□ En emploi métalinguistique.
8. […] un communal qui s’appelle common dans les pays anglo-saxons, placitre en Bretagne, couderc* dans le centre du Massif central. (Encyclopédie de la Pléiade. Géographie générale, 1966, 1224.)
— Par restr. 〈Maine-et-Loire〉 rare "petite tribune en pierre à la porte d’une église, d’où se faisaient diverses annonces".
9. Quelquefois, quand il y avait des avis, le champêtre grimpait sur le placite [sic] et, de sa voix qu’on entendait mal, lisait les convocations du conseil ou les arrêtés
municipaux qui reprenaient souvent ceux du préfet. (G. Guicheteau, Les Gens de galerne, 1983, 107.)
◆◆ commentaire. Attesté dep. 1463-1466 dans le français de l’Anjou (« Le grand chemin tendant de Chasteaugontier à Gennes par devers la Tour Marion abutant
a ung placeistre qui est davant ladicte tour » Comptes de G. Tual, dans Revue de l’Anjou, 1883/1, 132), et peut-être déjà dep. 1257 (v. VerrOnillAnjou 1908), le mot n’est
pas accueilli par les dictionnaires généraux contemporains et il est souvent négligé
des relevés régionaux. Son usage est cependant bien établi surtout dans le français
de Bretagne et de Maine-et-Loire. Il a été enregistré au sens de "vaste terrain vague" comme terme de "féod[alité]" par Lar 1874-1932 et sans marque par Lar 1949, ce qui ne semble correspondre à rien.
Il est attesté de façon continue en Anjou et Poitou depuis le 16e siècle (v. Gdf), essentiellement dans des textes documentaires. Au 16e siècle on ne l’a relevé que chez le Poitevin Jean Bouchet et chez Beroalde de Verville,
implanté en Touraine (Huguet). Ménage, en 1694, le signale comme usité à Angers. Le
mot appartient au français de Bretagne où il est d’usage général dès la fin du 19e siècle (« placitre est très usité en Bretagne, dans le Morbihan, dans les Côtes-d’Armor, dans le Finistère.
À St-Brieuc on prononce placit » Gdf 6, 183a), sans avoir pénétré apparemment en breton. D’ailleurs, chez Hélias « sur le placitre » traduit war ar park-iliz (Per-Jakez Helias, Marh al lorh, Paris, Plon, 1986, 113) et « sur le placitre de la chapelle » war bark ar chapel (ibid., 171). Anatole Le Braz, Magies de la Bretagne, éd. Lacassin, emploie le mot une bonne dizaine de fois, mais constamment sous la
graphie placître et à quelques reprises au féminin (t. 2, 225, 272), ce qui représente très probablement
une décision et des fautes de l’éditeur. L’auteur applique le mot à l’esplanade devant
une église (par ex. t. 2, 1088) ou une chapelle (t. 2, 271 ; 1102), mais également
à l’espace libre devant une auberge de carrefour (t. 1, 817) ou à l’intérieur d’un
hameau (t. 1, 696, 698) et même à une clairière dans une forêt (t. 2, 225, 228, 229,
230, 231,232), définie, lors de la première occurrence, comme « une manière de rond-point gazonné que des hêtres lisses, aux tons marbrés, entouraient
comme les colonnes monumentales d’un péristyle » (t. 2, 225). De telles extensions – la première est de 1897 (t. 1, 696) – témoignent
de la vitalité du mot. De façon curieuse, placitre ne semble pas connu en Haute Bretagne et paraît projeté depuis l’Anjou dans le français
de Basse Bretagne, peut-être par la voie de la langue ecclésiastique.
Pour le suffixe supposé ‑itre, par lequel on a voulu expliquer ce dérivé de place, v. la critique qui en est faite dans FEW 25, 583b. Il semble plutôt que placi(s)tre soit calqué sur le synonyme anorm. planistre m. "place, esplanade" (ibid. 9, 30b-31a, planus et n. 21), attesté depuis 1170 en Normandie où il est bien représenté jusqu’à l’époque
contemporaine et, isolément, en Périgord.
◇◇ bibliographie. DuPineauR [1746-48] ; LeGonidecBret 1819 ; VerrOnillAnjou 1908 ; RézeauOuest 1984
et 1990 ; FEW 9, 39a, platea.
△△ enquêtes. EnqDRF 1994-96 : Ø.
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